Thomas Coville, “la boule au ventre”

iceberg coville
DR

« (…) Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit. (…) Seuls les deux traits de sillage laissés par les safrans marquent l’obscurité. Les yeux me piquent tellement je scrute le radar. Lorsque je vais dehors, j’ai l’impression de voir sortir une masse claire (un iceberg, ndr) toutes les minutes. (…) J’ai la gorge serrée. Je me suis fait un thé brûlant. Une partie de moi reste concentré sur le bateau et l’autre est en mode survie. J’imagine tous les scénarios, mais aucun n’est le bon. La combinaison et le matériel de sécu sont à mes pieds (l’Iridium de secours et le kit de base). Pourquoi faire ? Je n’en sais rien. Je regarde même la carte une nouvelle fois. Loin, bien loin de tout! Je suis juste sous le Cap de Bon Espérance.
Depuis ce matin, j’ai cette boule au ventre qui ne me quitte plus. Par 48° 45 Sud et 10° 19 E, je suis le témoin oculaire de ce fameux réchauffement climatique. De mémoire de naviguant, on n’avait jamais vu de glace aussi Nord en cette Saison. (…) Je pensais être sorti d’affaire, mais la température de l’eau rechute brutalement à 5° puis 4.9°, signe de leur présence proche. Je sors sur le pont, l’atmosphère est glaciale et le vent apparent créé par la vitesse du bateau renforce la sensation de froid. L’aube blanchit. Je retrouve les contours du bateau. L’écume blanche du moutonnement des rafales sur l’eau ressemble à s’y méprendre à une plaque de glace. A chacune d’entre elles, je me contracte un peu plus. Au loin, une masse plus limpide ressort, juste dans mon Est. Je retiens mon souffle… encore un ? Ce ne sont que les premiers rayons du jour qui sortent juste sous les nuages de l’horizon. J’arrive à trouver la force de sourire. Je vais retrouver mes yeux pour quelques heures. Cette nuit a été l’une des plus longues de mon existence. Il faut que j’arrive à dormir un peu avant la prochaine nuit…. »

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