Alors que la plupart se sont réfugiés (les Class40) ou que d’autres l’ont évitée (les multicoques et la plupart des IMOCA), quelques bateaux de la flotte doivent affronter la forte dépression qui s’abat sur la côte Atlantique. Dans des conditions harassantes, avec 30 nœuds de vent moyen, des rafales à plus de 45 nœuds, la priorité est avant tout de préserver les skippers et le bateau. Témoignages avec les expériences des uns et des autres en vacation.
Sur la cartographie, c’est un mouvement circulaire rouge et sombre qui gonfle et qui tournoie du large vers la côte. La dépression forme une gigantesque barrière, un mur qui s’étend de l’Irlande au golfe de Gascogne. Ce phénomène météo est observé depuis plusieurs jours par les skippers et la direction de course et chacun s’est adapté. Les Class40 ont fait escale à La Corogne où les arrivées se succèdent depuis hier. « La dépression engendrait beaucoup de houle, ce que nos bateaux n’aiment pas beaucoup », souligne Ulysse Pozzoli (Renovatec – Voiles et Performances, Class40). Dans le même temps, les IMOCA ont réussi à se faufiler avant d’affronter les zones les plus virulentes de la dépression alors que les multicoques, eux, ont dépassé le phénomène et sont déjà à la latitude des Canaries.
« C’est la loi de notre sport »
Si la grande majorité de la flotte est donc préservée du phénomène, ce n’est pas le cas pour tous. Dans la matinée, six Class40 évoluaient encore dans le Golfe de Gascogne. Deux se sont réfugiés au sud de la Bretagne (Rêve de large 5, RDT Logistic-Forvis Mazars), d’autres ont pris leurs précautions au cœur du golfe (Wasabiii, Innovad.group – XLG, Ose ta victoire). Les marins de Martinique Horizon, à l’approche des côtes espagnoles, sont les plus susceptibles de faire face à des rafales virulentes. Hier lors de la vacation, Jean-Yves Aglae, l’un de ses skippers, assurait « faire le nécessaire pour ne pas prendre le gros de la dépression ». « C’est la loi de notre sport, on sait qu’il faut être patient et ça nous booste de savoir qu’on se bat pour rejoindre la Martinique ».
Côté IMOCA, les deux à avoir dû faire escale, Paprec Arkéa et MSIG Europe, doivent quant à eux affronter la dépression. « Ça s’annonce dur et intense », confiait Conrad Colman dans une vidéo, sourire aux lèvres. Dans un message audio reçu ce matin, Corentin Horeau, co-skipper de Yoann Richomme reconnaissait « être sur le qui-vive ». « Ça tape fort, il y a 35 nœuds de vent moyen, des claques à 45 nœuds, décrit-il. On essaie de ne pas être trop rapide pour ne pas fracasser le bateau… On s’est bien préparer, on a assuré le mattossage, on se relaie à la sieste, pour l’instant ça passe ». Corentin a envoyé quelques minutes de vidéo aussi. On entend le souffle intense, le ciel bas et gris et la mer qui s’abat sans discontinuer sur le bateau. Surtout, ce sont les chocs qui sont impressionnants, le rebond de la coque de vague en vague et le vacarme assourdissant.
arrivée la corogne class40
« Il faut réussir à anticiper au maximum »
Arnaud Boissières et Benjamin Dutreux (4Cad – La Mie Câline, IMOCA) ont fait partie du contingent qui a réussi à éviter la dépression. Skippers d’expérience, ils témoignent de la difficulté à survivre dans ces conditions : « l’ambiance est sombre, un peu flippante, tu sens que tu n’es pas le boss » confie Benjamin. « Quand tu te fais un café, tu as 50% qui tombe à terre, 20% sur ton ciré et que 30% dans ton gosier », sourit Arnaud Boissières. « Le plus difficile, c’est de veiller à l’intensité, à ne pas être trop dans la performance et à limiter le nombre de manœuvres », poursuit Elodie Bonafous (Association Petits Princes – Queguiner). Il faut réussir à anticiper au maximum, veiller à ne pas réduire la voilure trop tard pour ne pas déchirer ses voiles ».
Will Harris (11th Hour Racing) précise : « ce qui est primordial, c’est de bien se préparer, d’anticiper tout ce qui peut l’être et de suivre sa feuille de route avec précision ». Le skipper britannique ajoute également l’importance de « connaître son bateau à 100% ». S’ils sont rares à affronter la dépression du moment, tous ont eu un dernier aperçu de conditions harassantes dans la Manche et ce souvenir-là est bien présent dans les têtes. « C’étaient vraiment de grosses conditions. Entre la météo, les concurrents, les paquebots, il y avait des dizaines de facteurs pour faire des bêtises, reconnaît Ulysse Pozzoli (Renovatec – Voiles et Performances, Class40). Pour traverser la Manche sans encombre, il ne fallait pas être un bon coureur au large, juste un bon marin ».
La dureté des conditions, c’est le lot de tous les skippers au large. Jérôme Delire (Innovad.Group – XLG), qui a vécu une sacrée mésaventure hier, est skipper professionnel en croisière. À la vacation, il expliquait : « en croisière, on choisit toujours son moment lors d’une transatlantique pour éviter le gros temps. La différence dans une course, c’est que le départ est imposé, on ne choisit pas la météo, on doit faire avec ». Tous les concurrents de la TRANSAT CAFÉ L’OR Le Havre Normandie le savent, eux qui ont dû batailler dès la sortie de Manche. Une nouvelle démonstration de la dureté de l’exercice, l’illustration qu’on ne peut jamais banaliser une traversée de l’Atlantique.























