Rappelez-nous les circonstances de l’accident
L’accident s’est produit en début de nuit, une nuit très noire. On était sous grand spi, le vent forcissait. Vers les 25 nds. On est passé sous petit spi. Malgré une obscurité complète – on ne voyait même pas la surface de l’eau – la manœuvre se déroule sans problèmes. Au vu des conditions à venir, je préviens l’équipage réveillé au complet comme à chaque changement de voile : « Ca va être harnais obligatoire pour les 48 heures à venir ». La bordée hors quart retourne à la bannette et les autres s’activent Le vent vient à flirter avec les 30 nds. A la barre, le bateau se conduit au feeling en s’aidant des instruments. On pilote plus qu’on ne barre. Ca va très vite, l’étrave percute les vagues, des trombes d’eau déferlent sur le pont. Il faut vraiment s’accrocher. C’est sport mais on a l’habitude ! Les équipiers de quart se succèdent à l’intérieur pour passer leur harnais
Des harnais gilets ?
Non. Durant les deux premières étapes on a employé des harnais combinés brassières assez sophistiqués mais ils sont lourds et à la longue te cassent le coup. Depuis on utilisait les harnais de base et chaque équipier possède des flash lights dans son ciré.
Et il y a eu cette vague qui a balayé le pont ?
Hans n’avait pas encore passé son harnais. Il était en ciré assis sur le dessus des sacs à voiles empilés sur le passavant et tenait l’écoute de spi à la main. J’étais à la barre et les trois autres de quart également sur le pont. L’obscurité exigeait une vigilance intense… On venait de changer de spi. Et la vague arrive. A ce moment-là tu fermes les yeux et tu te cramponnes à ce que tu peux. Quand j’ai relevé la tête, j’ai tout de suite vu que Hans n’était plus là. Je crie : « Où est Hans, où est Hans ! ». En quelques secondes, les gars percutent : Hans a été brassé à l’extérieur du bateau. Alors s’enchaîne une procédure d’alerte que nous avions mise au point lors de l’escale à Melbourne. Chacun connaît son poste et les tâches précises à effectuer.
Plus en détail
Je tape sur le winch de grand-voile pour prévenir le navigateur à l’intérieur du bateau d’enclencher la fonction homme à la mer sur le GPS. Un équipier hurle « Man Overboard » pour réveiller ses camarades. Un autre va à l’arrière larguer à la mer nos bouées spéciales, en fait des mini radeaux de sauvetage avec ancre flottante et lumières. A l’avant, le spi est libéré aux écoutes et enserré dans la chaussette prestement descendue, la trinquette est enroulée. Très vite, j’ai pu lofer GV faseyante pour virer après avoir immergé la dérive. Par presque 30 nds de vent au près serré sous la seule grand-voile dans une mer forte, c’était l difficile ! On a mis le moteur en marche, descendu l’hélice. Et on a affalé la grand-voile complètement. J’estime à dix minutes, le moment où on a constaté la disparition de Hans et le moment où on a commencé à rebrousser chemin. C’était indiqué 1,6 mille sur le GPS !
Et ensuite ?
Toutes les deux minutes, le navigateur me donne un cap et distance vers le way point. De chaque côté, un équipier scrute la surface l’eau avec deux projecteurs dont l’un alimenté par les batteries du bord. Un équipier a revêtu sa combinaison de plongée, un autre fait du rangement à l’intérieur pendant que son voisin prépare le matériel médical. Assez rapidement, on croise la première bouée repérable à son éclairage. Je la contourne par deux fois – le vent continue à forcir et ce n’est pas facile d’évoluer même au moteur – Rien… On croise la seconde bouée, même scénario et toujours rien… Enfin on aperçoit la troisième lumière d’une intensité plus faible que les autres. Je fais étendre les torches du bord pour bien localiser le point lumineux. On s’approche : Hans est à la surface, le corps courbé vers l’avant, le visage dans l’eau. Il est sans connaissance. Il nous a fallu une quarantaine de minutes pour revenir sur lui.
Comment expliquez-vous sa perte de connaissance ?
Pas précisément. Sans doute que l’autopsie du corps nous en dira plus bientôt. Au moment de l’accident, la température de l’eau était sensiblement la même que celle de l’air : aux environs des 16 degrés. Il n’empêche que la différence entre la température du corps et celle de la mer est importante. Hans ne portait pas de trace de blessure. Il y aussi le choc émotionnel…. Je pense qu’il s’est noyé après avoir perdu conscience. Ca m’est arrivé de tomber à l’eau. Tout va bien a priori mais le stress ajouté au différentiel de température, tu hyper ventiles sans le vouloir et il te faut du temps avant de retrouver une respiration normale. Là c’était la nuit, la mer était mauvaise…
Dans quelles circonstances s’est produite votre chute à la mer ?
C’était en solitaire à l’entraînement au Challenge Crédit Agricole. J’avais perdu le Figaro de Roland Jourdain et c’est un bateau de pêche qui m’a ramené. Je suis resté trois quarts d’heure dans l’eau en baie de Port La Forêt. Je me suis retenu à une perche de casier, j’ai entendu un bruit de moteur dans la brume. J’ai sifflé du plus fort que je pouvais et le bateau de pêche est venu sur moi. Le voilier est sorti de la baie et puis il s’est mis à la cape de lui-même car le vent avait tourné et le pilote était en mode compas.
Comment avez-vous récupéré le corps de Hans ?
Ca a pris du temps, l’état de la mer rendait la manœuvre difficile, il faisait une nuit noire ! Plusieurs fois on passait très près mais pas assez. En plus nos bateaux sont hauts de franc bord. Je faisais une approche au moteur, je coupais le moteur en arrivant par le travers du corps, puis on se laissait dériver sur lui. On cherchait à le récupérer au niveau du tableau arrière. C’est pas simple il faut le bon coup de gîte au bon moment. Au premier passage, Simeon revêtu de sa combinaison s’est mis à l’eau, retenu au bateau, pour l’attraper mais sous la pression de l’eau il a été obligé de lâcher. Au deuxième passage, j’ai dit à Simeon de rester à bord. Cela ne servait à rien de prendre le risque de perdre un autre gars. Je voyais bien que Hans gisait sans vie à la surface de l’eau. Il flottait grâce à la poche d’air formée dans le dos du ciré. La capuche fermait le col et de cette façon empêchait l’air du dos de s’évacuer.
Et une fois à bord ?
Dès qu’on l’a récupéré, on s’est mis au vent arrière avec deux personnes sur le pont pour stabiliser le bateau. A l’intérieur on a démarré des massages cardiaques en se relayant à quatre. Moi j’éclairais le corps tout en donnant le rythme des mouvements, un autre équipier communiquait avec la terre. On a essayé en vain de le réanimer pendant quarante minutes. Et puis sur les conseils de l’hôpital de Plymouth, on a effectué une injection d’adrénaline dans la jambe. On a recommencé dix minutes de massage cardiaque et plus encore. Toujours en vain. A force de le masser un peu d’eau ressortait des poumons mais à aucun moment il n’y eut signe de vie.
Une quarantaine d’heures plus tard, le comité de course vous contacte pour venir en aide à Movistar.
Et oui. On a passé la nuit à proximité du bateau espagnol qui tentait tant bien que mal de progresser malgré leur quille branlante (le palier arrière de la quille a défoncé la cloison du puits de quille, ndlr) tenue désormais par les seuls vérins d’inclinaison maintenus en pression… Au lever du jour, la mer était encore très agitée mais le vent avait molli. La météo annonçait du gros baston à venir. Je leur ai indiqué que s’il fallait quitter leur navire qui par ailleurs faisait de l’eau en quantité, c’était maintenant. Il fallait profiter de l’accalmie. Ils se sont décidés. Ils ont activé leur radeau de sauvetage, sont montés à six. J’en ai récupéré cinq. Le sixième est resté pour lancer une amarre au passage du bateau espagnol. Le reste de l’équipage de Movistar a embarqué sur le bib avec le deuxième radeau gonflable encore dans son sac. De cette façon, nous avions trois radeaux en sac à bord d’ABN : ce qui n’était pas de trop pour évacuer le cas échéant mon équipage désormais composé de 20 personnes !
Qu’est devenu Movistar ?
A ma connaissance, il a coulé. Ils ont abandonné le navire avec le générateur en marche pour faire fonctionner la pompe. Ca a duré ce que ça a duré mais dès lors que les balises dont une balise Argos ont cessé d’émettre, ça veut dire que le bateau a coulé.
Epilogue : l’équipage de Movistar a été débarqué à Falmouth lundi matin et le corps de Hans déposé aussitôt après sur une frégate hollandaise puis transporté par hélicoptère aux Pays-Bas tandis que le bateau blanc et vert achevait son périple à Portsmouth en fin d’après-midi. L’équipage d’ABN Amro 2 se rendra aux obsèques de leur camarade en Hollande samedi. Dimanche, il doit naviguer avec le bateau dans le Solent et lundi courir l’in shore race. Mardi sera prise la décision de continuer ou non la Volvo Race qui compte encore deux escales à Rotterdam et à Gothenburg, où sera jugée l’arrivée.
Propos recueillis par Patrice Carpentier
Pour voir une vidéo relatant les derniers jours en mer d’ABN Amro 2
http://team.abnamro.com/web/show/id=182644