Ce qui aurait dû n’être qu’un gentil convoyage routinier, au portant vers la maison, s’est mué en véritable cauchemar cette nuit… Au terme d’une exceptionnelle carrière, et moins de 24 heures après avoir inscrit un ultime record historique dans le grand livre d’histoire de la voile, le trimaran IDEC s’en est allé brutalement, « disloqué en quelques minutes après son échouage », selon les propres mots de son skipper, Francis Joyon, visiblement sous le coup de l’émotion. Lors d’une brève conférence de presse organisée à La Trinité-sur-Mer, le nouveau recordman de l’Atlantique et des 24 heures en solitaire est revenu sur ce funeste épisode. Malgré un évident déficit de sommeil, et en proie à des sentiments contradictoires – Francis évoquant tout à la fois les journées de « bonheur total » de sa traversée mais avouant également « n’avoir jamais eu aussi peur en bateau » que cette nuit – le solitaire le plus rapide de la planète a livré l’incroyable récit de son naufrage.« J’ai dû rester tétanisé pendant une heure »« Après le passage de la ligne au cap Lizard, j’ai fait route sur le chenal du Four, puis j’ai passé le Raz de Sein en soirée… Comme j’avais rendez-vous à La Trinité au matin, j’ai décidé de ralentir un peu le bateau en réduisant la toile, et en me mettant au vent arrière, cap franchement au large de Penmac’h – à peu près 30° à droite. Comme cela faisait longtemps que je n’avais pas dormi, mon sommeil a de suite été très profond… J’étais sous pilote, et je pense qu’il a dévié – comme il l’avait fait une ou deux fois pendant le record – mais je n’avais cette fois pas la vitesse suffisante pour que la variation m’alerte. Je me suis réveillé brutalement en entendant un gros crash, le bateau était posé dans les déferlantes, avec un rocher de 6 mètres de haut à gauche, et un rocher de 6 mètres de haut à droite, j’étais suspendu au milieu…J’avais filé droit sur les cailloux les plus agressifs que l’on puisse trouver vers la pointe de Penmac’h. Je pense qu’il devait être une heure du matin, et j’ai tout de suite lancé un Mayday car je croyais être sur des rochers isolés, un peu au large, je n’ai pas du tout imaginé que le bateau avait tourné au point d’être à la côte. Dans le noir total, j’ai donné ma position… et le Cross Corsen m’a informé du fait que des sauveteurs venaient à ma rencontre, car le bateau était accessible à pied ! Ils m’ont aidé à débarquer, et m’ont guidé à travers les cailloux, par la terre… J’ai dû rester tétanisé pendant une heure, car je me suis complètement laissé prendre en charge, ce qui ne me ressemble pas du tout. Comme les sauveteurs m’ont trouvé très choqué, pas tout à fait net, ils ont demandé mon hospitalisation – j’ai eu droit à 3 heures d’examens à Pont L’Abbé. Mon frère est arrivé vers 4 heures du matin, et nous sommes retournés au bateau pour essayer de le déséchouer avec l’aide de la SNSM : un pompier – plongeur s’est mis à l’eau, je suis monté sur le pont pour l’aider à amarrer le trimaran, mais pendant ce temps-là, il a pivoté, et en quelques minutes les déferlantes l’ont complètement broyé, ont fait tomber le mât… Malgré l’extraordinaire courage et la bonne volonté des gars de la SNSM, à l’heure actuelle il ne reste que des miettes . C’est incroyable qu’en si peu de temps un bateau puisse être disloqué de cette façon. »« Ces six jours en mer à bord d’IDEC n’auront été que du bonheur, et forcément, lorsque l’on connaît ce genre de succès avec un bateau, on s’y attache… Je ne suis pas loin de penser que ces morceaux de fibre peuvent réellement avoir une âme (…) J’ai vraiment l’impression que le bateau avait fait du meilleur boulot que moi, qu’il était allé chercher ces deux records : je commençais à échafauder d’autres défis, je m’étais d’ailleurs fixé d’atteindre avec lui les 600 milles en solitaire ! (…) Mais au bout du compte, en mer, on est seul responsable et il faut assumer les erreurs tout comme parfois on est amené à récolter des lauriers… »Patrice Lafargue, PDG d’IDEC : « Voir ce bateau détruit, c’est bien sûr beaucoup d’émotion, nous y étions attachés. Mais c’est Francis qui nous l’a fait aimer, et ce que nous aimons avant tout, c’est Francis – aujourd’hui il est là, c’est l’essentiel, et s’il veut encore de nous, on continuera à la suivre, à faire d’autres grandes choses. »
Trimaran IDEC : terrassé en pleine gloire
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