Le Pot au Noir n’est pas une Arlésienne : il existe bel et bien mais il a ses humeurs. Un jour il s’étend jusqu’aux limites de l’arc caraïbe, un autre il se compresse sur les côtes guinéennes, une fois il monte jusqu’à la Gambie, une autre il prend ses aises sur plus de 600 milles de large et 1000 milles de long. En cône, en rond, en long, en large et en travers : le Pot au Noir est un phénomène fluctuant qui rend les prévisions météorologiques délicates, surtout qu’il y a peu de stations météo à l’alentour, que le trafic maritime est réduit et que la situation est très variable au fil des heures. Un casse-tête pour les routeurs… et pour les équipages qui le traverse. Aux temps anciens, quand les marins l’affrontaient pour aller transporter le « bois d’ébène », les esclaves du Ghana au Brésil, ils devenaient parfois fous : à cause de la chaleur, de ces calmes insoutenables et sans fin, de ces grains qui font le tour des points cardinaux, de ces bourrasques qui déchirent les voiles, de ces éclairs qui explosent les espars, du scorbut et de la déshydratation… Désormais, les voiliers ont suffisamment de toile pour avancer à plus de dix nœuds quand la brise ne dépasse pas huit nœuds et ce passage est, sinon toujours aussi éprouvant à franchir (chaleur = 45°C, humidité = 100%, variabilité du vent = 0 à 40 nœuds, incertitude de la sortie = entre 5° et 1° Nord…), nettement moins long à effectuer. Cette fois, du moins pour les leaders en monocoque Imoca et en trimaran Orma (car dans trois jours, la situation peut totalement changer), le Pot est cerné. Pot tout rond pour les tris, Pot chiche pour les monos. Le Pot de terre est fragile, inconstant, étendu… Le Pot au large est ridicule, presque inexistant ! Un Pot de chagrin… Pour les quatre trimarans, le Pot est une vaste masse de vents faibles et variables avec rafales sous des grains qui se développent en milieu de journée, au plus fort de la chaleur équatoriale pour être très actifs en début de nuit. Une zone informe, qui envoie ses métastases pour mieux phagocyter les équipages dans ses tentacules. Ventousés, scotchés, collés, freinés, Banque Populaire, puis Géant, puis Gitana 11 sont bien rentrés dedans et ne progressent plus qu’à moins de dix nœuds quand TIM-Progetto Italia est encore à plus de 15 nœuds… Mais cela ne saurait durer : si les écarts sont passés à trente milles entre les trois premiers, le trimaran italien devrait aussi se caler à cette distance dans les heures qui viennent. La surprise vient du fait que l’entrée dans le Pot a été très brusque et plus tôt que prévu, sur le 11° Nord ! Est-ce à dire que les bateaux vont en sortir aussi plus tôt ? Rien ne le laisse entendre… Sur la carte, Banque Populaire reste sur le 22° Ouest avec Géant à 25 milles dans son Ouest et TIM-Progetto Italia à 30 milles dans son Est : la stratégie est de contrôler ses concurrents en se plaçant devant, sachant que le premier à sortir du Pot au Noir, va refaire son avance acquise au Cap Vert. Gitana 11 tente quant à lui un coup plus délicat en étant décalé de près de cent milles dans l’Est, plus près des côtes africaines. S’il traverse le Pot à la même vitesse que les trois autres trimarans, il va sortir avec un meilleur angle pour le long bord de près vers Ascension. Mais il faudra attendre lundi soir pour se faire une idée plus précise de la validité des stratégies adoptées.Pour les monocoques Imoca, il n’y a pas de Pot… ou presque. Calés sur le 27° Ouest, les deux leaders ont incurvé leur route vers le Sud après leur long bord au 200° pour passer à l’extérieur de l’archipel du Cap Vert. Ils n’ont pas subi les effets perturbateurs des îles ou très peu, et naviguent avec une mer assagie dans un alizé encore soutenu de plus de 18 nœuds. Le vent commence à refuser, à passer du Nord Est à l’Est et de l’autre côté de la ligne de changement d’hémisphère, les alizés sont aussi musclés de secteur Sud Est à Est. Cela signifie que le gain dans l’Est n’est pas très intéressant car les monocoques vont peu ralentir et rapidement ré-accélérer au vent de travers avec 20 nœuds minimum de brise jusqu’au Brésil. Une seule voie donc pour les monocoques, en file indienne… comme des peaux rouges ! Le duel est donc relancé entre Virbac-Paprec et Sill & Veolia très proches l’un de l’autre, tandis que les poursuivants s’alignent sans espérer revenir au contact, du moins pas avant quelques jours. Chez les multicoques 50 pieds, Crêpes Whaou ! semble décider à traverser l’archipel capverdien et devrait l’atteindre quand son poursuivant immédiat sera… aux Canaries ! Un écart abyssal. Et chez les monocoques de 50 pieds, Gryphon Solo a gagné cinquante milles en 24 heures car Vedettes de Bréhat s’est enferré la nuit dernière entre La Palma et Hierro (Canaries). Le duo semble lui aussi viser dans deux jours, l’archipel du Cap Vert. Ainsi la Transat Jacques Vabre tourne désormais au duel de duos chez les monocoques (Dick-Peyron face à Jourdain-MacArthur) mais les cartes sont très brouillées pour les trimarans (Bidégorry-Lemonchois, Desjoyeaux-Destremau, Le Peutrec-Guichard, Soldini-Malingri). Un dimanche de récupération pour les monos, un dimanche d’incertitude et de manœuvres pour les multis…D. Bourgeois
Un Pot cible
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