Menace anticyclonique

Nicolas Troussel
DR

Si la nuit de dimanche à lundi avait été placée sous le signe des nuages et des lignes de grains à répétition, celle qui bât son plein pour les concurrents de la Transat BPE semble leur accorder le meilleur, avec 18 à 20 nœuds de moyenne de secteur Nord Est et un ciel étoilé. Dans de telles conditions, il est donc plus aisé pour les solitaires de s’accorder de précieux moments d’un sommeil qui vient alors réparer les manques et longues heures passées à la barre, imposées par une première semaine de course conjuguée au près. Mais ce sommeil, s’il est essentiel en ce qu’il permet de combler une lacune évidente, offre aussi une échappatoire au danger qui menace et dont on ne sait encore à quel point il sera cruel. Sur le point d’en connaître la gravité, les avis divergent légèrement selon que l’on soit au Nord ou au Sud… mais sur le fond tout le monde est d’accord; il y a urgence à gagner dans le Sud ! La raison de ce brusque mouvement de foule ? Une bulle anticyclonique dont on prévoit la formation sur la zone actuelle de navigation des marins de la Transat BPE d’ici moins de 48 heures et dont on sait que la conséquence résidera dans la rupture de l’alizé et la désertion du vent. Pour se sortir des affres de ce phénomène météorologique dénué de toute séduction, la solution sera donc de gagner dans le Sud de manière suffisamment rapide.

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Gérald Véniard, actuel leader de la flotte, se fixait ce matin la limite du 25° Nord comme latitude frontière en deçà de laquelle il gardait toutes chances pour le sprint final. Pour ce faire, chacun va donc devoir garder un œil sur les évolutions du vent et déclencher au moment opportun le ou les empannages, en fonction de la position sur la scène atlantique, afin d’opérer un grain efficace dans le Sud. Sans tomber dans la stratégie du « sauve qui peut », il convient donc aujourd’hui et pour les 48 heures à venir, d’être extrêmement vigilant quant à sa route. Qui traînera en chemin verra le verdict impitoyable tomber, se fera enfermer dans la bulle et laissera ses petits camarades s’échapper pour de bon !
 
Du plus Nord, Adrien Hardy (Agir Recouvrement) au plus au Sud, Erwan Tabarly (Athema), aucun ne veut connaître la sanction de la pétole. Le benjamin de la course, jusqu’alors campé sur ses positions, a d’ailleurs lui-même amorcé une descente depuis hier soir. Le phénomène se généralise et le positionnement de la flotte est loin de prendre des allures d’entonnoir. La réduction des écarts en latéral n’est pas à l’ordre du jour et chacun cherche le Sud…
 
 
Ils ont dit…
 
Gérald Véniard (Macif) – 1er au classement de 5h
 
« La nuit a été moins difficile que celle d’avant, le temps était  plus calme, et on a vu un peu la lune donc c’était plus joli. On a 18/20 nœuds de vent en moyenne, parfois moins, le ciel s’est globalement dégagé et on est au portant. Je suis un peu déçu de ma vitesse par rapport aux autres mais je fais avec ce que j’ai comme vent. J’ai mis un peu de Sud dans ma route, comme tout le monde. On est obligé, il faut aller en dessous de la latitude 25 le plus rapidement possible car un anticyclone va venir casser les alizés au niveau de cette latitude. Du coup, dès que les conditions le permettent, on empanne pour faire du sud. Je pense qu’avant le 16 avril, c’est à dire d’ici 48 heures, il faudra avoir fait les 300 milles qui nous séparent de la latitude 25 parce qu’il n’y aura plus de vent là où on est actuellement. Une dépression va passer avec un front, ça va casser l’anticyclone qui va se reformer exactement là où on est, donc vraiment, il ne faut pas traîner. Notre but  c’est de ne pas se faire attraper par la bulle car la « cuvette est pleine de bouillon » comme on dit ! Niveau sommeil ça va nickel, j’ai une patate phénoménale».
 
Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) – 3ème au classement de 5h
 
« La nuit a été plutôt sympathique, étoilée, et on n’a pas eu de grains intempestifs cette fois-ci. J’ai pu dormir et faire de la stratégie donc c’était bien. Les conditions risquent de se dégrader dans les jours à venir. Ce ne sera pas une vraie une rupture d’alizés mais un passage de dépression assez nord qui va perturber le flux de nord-est donc il va falloir descendre vers le sud. C’est à Adrien et moi, les deux les plus au nord, de descendre au plus vite. Mais cette nuit j’ai eu les cartes américaines et pour moi le danger n’est pas si imminent que ça… J’ai déjà fait des petits empannages pour gagner dans le sud ce matin, ça me semblait intéressant d’y aller mais finalement ce n’était pas top donc suis retourné à tribord. Le vent bouge tout doucement, degré par degré, donc ce n’est pas facile de trouver le bon moment pour y aller. Mais sinon tout va bien à bord de Suzuki. La première semaine a été tellement rude que je n’ai pas récupéré en une seule nuit. Il y a quand même quelques séquelles physiques. Mais là, être sous spi c’est génial, c’est des bateaux faits pour faire du portant… Cette nav là c’est vraiment sympa, ça va vite. C’est juste stressant quand le vent mollit. La première partie de cette transat en fait c’est la partie stratégique, c’est super intéressant. Ensuite la deuxième partie c’est la nav qui est super agréable et en plus les températures se réchauffent… Mais les deux parties ont leurs bons côtés. »