Quand il s’agit d’abattre ses cartes, tout joueur d’expérience sait qu’il est bon de jauger ses adversaires. Et ce, même si les jeux sont faits. C’est là qu’on tire des indications sur le mental de ses partenaires de table, c’est aussi là qu’on ressent cette petite bouffée d’adrénaline que recherche tout compétiteur.
Pour certains des concurrents de la Transat AG2R, les options sont claires ; à l’ouest, les amoureux des grands espaces que sont Erwan Tabarly – Vincent Biarnes (Athema) et Armel Tripon – Dominic Vittet (Gedimat) cherchent à contourner la bulle anticyclonique quand les orientaux de Solar Inox (Ronan Guérin – Luc Poupon) et Concarneau Saint-Barth (Eric Péron – Miguel Danet) cherchent à faire de même, sur l’autre face de la difficulté. Plus au centre, les écarts se sont réduits comme une peau de chagrin entre Financo (Nicolas Troussel – Christopher Pratt), Cercle Vert (Gildas Morvan – Jean Le Cam), Banque Populaire (Jeanne Grégoire – Nicolas Lunven) ou bien encore Suzuki (Thierry Chabagny – Corentin Douguet). Dans ce petit groupe de ténors, il va s’agir de trouver un couloir de vent de l’exploiter au mieux. Plus que les fichiers météo, c’est la lecture du ciel, l’observation du baromètre et des orientations du vent qui feront la différence : quand la technologie montre ses limites, rien ne vaut une bonne navigation à l’ancienne faite de pragmatisme et d’intuition. Et surtout, la stratégie du secret devient règle d’or… Premier verdict d’ici vingt-quatre heures peut-être.
Mélancolie du grupetto
Et puis, il y a les autres. Ceux qui, petit à petit ont fini par perdre pied dans cette régate acharnée. Le petit temps pourrait ainsi faire penser à une étape de montagne du Tour de France cycliste. Devant les cadors continuent à leur rythme, quand mètre après mètre les autres finissent par lâcher prise. Ces attardés finissent par former le grupetto qui continue l’étape sur un autre tempo. Alors commence une autre régate : on observe les adversaires directs, on se maintient le moral à voir qu’on a réussi à regagner une place. On se dit aussi que ce n’est pas forcément la guerre et qu’il est des situations dans la vie autrement plus inconfortables que de naviguer en avril en short et tee-shirt sous spinnaker. Liz Wardley (Sojasun) l’avouait ainsi : « On a fait des erreurs de jugement, on les paye… On essaye de continuer à naviguer propre et ça ne nous empêche pas de rire. » Même son de cloche sur Sablières Palvadeau où Pierre Dombre, s’il avouait être un peu déçu de son classement positivait : « C’est un bonheur de naviguer avec Aymeric. Il a l’expérience du large, c’est très sécurisant d’une certaine manière… » D’autres enfin tentent un baroud d’honneur tel Erik Nigon sur AXA Atout Cœur pour Aides : « On est les plus extrêmes dans l’est. C’est un peu, ça passe ou ça casse. On verra demain ce qu’il en est. » Mais il en est de moins chanceux encore. A bord de Luisina Eric Drouglazet avouait sa difficulté à trouver la motivation quand il avait le sentiment de ne plus faire la même course que les autres : « On reçoit beaucoup de témoignages de soutien ; c’est ce qui nous fait continuer. Et puis, on sait qu’à l’arrivée, on ne retiendra que les bons moments ! » Le bonheur se niche toujours quelque part.
Ils ont dit :
LUISINA – Eric Drouglazet (23ème au classement de 17h)
« Moralement, ce n’est pas très intéressant pour nous. On n’a pas l’impression d’être en course, mais plus de ramener le bateau. On va continuer. Sportivement, ça ne nous intéressait plus trop de continuer. Mais l’entreprise Luisina nous a envoyé des messages pour nous signaler que 90% de la boite était derrière nous et nous soutenait. Du coup, on s’est ressaisi et on le fait à fond. On relativise, on est en bonne santé, on ne va pas à la guerre. On a de la chance d’être en mer. On est des combattants dans l’âme, donc pour nous, ça ne ressemble à rien. Je remercie tout de même tout le monde, dont mon épouse, car on reçoit beaucoup de message sur le bateau. C’est ce qui nous fait continuer. Les mauvais moments seront oubliés lorsque l’on passera la ligne d’arrivée. On sait que l’on va avoir un bon accueil. »
AXA ATOUT CŒUR POUR AIDES – Eric Nigon (18ème au classement de 11h)
« Ca va pas mal, un peu dans l’incertitude, sachant que l’on est à l’extrême est pour contourner la bulle. On a du vent. Mais on sait que d’ici trois heures, ça devrait tomber. Mais on est parti sur une option, on la garde. Le problème est que les modèles météos sont un peu contradictoires. Nous sommes sur une option radicale : soit on arrive à passer à l’Est, soit on reste bloqué dedans. En tout cas, on a des plats chauds, tout ce qu’il faut pour bien se tenir au milieu de l’Atlantique. »
CERCLE VERT – Jean le Cam (2ème au classement de 17h)
« On est pas tout à fait sur la même route que Financo. On verra d’ici Madère comment ça se passe. Tout le monde doit croire à ce qu’il fait. Je guette surtout Solar Inox. Gildas se repose. Ca se passe nickel. Je suis à la barre. On a sorti l’appareil dehors car quand le téléphone sonne, ça réveille celui qui dort. Après, on va voir vraiment comment elle va évoluer dans les prochaines heures. Ce n’est pas gagné d’avance. On a foutu Bob l’éponge au placard pour sortir le parasol.
(source Transat ag2r)