Les préparatifs s’accélèrent pour le Class40 Everial. Après un convoyage express depuis Lorient, le bateau a rejoint le bassin Paul Vatine au Havre. Erwan Le Draoulec et son co-skipper Tanguy Leglatin se préparent entre stratégie, météo et repos.
Erwan, Tanguy, ce sera votre première traversée de l’Atlantique ensemble…
Erwan : On a fait quelques courses ensemble en Mini et en Figaro, je dois être un de ceux avec qui Tanguy a le plus navigué en compétition. Je rêvais de faire une grande course un jour avec lui et l’occasion s’est présentée cette année. Il connaît bien le Class40 et mon temps de préparation étant court, je savais qu’il avait beaucoup de compétences à apporter. Et puis il était temps de lui offrir l’opportunité de faire sa première transat !
Tanguy : Ce sera effectivement ma première transat ! J’ai eu quelques événements cette année qui m’ont dit d’y aller, de profiter. Je me suis retrouvé avec deux propositions, j’ai choisi la première, car j’ai toujours respecté ce principe de « premier servi ». Et cela me convient très bien car je connais le personnage et je suis vraiment content d’y aller avec le petit jeune que j’ai vu progresser et grandir. Je trouve que c’est la situation idéale pour passer de l’autre côté, même si ce n’est que temporaire pour moi. L’histoire est belle.
Avec quels objectifs y allez-vous ?
Erwan : C’est difficile à dire, ce sera ma première grande course en Class40, Tanguy est loin d’être un novice, c’est un grand sportif et je sais qu’il va très bien gérer cette course. Mon rôle sera de le laisser débrancher de son mode entraîneur et de profiter du moment. Je suis persuadé qu’il faut profiter pour être bon. Si nous parvenons à prendre un maximum de plaisir, je sais que ça le fera bien.
Tanguy : J’ai envie de profiter d’être au large, mais je vois ça aussi comme une expérience qui va me donner des pistes pour mieux travailler, pour être plus performant dans mon métier. Sportivement, j’assume parfaitement ce costume de co-skipper aux côtés d’un sérieux outsider.
Comment va s’organiser la répartition des rôles à bord ?
Erwan : On va avoir des rôles très complémentaires, c’est ce que je suis venu chercher. Moi, je sais que je peux barrer des heures et des heures. Je me connais par coeur, je sais très bien me gérer que ce soit en termes de sommeil, de nourriture… Je saurai prendre le relai si Tanguy a un souci de fatigue ou quoi que ce soit, bien que je ne m’inquiète pas trop. Lui est également un très bon barreur et il est vraiment fort en météo. Il a été routeur pour des Route du Rhum, donc il a traversé l’Atlantique un paquet de fois derrière son ordi. La seule différence cette fois, est qu’il sera à bord avec moi. Pour les réglages on est très complémentaires, on travaille ensemble depuis plus de 10 ans, on se connaît donc très, très bien.
Tanguy : En amont des courses, j’essaye d’apporter mes connaissances techniques du bateau, parce que j’en ai vu un paquet naviguer. Dans la vision du réglage, j’essaie de donner des pistes et d’apporter au maximum ce que je connais de ces bateaux. Faire de la prise de décision au large est un exercice que je découvre, je ne le fais pas si souvent ! Ça fait quelques années que je n’ai pas régaté plus de trois nuits en mer, là-dessus Erwan a beaucoup plus d’expérience que moi !
Le fait de très bien vous connaître est forcément un atout…
Erwan : Je sais quand il se creuse un peu trop le cerveau ou quand au contraire il est sur une bonne idée ! Comme lui voit quand je fatigue, quand je commence à être impatient. On se dit toujours les choses, on communique très bien.
Tanguy : C’est dans notre façon de se parler, de communiquer et de gérer le système de prise de décision qu’on a encore des choses à caler. Dans la discussion autour de notre gestion mentale, aussi, on voit des pistes d’amélioration. On doit savoir rester froids et mieux gérer nos émotions. Même quand on fait un mauvais coup, même quand c’est un peu plus dur, il faut qu’on arrive à mieux gérer nos frustrations. C’est ce qu’on a appris sur la course des Açores. On avait du mal dans ces moments-là à bien communiquer pour gérer nos émotions et se dire : « Ok, là on n’a pas très bien navigué », mais on doit réussir à prendre sur nous et se dire : « Est-ce que c’est le bon moment pour attaquer ou y aura-t-il des opportunités plus importantes plus tard et faut-il attendre ? »
Erwan : Tanguy connaît également très bien le bateau car nous avons décidé du chantier ensemble, en discutant de chaque détail. J’ai une grande confiance en notre binôme.
REGARDS CROISÉS
Tanguy par Erwan : « Presque un coach de vie »
Ça va être assez marrant et spécial de vivre avec lui sa toute première transat alors que c’est lui qui m’a appris à effectuer mes cinq premières. Je l’ai au téléphone avant chacune d’entre elle, il m’a routé pour presque toutes les courses que j’ai faites.
C’est bien plus qu’un coach pour moi, c’est presque un coach de vie. Lorsque j’étais skipper MACIF, je travaillais avec des préparateurs mentaux mais tous ces trucs ne m’ont pas vraiment plu. Ce que j’aimais le plus, et qui fonctionnait le mieux, c’était de discuter avec Tanguy autour de mes projets. C’est à la fois un mentor et un très bon copain. On se connaît bien, on passe notre temps à faire des choses ensemble, on se voit d’ailleurs souvent en dehors de la voile. Comme si on ne se voyait pas assez ! Je pars donc avec un très bon copain, passionné de performance et de météo, et lui part avec le « skipper de ses rêves » puisque c’est lui qui m’a créé ! Je fonctionne exactement comme il aime qu’un coureur fonctionne, il m’a fait de A à Z !
Du Mini au Class40, de 13 à 26 ans
Avec Tanguy, c’est une assez longue histoire bien que je ne sois pas très vieux. C’est un des premiers gars que j’ai rencontré dans la course au large, alors que je n’avais que 13 ans. Mon père avait acheté un Pogo 1, un vieux Mini pour le plaisir de naviguer en famille, sans même penser à une course ou à découvrir le circuit. J’ai vu qu’il y en avait plein d’autres à Lorient, j’ai voulu aller avec eux et c’est Gildas Gallic qui m’a présenté ce gars-là, Tanguy Leglatin. Je lui ai demandé si je pouvais venir au stage et il a accepté. C’était génial, je me suis dit : « Ok, c’est passionnant ». Je crois que j’étais dernier à chaque entraînement, mais je ne voulais plus faire qu’apprendre. À l’époque je vivais en Bourgogne donc je faisais des allers-retours pour un week-end d’entraînement. Tanguy a été intrigué par l’envie que j’avais, déjà à cet âge, et par l’énergie que j’y mettais.
Et puis j’ai commencé à progresser, le petit jeune sur son vieux bateau ne finissait plus dernier à chaque fois. À un moment, j’ai eu la chance de pouvoir construire un bateau neuf et j’ai tout de suite appelé Tanguy pour qu’il m’aide à me décider sur le bateau et sur le choix des voiles. J’ai fait 2 années sur ce Mini à m’entraîner tout le temps, semaine et week-end, toujours avec Tanguy comme coach et j’ai fini par remporter la Mini Transat. Je suis devenu le plus jeune vainqueur et c’est énormément grâce à lui. J’étais jeune dans ma tête, j’ai simplement suivi les règles et j’y mettais l’énergie qu’il fallait. J’espère qu’il est fier de m’avoir accompagné si jeune et si débutant et de m’avoir permis d’aller au bout et de la remporter la course dès ma première participation.
Il m’a ensuite aidé durant mes années Figaro, même si c’était en parallèle du programme avec MACIF à Port-La-Forêt. Au début, j’ai essayé de rentrer dans le moule et de faire sans lui, mais ce n’était pas possible, il me fallait ce gars-là. J’avais besoin de lui, j’avais besoin de travailler avec lui. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai réussi à progresser alors que c’est un monde duquel je ne venais vraiment pas, avec de la régate au contact et des phases de départ qui jouent beaucoup. On a gagné quelques courses l’année dernière, on a fait plusieurs podiums et je parviens à terminer 4e de la Solitaire du Figaro 2022, ce qui était incroyable ! C’était vraiment bien de partager tout ça avec lui durant toutes ces années et je suis heureux d’avoir enfin l’opportunité de faire une grande course avec lui.
Erwan par Tanguy : « Il sait rendre les gens autour de lui heureux »
Le petit Erwan a beaucoup progressé ! C’est quelqu’un qui est très motivé, je l’ai connu très jeune et on sentait déjà ce qu’il voulait faire. Au début il était en pleine découverte, et assez rapidement quand il a commencé à se dire « Tiens, je peux régater », il a fait sa première course avec son Pogo 1. On sentait tout de suite après le retour de cette compétition qu’il était un peu plus assidu aux entraînements, un peu plus impliqué.
Il a ensuite eu son projet pour sa Mini Transat. Il a partagé sa vie entre ses études et le projet la première année, ça demandait déjà une implication assez forte. Après, l’année où il ne faisait plus que du Mini, il allait beaucoup naviguer, il était vraiment très, très impliqué. Je sais que c’est quelqu’un d’hyper investi.
Ces années de Figaro lui ont appris la rigueur de la trajectoire et la gestion d’un monotype en apprenant à travailler sur des détails. C’est quelqu’un qui a une formation plutôt technique, il comprend donc vite les problématiques techniques.
Son petit point faible ce serait son manque de patience, et son envie de gagner. C’est important d’avoir de l’envie mais c’est surtout important de rester froid mentalement. Cette impatience et cette compétitivité ne lui permettent pas toujours d’attendre le bon moment pour lâcher les chevaux.
Sa plus grande force est qu’il sait rendre les gens autour de lui heureux, bons et investis pour lui. J’ai déjà vu ça chez Thomas Ruyant. C’est une très grosse qualité, il comprend les gens et il sait exploiter leurs qualités et les rendre les plus performants possibles. C’est une vraie force, je pense que ça a été un plus dans le groupe MACIF quand il y avait différents skippers. Sur un projet un peu plus gros comme le 40 pieds où il y a plus d’intervenants, plus de personnes, c’est une qualité qui lui servira, c’est certain !