"Au cours des dernières 48 heures, j’ai eu le plus énorme sentiment de réussite et de joie en secourant un concurrent et ensuite, quelques heures plus tard, le désespoir écrasant d’un mât qui rompt et qui met la victoire de la Velux 5 Oceans hors de portée pour moi. Au moment où j’écris ces lignes, ECOVER progresse vers le Nord en direction de l’Afrique du Sud, probablement Cape Town où nous pourrons mieux peser nos options et décider de ce que nous allons faire après.
Ecover et Hugo Boss dans le match…
Il y a deux jours, le 23 Novembre, le premier signe de changement est arrivé avec le classement de 10h20. Au cours des précédentes 48 heures, ECOVER et HUGO BOSS faisaient les plus grosses moyennes de la flotte avec 450 milles parcourus en 24 heures. A bord d’ECOVER, nous dépassions régulièrement les 30 noeuds et nos moyennes étaient dans les 20 noeuds. C’est la navigation la plus stressante possible, la vitesse fait monter l’adrénaline et le Sud est l’endroit le plus dangereux. Ici le vent et les vagues sont ininterrompues par des morceaux de terre qui se trouvent à 15 000 milles de là et c’est le meilleur endroit pour faire des pointes de vitesse, mais aussi le plus terrifiant vu le pouvoir incontrôlable exercé par les éléments. Mais pour nous, de gros progrès étaient faits sur Bernard, toutes les prévisions indiquaient qu’en quelques jours le challenge de prendre la première place serait enfin à portée de main. Mais en regardant ce classement précis, avec Alex et HUGO BOSS faisant seulement 8 noeuds et moi 19, j’ai eu l’intuition que les choses étaient sur le point de changer radicalement.
Grave avarie à bord de Hugo Boss
"… J’ai immédiatement appelé le PC Course et leur ai demandé de voir ce qui se passait, quelques minutes plus tard, ils ont confirmé qu’il y avait en effet un problème à bord d’HUGO BOSS bien qu’Alex n’ait pas demandé d’assistance à ce moment précis. J’ai dit au PC Course que j’avais l’intention de ralentir jusqu’à qu’on ait la confirmation qu’Alex soit ok. Je ne ferais pas ça normalement mais quelque chose n’allait pas et les vitesses d’ECOVER faisaient que la distance entre nous devenait de plus en plus grande et si je devais faire demi-tour, le travail pour retourner devenait de plus en plus difficile à la minute.
J’ai pris un ris dans la grand-voile, ralentissant le bateau considérablement mais faisant toujours 16 noeuds de moyenne, et puis j’ai attendu. Cinquante minutes plus tard, David Adams a appelé pour me dire que les choses à bord d’HUGO BOSS avaient changé dramatiquement. La quille se balançait de façon incontrôlable dans le bateau qui maintenant prenait l’eau. C’était une question de temps avant que la situation ne passe de dangereuse à potentiellement fatale. Alex demandait maintenant assistance et ECOVER était le plus proche pour lui offrir.
Ecover fait demi-tour dans la tempête…
"….J’ai raccroché le téléphone, ai regardé mes instruments qui montraient que le vent soufflait à 42 noeuds. Je suis sorti dans le cockpit alors que des vagues énormes balayaient le pont et j’ai habillé le bateau de ses plus petites voiles pour me préparer à tourner. Vingt minutes plus tard, ECOVER traversaient les vagues gelées à 9 noeuds dans le sens inverse, Alex était à environ 90 milles et nous avions cinq heures avant la tombée de la nuit. Le bateau n’a pas aimé cet énorme changement de direction, l’antenne satellite Fleet 77 a arrêté de fonctionner tout de suite, et ensuite le moteur a recommencé à déconner. Je me retrouvais encore enterré dans mon moteur, couvert de diesel alors que le bateau tapait dans les vagues qu’il avait dévalées dans l’autre sens. Cette fois, je devais régler le problème pace que j’avais besoin du moteur pour manouvrer pendant le sauvetage et je devais être 100% efficace. J’ai balancé tous les conseils et ai installé un jerrican rempli de diesel comme centre de gravité pour la pompe. Le moteur a démarré, et maintenant il marche. Au moins, je pouvais me concentrer sur la préparation du bateau et de moi-même pour le sauvetage d’Alex…"
A contre sens, à la recherche d’Alex, dans la nuit !
"… Le vent de face diminuait au fur et à mesure que j’approchais, l’état de la mer non, au contraire, les vagues étaient de plus en plus creuses et c’était devenu de plus en plus difficile d’approcher. J’ai fini avec toute la voilure quand la dorsale est passée puis j’ai repris des ris quand le vent est remonté à 25 noeuds. Nous n’allions de toute façon pas réussir à nous retrouver avant la tombée de la nuit mais avec des informations régulières et correctes données par le PC Course, nous nous sommes rapprochés. Dans les derniers milles, Alex et moi nous sommes parlés par téléphone satellite et radio pour faire les derniers ajustements de navigation.
Finalement, de la nuit la plus noire possible, un éclair de fusées de détresse dans le ciel, puis dans les nuages bas, je pouvais voir les lumières dans le mât d’HUGO BOSS, et enfin ses lumières sur le pont. Un transfert était absolument trop dangereux pendant la nuit. Si pendant le transfert je le perdais de vue, même pour une seconde, il aurait disparu. J’ai affalé les voiles et ai essayé de copier sa dérive et sa vitesse. Alex a dormi, j’ai taquiné mon moteur, testé les contrôles, rassemblé mon kit de sauvetage, préparé des bouts dans des seaux et enfin, j’ai joué au solitaire sur mon ordinateur. J’étais nerveux. A un moment, il était clair qu’Alex pouvait très bien finir dans l’eau et avec une température de 5°C, il n’y aurait pas eu de temps à perdre.
Sauvetage au petit jour…
Le soleil s’est levé à 02h59 GMT, j’ai appelé et réveillé Alex. Nous avons tous les deux mangé quelque chose et nous sommes organisés avant qu’il ne saute dans sa combinaison de survie et se prépare à se rapprocher de moi. Le plan était qu’il gonfle son radeau de survie au vent, qu’il y mette de la nourriture et qu’il saute. Ensuite, il m’enverrait un bout avant de se laisser dériver laissant HUGO BOSS derrière lui. Un bon plan de départ qui le laissait toujours relié à quelque chose. J’ai manouvré ECOVER sous moteur, les contrôles étaient durs, vu qu’ils n’avaient pas été utilisés depuis trois semaines, mais sinon, tout semblait ok. J’ai testé pour voir si je pouvais mettre l’étrave au vent et lui faire des signes. Mais non. Bang ! La manette s’est cassée ! Maintenant, j’avais un moteur qui marchait mais pas de manette pour le régler. J’ai appelé Alex pour qu’il ne saute pas dans le radeau tout de suite. Ensuite, j’ai effectué sans doute le plus rapide changement de manivelle de l’histoire, et nous avons recommencé la manoeuvre.
Le début s’est bien passé, il était dans le radeau et en fait, il avait négocié pour être à 50 pieds derrière son bateau. Je me suis positionné au vent de HUGO BOSS et du radeau. Rapprocher les deux 60 pieds aurait été un réel désastre dans ces vagues creuses. Il a essayé d’attraper le bout qu’on avait installé mais ça n’a pas marché. J’ai attrapé mon premier bout, ai couru vers le bord et ai fait sans doute le plus mauvais envoi imaginable. J’ai donc dû tourner et revenir.
Cette fois, c’était mieux parti et je lui ai envoyé un bout, mais maintenant une autre manette déconnait et je ne pouvais pas ralentir. J’ai lâché le bout et ai envoyé de la toile pour refaire une tentative. A ce moment-là, il n’était plus relié à HUGO BOSS, il pouvait voir le danger si je me rapprochais trop de son bateau et que j’avais besoin de place pour manouvrer autour de lui. HUGO BOSS a lentement tourné vers le Sud et était très bas sur l’eau, mais sinon, en parfait état. Un triste spectacle….
Ensuite, j’ai envoyé les voiles d’avant et nous avons retenté notre chance. Cette fois, je lui ai bien envoyé le bout et il a sécurisé le radeau mais dans la procédure ECOVER a commencé à avancer trop vite, une grosse vague nous a fait partir en surf. Alex s’est accroché désespérément, se blessant à la main, il a hurlé de douleur et le radeau se faisait remorquer à 5-6 noeuds avec le bout enroulé autour de sa main. Alex déplaçait son poids à l’arrière du radeau mais le radeau était toujours inondé d’eau. Nous avons lâché la ligne et nous avons recommencé.
L’image la plus bizarre peut-être, celle qui restera avec moi, est la vue d’Alex seul sur ce radeau, HUGO BOSS à présent à un quart de mille derrière, et dans ces mers difficiles, l’albatros le plus énorme du monde posé sur l’eau à quelques mètres d’Alex. Cela aurait presque pu être drôle, mais à mes yeux, ça commençait à ressembler à un prédateur se préparant à l’attaque. Ca ne pouvait pas arriver.
Cette fois, j’ai quasiment tout affalé, utilisé le moteur qui était maintenant coincé en marche avant, descendant à l’intérieur pour ajuster la vitesse sous l’évier et au tout dernier moment, tout éteindre avec le bouton d’urgence. Mais cette fois, l’approche était quasi parfaite, le radeau est arrivé tout près, a touché la coque, j’ai virtuellement passé le bout à Alex qu’il a récupéré très vite. J’ai éteint le moteur et je l’ai remonté à bord. Je l’avais !
Nous nous jetés dans les bras l’un de l’autre alors que je lui souhaitais la bienvenue à bord. Je me suis excusé de mon rattrapage moyen. Je lui ai dit : « J’aurais sans doute pas eu mon Yachtmaster avec cette manoeuvre ! » Mais nous l’avions, et Ho ! Quelle émotion fantastique !!!
Le soulagement pour chacun de nous était tangible. Alors que nous parlions, HUGO BOSS maintenant un mille au loin disparaissait de l’horizon. Le bateau prenait l’eau et ce matin (le 25), nous avons entendu que le Sat C arrêtait d’émettre. HUGO BOSS était parti à jamais.
Lentement, nous nous sommes occupés d’Alex. J’ai coupé son gant et nous avons nettoyé sa blessure à la main. Ca lui a fait mal mais ça n’avait pas l’air top sérieux. Il a ôté sa combinaison de survie, nous avons tout rangé, bu du café, et encore du café. Puis doucement, nous avons repris la route. J’ai envoyé de la voilure à l’avant, renvoyé la grand-voile, remis le bateau sur la route de Fremantle. Les deux heures qui ont suivi,nous les avons passées en croisière à parler et à boire beaucoup de thé et de café. En 24 heures, nous avions tous les deux été en enfer et en sommes revenus. Alex était et est profondément affecté par la perte de son bateau, mais maintenant, il est sain et sauf.
La tête de mât d’Ecover explose…
Six heures après le sauvetage, ECOVER avançait bien à nouveau, le vent était monté et correspondait à la configuration de voile que nous avions en place et nous allions à 15-20 nouds. Les conditions étaient telles que le bateau était sous contrôle. J’avais rempli le ballast arrière et quelques instants plus tard, un grain nous a attrapé par l’avant. Le vent est monté à 25 noeuds et de la grêle et de la neige ont accompagné cette bourrasque glaciale venant de l’Antarctique. Le bateau s’est penché de 20° environ, le pilote a altéré sa course de 10, et j’allais attraper la drisse de grand-voile pour redresser le bateau. Rien d’anormal sur ce genre de bateau, mais alors que je commençais à manouvrer, ma deuxième intuition en 24 heures m’a fait regarder le gréement. Et alors que je levais la tête, la tête de mât a explosé 1,5 mètres au-dessus de la première barre de flèche. Du carbone râpé a atterri sur le pont et un terrible bang a suivi. Le mât était cassé et ma compétition dans la Velux 5 Oceans venait de prendre fin….
Alex et moi n’en revenions pas, nous étions choqués, appelez ça comme vous voulez, nous ne pouvions pas croire que tout cela venait de tomber. C’était tout simplement trop incroyable…. Au lieu de nous précipiter sur cette nouvelle donne, nous avons mangé le repas que nous avions préparé, et avons commencé à travailler sur le pont et avons avancé en croisière pendant 12 heures tout en coupant les morceaux cassés du mât d’ECOVER et remis le bateau en marche. Nous étions incapables de réagir et très déçus. Pour moi, la course pure est terminée, pour Alex, il y a la perte de son bateau et un sentiment injustifié de culpabilité. Mais le travail à faire pour garder le bateau sûr et navigable restait à faire. Alex s’est porté volontaire pour monter là-haut et passer une heure horrible avec 20 pieds de mât qui lui tournaient littéralement autour. Plus de grains, plus de neige et un pont glacial ont rendu le travail très difficile et très dangereux. Mais en travaillant ensemble, nous avons réussi ce qui de façon assez ironique aurait été impossible seul. Et alors que la nuit tombait sur 48 heures extraordinaires, j’ai envoyé la trinquette et nous avons changé notre cap encore une fois quittant la direction de Fremantle et partant au Nord vers l’Afrique du Sud.
45 pieds de notre mât sont toujours en place, les deux sections supérieures cassées sont posées sur le pont. Nous n’avons perdu que notre Code Eco et même la grand-voile qui n’avait qu’un ris au moment de l’incident est intacte. Toute ça est bizarre. Nous contrôlons la situation et nous faisons route au Nord et cela va s’améliorer quand nous aurons renvoyé la grand-voile jusqu’au troisième ris. Le temps est maintenant dégueulasse, 35 à 40 noeuds de vent et ces grains glacés qui nous ont donnés à tous les deux les premiers signes de doigts gelés lors de notre travail sur le pont. Nous nous reposons, nous mangeons, nous dormons et nous parlons de l’avenir. Pour l’instant, nous sommes intéressés par nos problèmes immédiats.
Quant à la cause de la casse, nous avons quelques faits. Aucun élément du gréement ou de ses attaches n’a cassé. Rien dans notre préparation n’était mal fait. Nous le savons parce que la preuve est là. Rien n’a cassé sauf le tube. Les conditions au moment de l’incident étaient minimes comparées à la pression reçue avant, quand nous faisions beaucoup de milles et que nous naviguions à la limite. La faute était donc sans doute déjà dans le tube en carbone avant que je ne vienne chercher Alex. Ca aurait pu arriver n’importe où, pendant cette tempête brutale dans le Golfe de Gascogne, dans un grain dans le Pot au Noir ou quand on est reparti au près pour aller chercher Alex. Nous ne saurons jamais. Une chose dont je suis sûr, nous avons peut-être perdu un mât très cher, nous avons peut-être perdu notre place dans cette course, mais je ne changerai rien de cela contre ce que nous avons gagné à récupérer Alex. Nous pourrions actuellement être témoins d’une conclusion bien plus tragique qu’un morceau de mât cassé.
So what…?
Quant à notre futur dans cette course, toute l’équipe est en train d’étudier les différentes possibilités. Nous avons un mât à Southampton, il est possible de l’envoyer mais ça va prendre du temps ; nous pourrions l’envoyer par avion mais le coût est prohibitif. Pour l’instant, nous devons concentrer nos pensées et nos efforts pour arriver en sécurité à terre. Seulement là pourrons-nous avoir un jugement clair sur la suite à donner.
Même d’ici, dans l’immensité du Sud, nous sommes tous les deux très touchés par le soutien immense et les souhaits positifs que nous avons reçu du monde entier. Ce sont des temps difficiles et nous apprécions tous les bons sentiments reçus. Quoiqu’il en soit, quand nous allons arriver là où nous avons décider d’aller, en Afrique du Sud, ils vont devoir faire attention. Deux taureaux enragés arrivent en ville et ça va être le b..!
(source Ecover).