Lorsque le trimaran a basculé à l’envers, Francis Joyon se trouvait dans son siège de veille. Il venait de choquer en grand la grand voile et s’est malgré cela trouvé précipité dans les flots. Un moment coincé sous le filet, il est parvenu à rejoindre l’air libre le long du flotteur, et à se hisser sur la plateforme retournée. Son premier soin a alors été d’atteindre son téléphone satellite bien à l’abri dans un caisson étanche. Son premier appel est allé à son routeur Jean-Yves Bernot qui a aussitôt répercuté l’angoissante nouvelle.
Durant près de 72 heures, l’Etat Major de la Marine et le CROSS Gris-Nez vont maintenir le contact avec le PC OPS de Boston, jusqu’à ce que le trimaran atteigne la sécurité du port de Montauk le mercredi 24 août en fin d’après-midi heure française. Informé de la position et de la situation de Francis Joyon, Boston allait en quelques heures seulement envoyer sur zone un premier "Rescue Boat", chargé d’entendre de la bouche même du skipper d’IDEC son refus d’évacuer le voilier, et sa volonté de rester à bord en attendant les moyens de remorquage.
Un PT boat américain allait alors jouer 24 heures durant les chiens de garde autour du grand oiseau blessé ; IDEC a en effet dès cette première nuit, dérivé à l’intérieur même du rail des cargos qui affluent vers New York. Des hélicoptères en manoeuvre dans le secteur vont régulièrement prendre des nouvelles de Francis Joyon.
L’entourage à terre de Joyon a commencé à recevoir d’innombrables offres d’entraide, venant de particuliers comme de professionnels de chaque côté de l’Atlantique. Les navigateurs basés sur la côte Est des Etats-Unis se font les plus pressants, Jean-Pierre Moulinier en tête, vite accompagné de Rich Wilson et de Chris Segal. L’ami français brièvement rencontré avant le départ à Brooklyn, Laurent Apollon joue les "go between" et un remorqueur, le Tiger Shark de la compagnie Miller Marine Service basée à Port Jefferson est rapidement retenu pour officier au rapatriement du trimaran.
Malgré la présence à bord du remorqueur de trois plongeurs, Francis n’allait laisser à personne le soin de plonger à 40 mètres sous son trimaran pour procéder à l’amarrage du mât. Une opération périlleuse qui permettait de conserver une partie de l’espar brisé. Libéré de tous les bouts, voiles et cordages qui l’emmaillotaient, le trimaran IDEC toujours "sur le toit" débutait un lent retour vers la sécurité d’un port. C’est finalement le petit port de Montauk, East Hampton, Suffolk County, New York qui était choisi pour son caractère abrité. Francis pouvait enfin procéder à la remise à l’endroit de son trimaran, nouvelle opération délicate effectuée avec succès.
Irène l’invitée surprise…
Le Nord Est des Etats-Unis entrait alors en crise avec l’arrivée programmée et surveillée de l’ouragan Irène. Se posait naturellement et au milieu d’une belle effervescence, la question de la mise en sécurité de la plateforme. Le Musée Herreshoff situé à Bristol, Rhode Island, est un musée maritime important consacré à l’histoire de Nathanael Greene Herreshoff et de ses formidables réalisations navales. En alerte maximale à l’approche du cyclone, le musée entreprend de mettre à l’abri plus d’une centaine de voiliers, tous plus historiques les uns que les autres. Malgré cette agitation bien extraordinaire et cette charge de travail colossale, le personnel du musée se met en quatre pour accueillir IDEC. Las ! l’abri proposé est mal exposé aux vents violents qui se lèvent déjà, et Jean-Pierre Moulinier intervient de nouveau pour proposer un abri plus approprié. Alors que plus de 60 noeuds de vent commencent à balayer la zone, Francis Joyon parvient à amarrer son trimaran dans l’anse qui abrite le chantier Hunt Shipyard toujours à Bristol, Rhode Island. Fidèle à sa légende, Francis va demeurer à bord tout au long de ce qui est dès lors rebaptisé "tempête tropicale". 12 amarres sécurisent le bateau et Francis passe la nuit à régler et ajuster ses entraves. Dimanche 28 août au soir, les vents se calment ; IDEC est sauvé.
Vers un convoyage sous gréement de fortune
Si le rapatriement vers la France de la plateforme IDEC par cargo est toujours à l’étude, Francis Joyon a tenu, avant de rejoindre la France hier, à préparer le bateau pour un éventuel convoyage sous gréement de fortune. "17 mètres de mât récupéré ont été installés. J’ai pu sauver suffisamment de voiles pour pouvoir naviguer en toute sécurité" affirme Francis. "Il me reste une trinquette, un ORC et un code zéro."