«Ce qui me plaît avant tout au large, ce sont les courses en double et en solitaire – car le solo permet d’aller chercher les forces que l’on exploite jamais dans la vie de tous les jours. Au niveau émotionnel, je ne connais rien de plus fort. La Route du Rhum a évidemment une place à part, car j’ai vécu en Guadeloupe, et j’y ai pas mal d’amis… Forcément, dans ce cadre-là, une arrivée dans une ambiance de fête est incomparable ! J’ai beaucoup aimé me battre sur l’Ostar aussi, mais j’avoue que Pointe à Pitre est plus attirant que Newport ! Tactiquement, le Rhum est un exercice passionnant, et lorsque les choses se passent bien, c’est un grand sentiment de satisfaction pour toute l’équipe qui s’est investie derrière le solitaire.
Et je dois dire que question équipe, j’ai été servi, car j’ai toujours travaillé avec un noyau dur de fidèles… et lorsqu’on s’est retrouvés en 1998 à quatre de l’équipe Primagaz à prendre le départ du Rhum, c’était quelque chose ! Nous étions dans 3 catégories différentes, moi-même et mon frère Yvan en multi 60, Thomas Coville en mono 60, et Stève Ravussin en multi classe 3 – malheureusement, Yvan a démâté juste après le départ, mais les trois autres ont gagné dans leurs catégories respectives ! Un bonheur difficile à décrire, car il représentait l’aboutissement du rêve de toute une équipe, et pour une fois il n’y avait pas qu’un seul bonhomme à récolter les lauriers… Aujourd’hui, cela continue car je suis très fier de les voir tous patrons de leur écurie, avec leur propre machine, dans la plus belle catégorie qui soit. Celle qui me fait le plus vibrer, en tous cas. Comme je leur dis souvent à tous les trois, « vous vous débrouillez dans l’ordre que vous voulez, mais vous me faites ça proprement ! »
Plus personnellement, pour moi le Rhum c’est une longue histoire. En 1990, j’avais vécu une traversée infernale car je devais pomper tous les quarts d’heure pour éviter que l’eau ne monte au niveau de l’alternateur… Arriver, dans ces conditions et pour ma première course – j’avais 24 ans – troisième à une minute de Philippe Poupon, le vainqueur de la précédente édition, c’était déjà un bon début. Remporter la victoire en 1994 a été fantastique, nous avions beaucoup travaillé et gagné en maturité. Après cela, beaucoup de gens m’ont dit que j’étais un peu fou de me relancer dans l’aventure, car me disaient-ils « tu ne feras jamais mieux, tu devrais arrêter là ». Ce qui était hors de question, car nous progressions encore, la bateau n’arrêtait pas d’évoluer ! Et cela a payé en 1998, car je suis arrivé premier, avec un trimaran absolument intact tant il avait été bien préparé. Par la suite, j’ai quitté le circuit volontairement car ses nouvelles orientations ne me plaisaient pas – je n’ai pas arrêté par manque de sponsor ou de résultats sportifs. L’idée était de s’orienter plus vers des Grand Prix, ce qui m’allait plutôt bien dans l’absolu, mais à mon sens il fallait développer les bateaux pour le large, et faire des GP avec. L’autre tendance, qui s’est imposée, était de faire l’inverse : courir au large avec des machines de GP. C’est là que la scission s’est opérée, car à mon sens on sortait du domaine du raisonnable. Malheureusement, je pense que la classe en fait les frais aujourd’hui, et je le déplore car ce sont des bateaux que j’adore… »
Propos recueillis par Jocelyn Blériot