Michel Desjoyeaux

Michel Desjoyeaux Portrair Route du Rhum 2006
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Quel regard jettes-tu sur ces années ? «Cela a démarré très fort et ma foi, cela ne se finit pas trop mal. Bien sûr, je ne suis pas sur le podium mais j’ai quand même été l’un des animateurs de la course. Entre la Route du Rhum 2002 et celle-ci, j’ai énormément navigué et à bord sont passés beaucoup de salariés de Géant. Par contre, je n’ai pas été très brillant en équipage mais j’ai la satisfaction d’avoir terminé toutes les épreuves. Ma recette ? Savoir lever le pied et avoir disposé d’un voilier très bien construit, solide et rigide. »

Qu’as-tu appris durant ces quatre années ? « Que la gestion des ressources humaines est une opération difficile…. Quand l’équipage et toute l’équipe fonctionnent bien, c’est génial mais quand cela coince un peu c’est difficile. Pour avoir été équipier dans des projets de ce type, ce sont des préoccupations que tu ne devines pas à ce point. Autre enseignement : il s’agit d’un sport mécanique en pleine évolution et pour ne pas être décroché, il faut savoir faire évoluer le bateau. Comme les moyens ne sont pas illimités, tu ne peux pas concrétiser toutes tes idées donc tu fais des choix. Parfois ils sont bons, parfois moins. Dans les réussites de Géant, il y a le concept général du bateau je l’ai dit, par contre je n’ai pas réussi à faire ce que je voulais avec le système à deux safrans. C’est le côté empirique de la méthode « Desjoyeaux ». D’autre part, si mes essais de dérive orientable ont été laborieux, je suis certain que le concept est bon et qu’un jour, plus abouti, il portera ses fruits. Côté navigation, j’ai appris l’habitude d’aller vite. Le secret de la victoire de Lionel c’est d’ailleurs, je pense, d’avoir accepté d’aller vite tout le temps.»

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Tu as remporté la Twostar avec Jean Maurel en 1990 à bord d’un 60 pieds, Elf Aquitaine III, comment vois-tu l’évolution de cette classe ? « Ils sont plus marins et rapides que ceux de la génération précédente. Cette Route du Rhum a rappelé combien ils étaient exceptionnels. Il faut accepter qu’ils puissent chavirer et casser. Si je regarde les trimarans d’il y a quatre ans, j’ai l’impression que ce sont de vieux bateaux, alors 1990… D’ailleurs, la comparaison était simple puisque Elf Aquitaine se trouvait au départ dans le bassin Vauban sous le nom de Madinina et là tu te dis que ce ne sont plus les mêmes bateaux ! Avec Jean, je me souviens n’avoir jamais dépassé les 24 nœuds. »

Qu’aimerais-tu modifier dans cette classe ? : « Je suis pour interdire le routage. C’était le cas dans la Transat anglaise 2000. L’argument sécurité ne tient pas car le routage n’a pas empêché la flotte de se retrouver acculée par les dépressions dans un cul de sac dans la Route du Rhum 2002. L’argument, c’est : on ne peut pas contrôler la tricherie mais moi je préfère courir le risque d’être traité de tricheur que d’être téléguidé depuis terre. Car dans le premier cas, je sais que je pourrais toujours me regarder dans la glace alors que je ne vois pas comment réfuter complètement la 2ème accusation. »

Que penses-tu du circuit ? « Je regrette que l’on ne profite pas encore plus des Grands Prix pour aller au devant des publics. Au nom de la priorité sportive, on reste trop loin des côtes. De même, on peut embarquer plus de monde à bord pour découvrir ces bateaux en régate. Autant il y a des choses qui coutent chers, autant ce genre d’idées est gratuite… Il faut aller vers davantage de spectacle. Et il faut mettre les gens dans le spectacle. Je remarque aussi que si les retombées médiatiques ne compensent pas toujours l’investissement dans les épreuves de ce type, le résultat de cette Route du Rhum comme toutes les Transats depuis 2000 confirme que sportivement mieux, il vaut mieux avoir disputé le circuit toute l’année. C’est efficace !».

Et l’avenir du circuit après cette Route du Rhum ? « J’espère que cela va définitivement réhabiliter cette classe et remettre le clocher au centre du village ! Même si le départ de marins comme Alain (Gautier) ou moi ne simplifie pas la suite mais je suis confiant. Ces bateaux ont montré qu’ils étaient bien les rois de l’Atlantique. En tous les cas, jamais je n’ai ressenti autant de plaisir en navigation. »

Tu y reviendras ? : « Je vais faire le Vendée Globe parce que la prochaine édition va être sportivement passionnante  mais après, je souhaite revenir au multi. »

Tu t’es attaché à ton trimaran ? « Je sens que cela ne va pas plaire mais je ne m’attache jamais à un bateau. Par contre, je vais conserver des souvenirs forts. Pas toujours bons : deux ans après, je reste frustré de mon abandon dans l’une des manches du Grand prix de Lorient. A l’inverse ma victoire dans The Transat constitue l’une des mes plus belles courses. Peut-être aussi parce qu’il s’agit d’une Transat plus dure : quand tu files à 30 nœuds en plein brouillard avec une eau à 5°, c’est quand même plus dur que les Alizés. Sur cette Route du Rhum, je n’ai pas réagi à temps à l’accélération de mes concurrents et surtout de Lionel et après c’était trop tard. Sur The Transat, c’est moi qui ai imprimé le rythme ».
    
Au cours de ces quatre années, tu as acquis deux titres majeurs en solitaire au point que désormais, on te classe dans la cour des très grands, tu le vis comment ? « C’est à force de le lire dans la presse que je m’en suis rendu compte. Mais cela n’a jamais été un but, un plan de carrière. Cela s’est constitué victoire après victoire sans que je le veuille. Et cela me va bien ».

Source Géant