Lundi 3 juillet 2006.- Fidèle à ses (bonnes) habitudes, Orange II file bien plus vite que le vent. Parti hier midi de New York, l’équipage de Bruno Peyron s’adjuge déjà une première victoire historique : à 13 heures et six secondes ce lundi, le maxi catamaran lancé à la poursuite du record de l’Atlantique a affiché un chiffre titanesque sur son loch totalisateur : 752 milles parcourus en 24 heures : nouveau record absolu de vitesse à la voile sur une journée ! Près de 31,3 nœuds de moyenne. Fatalement des pointes à plus de 35 nœuds…
« C’est impressionnant, on a encore trouvé un potentiel supérieur au bateau », commentait presque tranquillement Bruno Peyron à la vacation de 11h, alors que « le monstre » Orange II était à l’approche des bancs de Terre Neuve, dans une météo conforme à la mythologie marine de cette contrée désolée de l’Atantique Nord : brume épaisse et mer croisée. « C’est boucaille… on ne voit pas l’avant du bateau et on est en veille radar permanente pour éviter les navires de pêche qui pourraient se trouver sur notre route ». Sous petit gennaker et deux ris dans la grand-voile, Orange II fonce dans le brouillard, à l’assaut de l’infernal record du PlayStation de Steve Fosett. Ce chrono réputé "imbattable", établi en octobre 2001 par le milliardaire américain : 4 jours, 17 heures, 28 minutes et 6 secondes.
Jour 1 : 123 milles d’avance sur PlayStation
Pour battre le mythique record de l’Atlantique, il faudra couper la ligne d’arrivée au large du cap Lizard, à la pointe sud-ouest de l’Angleterre, avant vendredi matin à 6h27, heure française. Pour l’instant, l’équipage de Bruno Peyron est en avance sur le tableau de marche du record. Au point de comparaison numéro 1 ce matin, Orange II comptait 123 milles de capital positif sur le record de PlayStation. «Depuis le départ, c’est musclé, en permanence à plus de 31 nœuds de moyenne et avec une mer plate qui a permis aux barreurs de s’adapter dans des conditions idéales », commente Bruno Peyron, «nous avons exactement les conditions que nous attendions, un flux de sud-ouest et un angle correct à un vent de 25 à 30 nœuds pas trop fort, ce qui favorise la vitesse pure ».
Certes, ce matin la mer est devenue moins confortable avec « 1,50 mètre à deux mètres de creux par le travers, mais pour l’instant ça ne nous ralentit pas » se félicite le navigateur français, visiblement très satisfait des performances de ses onze hommes d’équipage, avec entre autres Bernard Stamm, Yann Guichard, Pascal Bidégorry … « Ils sont bons, ils vont très vite !»
Aller vite, voilà bien l’obsession dans ce sprint ahurissant contre la montre à travers l’Atlantique Nord qui vient de voir, déjà, tomber un premier record. Demain ? « La journée devrait être un peu meilleure encore car nous n’aurons pas de détours à faire comme pour contourner les bancs de Nantucket» ;, explique le skipper d’Orange II. Repousser encore cette toute nouvelle limite n’est donc pas impossible. Car jusqu’ici, il a fallu s’employer : «nous avons du faire huit manoeuvres, des changements de voiles. Or, à douze hommes c’est exigeant physiquement et nous ne fonctionnons qu’en deux quarts. Chaque équipe doit donc réveiller l’autre au moment de manœuvrer puisqu’il n’y a pas de quart en stand by, comme c’est le cas sur le tour du monde ».
Et pour la suite…
La crainte d’un ralentissement en fin de parcours (comme en août 2004, quand l’équipage avait échoué pour 31 petites minutes) est toujours présente. « Ce doute existe forcément quand on part avec les dépressions estivales », explique Bruno Peyron. Or, «en l’occurre nce, les modèles météo ne sont pas d’accord : pour certains, les zones de haute pression qui donnent du beau temps en France en ce moment vont bloquer le passage des dépressions ; pour d’autres, ces dépressions passeront tout de même. Je pense, j’espère qu’on a suffisamment de vitesse pour s’en sortir dans le premier cas et on a évidemment anticipé celui-là, le moins favorable… Dans le deuxième cas, et bien dans le deuxième cas c’est un miracle ». Un « miracle » qui donnerait lieu à un des plus gros jackpots de l’histoire de la voile. Mais n’anticipons pas. A 14h 30 aujourd’hui, il reste 2080 milles à avaler pour aller taquiner la légende d’un record amélioré seulement sept fois en un siècle.
"Ils ont dit" :
Roger Nilson, navigateur à bord de Orange II : "Tout va bien à bord… jusqu’ici aucun incident ni matériel ni humain. Depuis les abords de l’île Sable il y a un brouillard dense, la mer est toujours calme mais des vagues croisées arrivent du sud. Sommes passés à 9 milles au sud de l’île Sable et faisons cap au 75°, vitesse moyenne du bateau 32 nœuds sous gennaker de brise, très efficace. Avons pris 2 ris juste avant l’île car le vent montait à 34 nœuds. Le dernier champ de vent indique que nous devrions être tribord amures jusqu’au bout, avec peut-être un petit empannage. A peu près 4 jours et 8 heures… en théorie… Nous marchons globalement 3 à 4% au-dessus des polaires".