Bruno Peyron, cap sur le Lizard

Record Atlantique Nord : skipper Bruno Peyron
DR

Depuis quand le bateau est-il prêt à s’élancer ?
Ca fait une semaine qu’Orange II est aux USA. Nous étions à New York le week-end dernier pour des opérations de RP puis il a rejoint sa base technique à Newport Shipyard situé à environ 120 milles au NE de la ligne de départ.

On trouve facilement une place au port à New York ?
Habituellement on est à Chelsea Pier Marina, entre le Pier 59 et le Pier 62 au niveau de la 25ème rue, pas très loin de Ground Zero là où trônait le World Trade Center avant les événements que tu sais. C’est un des rares endroits où on peut se poser. Et puis on finit par nous connaître là-bas depuis le temps qu’on fait des records.

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C’est vrai que ce record mythique tu l’as déjà battu… mais en solitaire !
Ma petite fierté personnelle est d’avoir été le premier solitaire à battre le record de Charlie Barr. C’était en 1987 sur mon cata Liberté avec lequel on avait célébré le centenaire de la Statue de la Liberté en 1986. Ensuite Florence Arthaud a battu ce record et je l’ai repris en 1992. En équipage, nous avons fait deux tentatives, la première à la fin des années 90 au retour de ma campagne autour du monde à bord d’Explorer pour la promotion de The Race. Nous avions signé le deuxième temps absolu derrière Jet Services et puis en 2004… on a fait le deuxième temps absolu aussi… mais nettement plus vite, en échouant de 31 minutes face au chrono de PlayStation.

Un sentiment d’échec ?
Oui et non. En fait la traversée a été superbe mais j’ai commis deux erreurs : un départ légèrement prématuré car nous avions sous estimé le potentiel du bateau (auteur de la meilleure performance jamais réalisée par un voilier avec 706 milles inscrits au compteur en 24 heures de navigation, ndlr). 15 heures après le départ on a été obligé de contre border à 90 degrés de la route pendant 7 heures pour fuir une zone de calme. Et la seconde a été… de ne pas ré empanner plus tôt. Ensuite tout s’est parfaitement déroulé sauf une rotation de quelques degrés du vent à quelques heures de l’arrivée. En principe on atteignait le Lizard en ligne droite mais il a fallu se recaler avec un petit bord. Et c’était perdu. La veille de l’arrivée, on avait pourtant dépassé le tableau de marche de PlayStation…

Comment recrutes-tu ton équipage ?
Nous sommes dix à bord moi inclu. Dans la mesure du possible j’essaye de reconstituer le «dream team» du tour du monde (détenteur d’un nouveau record établi l’an dernier autour de la planète en 50 jours, 16 heures et 20 minutes, ndlr). Le problème est qu’ils officient sur d’autres bateaux également. Mais là avec ce qui est arrivé sur la Multi Cup (Gitana 12 et Banque Populaire hors course) ça libère du monde… Par ailleurs nous étions dix pour le convoyage France-Amérique inclus les six hommes de l’équipe à terre. Et certains d’entre eux sont remplaçants potentiels dans l’équipe navigante.

Quand est déclenchée la procédure de départ ?
A l’heure où je te parle, le bateau est donc stand by à Newport avec le shore team qui s’active aux derniers préparatifs tandis qu’une cellule météo composée de l’Australien Roger Bradham, du Suédois Roger Nilson, navigateur du bateau, du Chilien Eduardo Valderas, qui habite Stockolm aussi et moi-même, analyse la situation sur l’Atlantique Nord en multipliant les simulation à partir de nos polaires de vitesse les plus récentes et affinées en fonction des nouvelles voiles spécialement conçues pour ce record. Au plan logistique, on emploie exactement les mêmes procédures que pour le tour du monde : Code rouge signifie pas de départ à l’horizon des 7 jours à venir, c’est notre situation aujourd’hui. On passe en code Orange quand il se profile quelque chose d’intéressant à six jours. Code Vert, c’est tout le monde dans l’avion : départ prévu dans moins de 3 jours ! Ca nous laisse le temps de se présenter plein potentiel sur la ligne de départ au phare d’Ambrose situé à une dizaine de milles de Manhattan, à l’est du pont de Verrazano.

Quelle est la situation météo idéale pour établir un record !
Celle qui nous permet de moyenner plus de 26 nds pendant 4 jours… On va tellement vite désormais qu’on n’est plus dans la problématique de suivre un système ou pas.

Tu veux dire que le bateau se déplace plus vite que la dépression ?
Oui, et ça nous oblige à partir quasiment en position post frontale. Autrement dit on peut être amené à partir juste derrière le front froid : ce qui nous conduit à le rattraper et à le dépasser avant l’arrivée. PlayStation a eu des conditions idéales en 2001. Il a pu rester devant le front et faire route directe vers l’Angleterre tribord amures tout du long.

Quels sont la force et l’angle optima du vent ?
Là où on va le plus vite c’est avec un vent de 28/30 nds et un angle (vrai, ndlr) à 120/125°. Un ris dans la GV et trinquette comme voilure, c’est l’idéal pour nous. Si ça forcit plus, on peut tenir les 30 nds de moyenne jusqu’à 140/145° du vent vrai. On n’est pas trop gêné par la mer vu la taille et la hauteur du bateau, mais on va quand même plus vite par mer plate.

A t’écouter, le record est réellement à votre portée ?
A celle du bateau sans aucun doute. Vu le temps perdu la dernière fois et l’écart à l’arrivée. Ca doit le faire sans discussion.

A quel niveau tu situes le record de l’Atlantique ?
Je dirais n°2, juste derrière le Jules Verne autour du monde. Il est aussi n°2 dans le Championnat des records.

Dans ce championnat des records la vitesse moyennée n’est pas prise en compte?
Non, pas pour l’instant. Mais on y réfléchit, car il y a record et record. Je veux dire que certains records sont nettement plus difficiles à battre que d’autres. Il faudrait donc moduler le coefficient des points en fonction des vitesses soutenues, voire imposer une vitesse minimum… Faut voir !

Et pour finir, quelle est votre échéance de départ ?
Moi j’espère le plus tôt possible, mais ça dépend complètement de la météo. On part pour battre un record, donc a priori dans les conditions les plus favorables. Pour parler franc ça m’ennuierait d’avoir à attendre au-delà de mi-juillet, car on est attendu en Europe cet été. De ce côté-là, Fossett avait un avantage sur nous : il gérait son emploi du temps complètement comme il l’entendait…

Propos recueillis par Patrice Carpentier