
A l’arrivée au Brésil, les hommes qui auront traversé l’Atlantique auront vécu une vraie aventure humaine. Mais comment ces duos sont-ils construits ? sur quels critères ? qui valide finalement leur constitution ? quel partage entre les anciens et les jeunes ? et qui décide à bord ?
Marc Guillemot co-skipper du Class40 Beijaflore de William Mathelin-Moreaux, Kito de Pavant skipper du Class40 « Made in Midi » avec Achille Nebout, Armel Le Cléac’h co-skipper de l’IMOCA « Banque Populaire » de Clarisse Cremer, Vincent Rioux co-skipper de l’IMOCA « Arkea-Paprec » de Sébastien Simon, Christopher Pratt co-skipper de l’IMOCA Charal de Jérémie Beyou et enfin Yann Elies co-skipper de l’IMOCA Apivia de Charlie Dalin, quarante-deux participations déjà cumulées sur cette Transat, nous ont livré leurs explications avant de prendre le départ.

1. Le choix
Marc Guillemot : « Habituellement toutes les transats en double se font sur le choix du skipper. Le président de Beijaflore m’avait demandé de coacher William pour la route du Rhum et ensuite de trouver un bateau. C’est donc un choix du sponsor. C’est une première pour moi, cela ne va dire que cela ne va pas fonctionner. »
Kito de Pavant : « Notre rencontre avec Achille ? sur Meetic ! plus sérieusement nous avons une structure « Made in Midi » qui favorise non seulement les entreprises mais aussi ceux qui savent faire du bateau. Achille s’est décidé à se lancer vers la course en large avec un diplôme d’ingénieur en poche. Il a déjà fait le Tour Voile avec le team et le choix était une évidence pour moi. »
Armel Le Cléac’h : « Banque populaire souhaitait combler le vide de deux saisons, lié à la construction du nouvel Ultim avec une absence potentielle sur les événements médiatiquement importants. Ils ont souhaité faire le Vendée globe et la décision a été de monter un projet « première chance » pour un jeune avec le choix de Clarisse Cremer. Il m’a été demandé de l’accompagner pour sa première saison. Je n’ai pas contribué au choix. Cela change de ce que j’ai vécu, j’ai toujours choisi mon skipper ou bien j’ai été choisi par affinité ou pour mon expérience »
Vincent Riou : « Je connais Sébastien Simon depuis plusieurs années, nous avons un excellent souvenir du Tour de Bretagne. Il m’a sollicité pour intégrer l’équipe de son projet Vendée Globe, Nous avons conçu le bateau ensemble et il semblait assez naturel de l’utiliser à deux pour aller au bout de l’histoire. Ainsi nous poursuivons l’aventure technique. L’objectif du projet Arkea Paprec reste de faire une première course de mise au point, nous ne serons pas dans le domaine de la compétition »
Christopher Pratt : « On a encore tellement à apprendre sur le bateau que l’idée c’est de ne pas perdre de temps à savoir comment fonctionner avec le coéquipier. Avec Jérémie Beyou, nous sommes sur un duo de facilité et de fiabilité comme Yann Elies et Charlie Dalin. Ils sont complémentaires avec le même concept d’avoir déjà navigué ensemble. Nous, nous voulions être focus sur la performance du bateau et la façon de l’utiliser sans se prendre la tête sur le duo. »

2. La transmission
Marc Guillemot : « Avec Jean Le cam nous étions autrefois les mickeys au départ et sommes devenus les plus vieux. La différence est que nous naviguons toujours sur des bateaux performants. Les anciens auparavant n’avaient pas forcement cette chance. Notre génération a fait toute sa carrière dans la voile, nous sommes la première génération professionnalisée et rémunérée. Aujourd’hui nous arrivons vraiment à un passage de témoin générationnel. Notre expérience est solide, nous avons construit notre parcours avec nos hauts et nos bas et nous arrivons au temps de la transmission. Et si nous n’avons pas nos projets, nous partageons avec les jeunes. La transmission est, il faut bien le dire, un moyen de naviguer sur des beaux bateaux. Je n’ai pas de partenaire me permettant de faire cette Transat et d’assouvir ma passion. Ça tape, ça n’est pas confort, on dort dans le fond du bateau, il y a tout ce qu’il faut pour que cela soit nul et pourtant on y retourne ! Transmettre c’est aussi valorisant, c’est donner un peu de soi. Il y a toujours un peu de fierté, c’est sympa de se retrouver en mode Jedi – Padawan. »
Kito de Pavant : « Cette transat est le meilleur moment pour mon coéquipier pour apprendre plein de choses, je me retrouve dans mon rôle pour transmettre ce que je sais. Attention on y va pour la gagne ! Plein de jeunes ont envie avec beaucoup de talent. Ils sont malins, la tête bien faite avec envie de faire ce que nous faisons depuis trente ans. Ils ont les crocs, ils rêvent de nous mettre à la porte et ils vont y arriver assez rapidement. »
Vincent Riou : « Nous avions navigué ensemble pour préparer la Route du Rhum et sur une tentative de record. Ce programme de transmission s’achève avec cette dernière course IMOCA en double d’ici le Vendée Globe. C’était le bon moment, mon expérience actuelle est valide car je connais bien la classe. Dans deux trois ans, j’aurai perdu le fil de l’histoire. »
Yann Elies : « Au début, il y a cinq ans, Charlie était vraiment junior et la transmission était forte mais cela est beaucoup plus réduit aujourd’hui. Sur l’utilisation d’un bateau en mode Vendée Globe avec un focus sur l’intégrité du bateau, je peux encore lui apporter car j’ai cette expérience. »

3. Quels duos pour la Transat Jacques Vabre Normandie le Havre ?
Marc Guillemot : « Tout d’abord le duo basé sur l’amitié avec complémentarité de compétence. Il y a aussi le duo transgénérationnel avec un jeune qui démarre et souvent le sponsor appuie ce genre de démarche, le duo de communication que l’on a pu voir dans le passé avec l’humoriste Francois Damien associé à Tanguy de Lamotte pour porter la cause « mécénat chirurgie cardiaque » qui ne recherche pas la performance pure. Enfin je peux citer le duo efficacité / résultat comme Yann Elies et Charlie Dalin même si l’amitié est sans doute présente. Sans atomes crochus, cela ne peut fonctionner qu’aux forceps. Même avec des champions. La complémentarité, l’envie partagée d’être ensemble sont indispensable. On l’a vu dans un autre domaine avec la gouvernance Renault où chacun avait envie d’y arriver tout seul.
Kito de Pavant : « Pour la gagne, choisir des personnes hyper compétentes, sinon on a beaucoup de couples affectifs. Traverser l’Atlantique n’est pas si simple en termes de relation humaine. En IMOCA on a souvent l’occasion de bâtir des duos et j’avais fait des listes de critères. : Age, bilan sportif, communication pour les sponsors, la stratégie avec l’analyse des situations météo pour prendre les bonnes décisions, la compétence générale, être dur au mal, la souplesse nécessaire, être tolérant car il y a des caractériels chez les skippers solitaires. Tout cela entre en ligne de compte »
Armel Le Cléac’h : « Il y a souvent des duos d’expérience, cette course est longue et il nécessaire de bien s’entendre. Il s’agit d’une solitaire à deux avec des marins habitués au solitaire ».
Vincent Riou : « Il y a de tout. Certains viennent pour découvrir, pour préparer de projets d’aventure pour le Vendée Globe. Pour la gagne, on choisit celui qui semble être le meilleur partenaire et ceux qui arrivent prennent des partenaires expérimentés pour gagner du temps et tendre vers leur ambition. Il faut une vraie envie collective, c’est bien d’accepter de ne pas avoir toujours le leadership surtout chez les très compétents. L’école de voile française est très solitaire. J’ai gagné à deux reprises sur PRB : avec Jean le Cam qui a dû me laisser décider de temps en temps et s’assoir sur son orgueil car c’était mon bateau. J’ai aussi gagné avec Sébastien Col, un excellent régleur et barreur qui est rentré dans son rôle comme un gant et nous a permis de performer. »
Christopher Pratt : « Selon moi, soit on recherche une complémentarité ou un binôme égal. Le duo reste du solo à tour de rôle. On peut avoir besoin d’être challengé sur la navigation, la stratégie, la vitesse du bateau les réglages, …. Des joueurs de foot d’une même équipe peuvent ne pas s’aimer, mais nous, nous passons douze jours l’un sur l’autre. Confiance, savoir-vivre sont importants. Je ne pourrai pas faire une transat sans avoir d’atomes crochus avec la personne »
Yann Elies : « Un jeune et un vieux vont fonctionner pour couvrir tous les spectres de compétences notamment avec l’évolution ultra rapide des technologies. Il faut un geek ! Même si je me mets à jour tous les ans, je reste en déficit par rapport à Charlie. Les anciens ont plus d’expérience mais évoluer avec un jeune permet à chacun de se nourrir et d’être un peu moins con qu’avant la collaboration »

4. Qui décide ?
Kito de Pavant : « On se croise beaucoup avec la prise de quart, certains duos n’ont aucun échange. Il y a beaucoup de solitaires dans notre monde franco-breton. Chaque décision doit donc être argumentée au coéquipier pour transmettre les éléments de prise de décision ; c’est compliqué et important. Nous les vieux loups de mer, nous ne sommes pas des gens faciles. Il m’est déjà arrivé d’être numéro deux, cela ne pose aucun problème. Sur le tour de Bretagne, Achille était le patron et je tenais à ce qu’il prenne les responsabilités. On peut toujours avoir des difficultés, j’en ai eu avec Sebastien Audigane sur une Barcelona World Race. C’était long et je ne lui pas laissé assez de place car c’était mon projet avec Bel. Cela a créé des tensions, cela a été compliqué, mais cela arrive »
Armel Le Cléac’h : « Il y a une grosse différence d’expérience avec Clarisse. Pour cette course je sais que je vais être à la fois co-skipper et chef d’orchestre. Je vais prendre toutes les décisions importantes. Officiellement Clarisse décide, officieusement c’est moi qui décide même si elle commence à prendre de plus en plus d’autonomie. C’est normal, ensuite elle ne fera que des courses en solitaire avec sans transition le convoyage retour du Brésil en solo. Elle devra se nourrir de l’apprentissage de cette course »
Vincent Riou : « Le projet c’est celui de Sébastien. Il veut continuer à se former sur la météo et la stratégie, il va donc prendre le leadership. C’est une première pour moi de ne pas décider les trajectoires et je dois m’assoir là-dessus et laisser faire. Mais cela va aussi me permettre de me remettre en question en voyant une autre façon de réfléchir et de faire. Pour le reste c’est de toute façon du faux solitaire, c’est 8 à 10h sur le pont où tu fais marcher ton bateau à fond »
Christopher Pratt : « ici les choses sont claires : Jérémie c’est le skipper, c’est son bateau, je suis le second »
Le mot de la fin pour Yann Elies : « L’important n’est pas d’être ami au départ mais de l’être à l’arrivée »
Christophe Nivelet






















