Il a suffi d’un grain. Alors que de l’aveu même d’Erwan Tabarly (Athema), la victoire semblait ouvrir ses bras à Gildas Morvan (Cercle Vert), un nuage est venu redistribuer les cartes. Pour un petit mille, c’est le skipper d’Athema qui a pris les commandes de la course. Entre les deux compères, hier équipiers sur la Transat AG2R 2006, il n’y aura pas de petits arrangements entre amis. L’issue de la course devrait se nouer vers 4h (heure française).
Il doit sûrement exister une part de plaisir sado-masochiste à faire de la course au large. Comment expliquer autrement que l’on accepte de vivre dans l’inconfort permanent pendant vingt jours, que l’on tire sur les muscles du dos à chercher à barrer dans les positions les plus inconfortables, que l’on mange des repas le plus souvent préparés à la hâte, que l’on dort quand le bateau l’autorise ? Et tous ces sacrifices pour peut-être voir passer devant, à quelques centaines de mètres, celui qui va vous souffler la victoire sous votre étrave… C’est ce scénario improbable, digne des plus beaux finals, qui se dessine sous le vent de Marie-Galante. Et pourtant, on oublie vite le nom du deuxième, quelle que soit la valeur de sa performance. Savoir que quelques minutes, voire quelques secondes peuvent décider du nirvana, présente un caractère forcément injuste au regard des efforts fournis… On peut donc s’attendre à un final sous haute tension à mesure que l’arrivée sur l’île va se profiler. La navigation à vue se résultera peut-être à l’observation respective des feux de navigation de chaque bateau. Un feu qui passe du vert au rouge et c’est un empannage déclenché, un changement de trajectoire. Un feu arrière qui devient plus lumineux et ce sont des mètres de gagnés… tout est question d’interprétation. Autant dire, que la moindre erreur d’analyse risque de se payer cash, d’autant que les pièges sont nombreux : grains difficiles à évaluer, dévents provoqués par le relief de l’île, le parcours jusqu’à la ligne d’arrivée est loin d’être semé de pétales de rose. Paradoxe de la compétition, la déception du deuxième risque d’être d’autant plus forte que les écarts seront infimes.
Jeune et sans complexe
Derrière ce duo d’excellence, la bagarre pour le podium devrait, elle aussi, être acharnée. François Gabart (Espoir Région Bretagne), sans complexe aucun, n’a pas l’intention de s’en laisser conter par Nicolas Troussel (Financo), même si l’expérience des finish à l’arrachée peut peser dans la balance à l’heure des derniers bords. Entre Gérald Veniard (Macif) et Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles), il reste encore quelques incertitudes pour la cinquième place. Dans leur sillage, Isabelle Joschke (Synergie) jette ses dernières forces dans la bataille pour essayer de coiffer sur le fil Franck Le Gal (Lenze) ainsi qu’Armel Tripon (Gedimat). La jeune demoiselle sait que dans cette triangulaire, elle part avec un handicap certain, lié à la fatigue accumulée depuis le début de la course. Mais on a vu des batailles perdues d’avance trouver parfois des issues improbables. Toutes les charges désespérées ne connaissent pas le destin tragique des cavaliers de Reischoffen… Pour d‘autres, l’arrivée devrait être plus paisible : Victor Jean-Noël (Pays Marie-Galante), malgré la perte de son spi léger, continue de cravacher vers Marie-Galante tout en maintenant à distance ses deux poursuivants Yannig Livory (CINT 56), auteur de la meilleure performance sur vingt-quatre heures et Louis-Maurice Tannyères (Nanni Diesel). A défaut de se battre pour la victoire, il reste le plaisir de se dire qu’on est allé au bout de ses rêves.
Le mot du jour : record
21 jours 9 heures 11 minutes et 45 secondes de course, tel est actuellement le record détenu par Nicolas Troussel lors de l’édition 2007. Un temps qui devrait être largement battu par le vainqueur de l’édition 2009. Et ce, même si les derniers milles sont toujours les plus difficiles à parcourir.
Ils ont dit :
Erwan Tabarly – Athema – 1er au classement de 15h
« Le dernier classement, je l’ai bien vu, celui-là ! Evidemment. Je suis content, c’est sûr, d’être premier à ce niveau là. C’est même la première fois que je pointe en tête depuis le départ. Je suis un peu surpris, au vu du pointage, Gildas a du tomber dans un grain. Ca commence à être tendu, jusqu’à présent, j’étais derrière et je voyais mal comment passer devant. Maintenant que c’est fait, j’avoue que je préfère être chassé que chasseur.
On dort de moins en moins, mais il faut quand même faire attention, sinon on fait des bêtises et des zigzags à la barre. On commence tous à être habitué aux Transat en solitaire, on connaît nos limites. Si il le faut, je retournerai faire un somme avant l’arrivée. »
Gildas Morvan – Cercle Vert – 2ème au classement de 15h
« Bonjour, bonjour ! Ça va, mais ce n’est pas facile avec tous ces grains. Cette nuit, c’était un peu la mine, je suis resté englué dans deux nœuds de vent, c’était pénible. Là, c’est reparti, j’avance, mais ça risque d’être serré. Après, c’est la bascule et les angles choisis qui seront déterminants. En tout cas, on a hâte d’arriver, on chevauche, on chevauche, mais on sera content quand on aura mis pied à terre. Cette nuit, je n’ai pas pu dormir, c’était non-stop, entre les empannages et la présence permanente à la barre. C’est plutôt sympa d’être en tête avec Erwan. On se connaît bien tous les deux, on a fait l’AG2R ensemble ; il y a un lien affectif entre nous deux, mais là, on est en course, alors c’est chacun pour soi jusqu’au bout. »
Franck Le Gal – Lenze – 8ème au classement de 15h
« Tout va bien, j’ai Gedimat en visu à 2 ou 3 milles, ça veut dire que j’ai bien bossé cette nuit. Hier j’ai passé la journée entière avec Isabelle, j’ai profité d’une bascule dans la nuit et je suis passée à quelques mètres de son tableau arrière. C’est vraiment sympa de naviguer au contact, il y a deux ans, j’étais tout seul. Avec Armel, on s’est appelé deux fois à la VHF pour papoter, c’est motivant. Il y a des alizés, des rotations de vent, le scénario est un peu le même qu’il y a deux ans. On va arriver dans la matinée, je pense. J’espère que vous serez là pour nous accueillir, car après une traversée on a hâte de retrouver les gens, se faire une petite baignade et manger des fruits frais et un bon repas. »