Prendre le rythme… Au fil de leur progression zigzagante entre Belle-Île et la pointe nord-ouest de l’Espagne, les solitaires de la transat BPE tentent de rentrer au mieux dans le moule que leur impose une météo qui, sans être dantesque, n’en est pas moins éprouvante pour les hommes comme pour le matériel. Tous le disent : secoués comme des pruniers, les solitaires font le gros dos et tentent de garder de l’énergie pour les heures à venir. Car si tous descendent actuellement vers le sud-ouest à bonne allure, les prochaines heures devraient être décisives. Il va s’agir de trouver le bon tempo pour négocier le prochain virement de bord quand le vent va basculer de nouveau au sud-ouest, la nuit prochaine. Pour les premiers, les côtes d’Espagne se profilent maintenant à moins de 20 milles pour les concurrents les plus au sud, Nicolas Troussel (Financo) et Eric Drouglazet (Luisina). Gildas Morvan a, quant à lui, en point de mire, le cap Villano dernier obstacle, à trente milles dans le nord nord-est du cap Finisterre. Ensuite, cap au large… Pour quelques concurrents, les Açores seront les dernières balises de leur périple vers Marie-Galante quand pour la majorité d’entre eux, les seuls signes tangibles de civilisation seront les rencontres occasionnelles avec les cargos.
Petites causes, grands effets
Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que les premières contrariétés apparaissent. Les monotypes Figaro Bénéteau 2 ont beau être éprouvés et solides, il reste que nul n’est à l’abri d’un impondérable quand le bateau tape de manière répétée dans la vague. Franck Le Gal (Lenze), auteur pourtant d’un début de course remarqué, a dû accepter de rentrer dans le rang suite à la rupture consécutives de deux drisses de voile d’avant. On imagine Franck se perdre en conjectures sur les causes de cette double avarie. Lui qui venait avec l’intention clairement affirmée de venir se battre pour un podium, va devoir se résoudre à grimper dans son mât pour tenter de réparer et trouver les raisons de cette série fatale. Louis-Maurice Tannyères (Nanni Diesel), en proie à un mal de mer tenace, doit aussi faire face à un sac plastique qui est venu boucher le circuit de refroidissement de son moteur. Seule solution pour l’ancien chef d’entreprise venus se frotter aux ténors du circuit, plonger pour dégager le corps étranger ou bien se résoudre à ne maintenir le moteur en route que moins de quinze minutes, surchauffe oblige. Comme quoi, disposer d’un célèbre motoriste comme partenaire ne garantit pas l’absence de panne mécanique… Enfin, Yannig Livory (CINT 56) risque de trouver le temps long : le navigateur lorientais a contacté le PC Course pour l’informer qu’il ne pouvait plus rechercher les batteries de son iridium, le téléphone satellite qui le relie à la terre. Informations météorologiques réduites à la portion congrue, absences de nouvelles de la famille ou des autres concurrents, Yannig va devoir accepter de se plonger en solitude. Gros lecteur, il disait vouloir emmener à bord un pavé conséquent pour satisfaire sa soif de connaissance. La question en est plus que jamais d’actualité… Pour les trois navigateurs, ces petites contrariétés risquent d’avoir des effets induits sur leur performance : même atténué, le syndrome du battement d’aile du papillon frappe encore.
A l’aise dans leur shaker
Les habitués du circuit envisagent quant à eux la situation présente sans grands états d’âme. De la philosophie fataliste d’un Erwan Tabarly (Athema) à l’humour légèrement caustique d’un Gérald Véniard (MACIF), tous prennent leur mal en patience. Ils savent qu’à l’issue des trois ou quatre jours à venir, viendra le temps des longues glissades sous spi, mais qu’auparavant il faudra négocier avec la plus grande lucidité une zone de transition délicate. Or, c’est rarement sur les autoroutes des alizés que se font les plus grandes différences mais bien dans ces passages d’un système météorologique à l’autre. Pour aborder la question chacun a ses recettes : quand certains reconnaissent passer déjà un temps important à la table à cartes pour s’imprimer les schémas météorologiques à venir, d’autres préfèrent emmagasiner du temps de sommeil. Armel Tripon (Gedimat) fait partie de cette école : ce qui ne l’avait pas empêché de gagner brillamment la Mini-Transat en 2003. Après «qui dort, dîne…», «qui dort, gagne» ?
Le mot du jour : moteur
Pour recharger les batteries et pouvoir satisfaire leurs besoins en énergie, les solitaires de la Transat BPE utilisent leur moteur. Pour garantir l’équité sportive, tous les arbres d’hélice sont plombés. En moyenne, chaque concurrent fait tourner son moteur environ une heure à deux heures par jour.
Ils ont dit :
Erwan Tabarly – Athema – 4ème au classement de 16h : « Sur les transatlantiques on a une grosse probabilité d’avoir un passage de front dans le Golfe de Gascogne, je connais ça, mais c’est dur pour tout le monde. Je vois toujours Armel (Tripon), il n’est pas loin du tout, c’est mon compagnon de route. On va sans doute être obligé de virer au passage du cap Finisterre. On verra comment ça va se passer avec les autres au moment de croiser. Dans deux jours on aura visiblement un autre front à passer et c’est là qu’on verra qu’elle a été la bonne option. Le premier pointage pour moi pourra se faire d’ici deux jours. »
Armel Tripon – Gedimat – 7ème au classement de 16h : « C’est humide comme ambiance ! Mais bon, ce n’est rien d’extraordinaire, ce n’est pas dantesque, c’est le golfe de Gasgogne au début du mois d’avril, c’est normal. On va bientôt arrondir le cap Finisterre donc c’est bientôt la fin. On va avoir des vents de sud, sud-ouest ; il y aura un bord à faire dans l’ouest avant de récupérer la dorsale. Niveau nourriture j’ai sorti les repas instantanés les deux premiers jours c’est parfait pour la baston. Aussi, j’ai enquillé des heures de sommeil car il faisait trop froid pour être dehors ! Maintenant il va falloir bien négocier la descente au sud. J’étais content de pouvoir être dans le coup dès le début sans trop dépenser d’énergie pour revenir, comme ça arrive souvent durant les départs. »
Victor Jean-Noël – Pays de Marie-Galante – 13ème au classement de 16h : «J’ai très peu dormi, je me repose comme je peux mais on a pas tellement le choix car il a fallu batailler toute la nuit pour faire avancer le bateau parce que même s’il y a du vent ça tape beaucoup.»