Les deux leaders du Vendée Globe, en route vers la dernière porte du Pacifique, n’ont été séparés que de cinquante milles au maximum en écart latéral, lors des dernières vingt-quatre heures. Autant dire une peccadille, au regard de la distance déjà parcourue. Mais la présence d’une zone de transition complexe devant leurs étraves sera peut-être l’occasion de voir une vraie rupture stratégique entre les deux navigateurs. Face à eux, un petit centre dépressionnaire en formation génère une zone de calmes, pile sur la route. Pour le contourner, il existe deux choix : par le nord, la route est la plus longue sur l’eau mais garantit – si tant est que la météo offre des certitudes – un vent à peu près régulier. Par le sud, la route est plus courte, mais fait prendre le risque de se faire rattraper par les calmes. Entre les deux routages, il existe une différence de quelques heures à peine au cap Horn. Alors quelle décision prendre ? La route nord qui impose un détour conséquent ou la route sud, plus proche de la route directe, mais qui peut se révéler piégeuse ? En corollaire, un autre paramètre entre forcément en compte. Se séparer maintenant, c’est accepter le risque que l’un des deux protagonistes prenne un avantage certain, avant le franchissement du cap Horn. A ce petit jeu, chacun s’efforce d’abattre ses cartes le plus tard possible. Mais comme au poker, il faut parfois payer pour voir. Au classement de 16 heures, les deux leaders semblaient avoir fait leur choix : route au sud, de conserve.
Ils voyagent en solitaire
Cette régate au contact a des vertus évidentes. On peut étalonner ses performances et psychologiquement, c’est rassurant de traverser ce grand désert liquide en convoi, avec un concurrent proche. Même s’il est hors de question de franchir les limites d’un risque acceptable, nul ne peut s’empêcher de penser que disposer d’un lièvre à proximité est forcément une aide à la performance. Pourtant, ils sont nombreux à aborder la dernière marche des mers du Sud sans véritable repère. Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) pointe à plus de 650 milles des deux premiers et relègue Alex Thomson (Hugo Boss) à plus de 300 milles. Le coureur britannique possède lui-même presque 900 milles d’avance sur Jean Le Cam (SynerCiel) qui poursuit sa route 400 milles devant le seul trio qui reste encore groupé composé de Mike Golding (Gamesa), Dominique Wavre (Mirabaud) et Javier Sanso (Acciona 100% EcoPowered). Derrière eux, Arnaud Boissières (Akena Vérandas) est encore à 400 milles de Bubi, soit l’écart entre Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde avec EDM Projets) et Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur). Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) n’a pas ces états d’âme. Naviguer à 4800 milles des premiers, cela n’est rien, quand on a dans sa besace un tour du monde en solitaire, sans escale sur un Mini de 6,50m en 268 jours.
Ce bel ordonnancement peut aussi être bouleversé. Il suffit parfois d’un grain de sable pour dérégler une belle mécanique. Bernard Stamm, au mouillage devant Dunedin, en sait quelque chose. Le skipper de Cheminées Poujoulat, malgré une machine taillée pour la performance, est embarqué dans une spirale infernale, du fait de la casse de ses supports d’hydrogénérateurs. Alors qu’il bataillait encore pour la quatrième place, Bernard peut, dans le meilleur des cas, repartir avec le groupe des Tontons Flingueurs qui, après avoir perdu Jean Le Cam, récupérerait un autre coureur de tempérament. Reste à savoir si ce groupe ne va pas exploser. Javier Sanso a annoncé, lors du direct avec le PC Course, qu’il était de nouveau aux prises avec des soucis de rail de grand-voile. Bubi s’apprête donc à remonter cette nuit – quand il fera jour aux antipodes – pour tenter de réparer la pièce. Le skipper espagnol a mis un peu de nord dans sa route pour bénéficier de quelques degrés de température supplémentaires. Quand on est ballotté à 27 mètres de haut, on a le droit de s‘offrir quelques éléments de confort.
Ils ont dit
Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Le vent a molli un peu, ce qui n’est pas mal car on a eu une nuit plus agitée que ce qu’on avait prévu. C’était assez tonique. C’est l’heure des choix, on a des routes différentes devant nous avec une transition devant, dans les prochaines 24 heures, quand on passera la porte. On va garder notre stratégie, mais effectivement on va s’intéresser à la météo. »
Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) : « C’est incroyable dans les mers du Sud, même quand il n’y a pas de vent, la grande houle reste. Les phénomènes ondulatoires sont importants ici, ce n’est pas comme en Méditerranée. Le bateau tape même dans le vent faible. L’effet d’élastique est bien présent lors de mon tour du monde. Hier, j’avais grappillé 50 milles, ce matin (heure française), j’ai perdu 162 milles dans la pétole. Rien n’est joué, chaque jour est une nouvelle aventure.»
Jean Le Cam (SynerCiel) : « Pour moi, le passage important du tour du monde c’est quand tu passes ce fameux antiméridien. Jusque-là, ta position augmentait dans l’Est et là, arrivé à 180°, le décompte s’inverse, un peu comme un compte à rebours. Tu as fait la moitié de la terre et plus ça va plus tu te rapproches de la latitude de l’Europe. Les Sables d’Olonne sont à 2°Ouest et le Cap Horn est à 67°Ouest. Il ne me reste plus que 113° pour le Horn et ça fait plaisir. Ce n’est plus beaucoup en comparaison de tout ce que l’on a fait. »
Bertrand de Broc (VNAM avec EDM Projets) « Il y a entre 20 et 32 nœuds de vent, la mer n’est pas très belle. Ce n’est pas simple. On va avoir une météo calme pendant 3 jours mais à long terme ça a l’air pas mal. On navigue relativement près des côtes, donc les conditions sont assez particulières. »
Arnaud Boissières (AKENA Vérandas) : « Il pleut, il y a du vent, des vagues mais c’est super. J’ai fait une manœuvre à l’avant du bateau ce matin, j’étais trempé mais c’est que du bonheur. Par contre l’eau est froide ! Il y a une belle allure qui nous permet d’avancer vite, le bateau se porte bien et je veux rester à l’avant du front. Un peu comme un tapis roulant, la dépression va finir par me dépasser mais plus je reste avec elle plus je peux réduire l’écart avec ceux devant. Il ne faut pas trop lâcher prise et garder de la toile pour avancer le plus vite possible, même si parfois c’est un peu chaud. »
Classement de 16h
1 Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 9198.4 nm
2 François Gabart Macif à 10.3 nm
3 Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 687.8 nm
4 Alex Thomson Hugo Boss à 1072.8 nm
5 Jean Le Cam SynerCiel à 1968.6 nm
6 Mike Golding Gamesa à 2341.2 nm
7 Dominique Wavre Mirabaud à 2380.2 nm
8 Bernard Stamm Cheminées Poujoulat à 2430.3 nm
9 Javier Sanso Acciona à 2623.0 nm
10 Arnaud Boissières Akena Verandas à 3079.9 nm