« Il était à peu près 12h (heure française), j’étais à l’intérieur et j’ai entendu un « crac », je suis sorti et malheureusement c’était le mât qui avait cassé… C’est une grande déception, il y avait un peu de mer et du vent mais ce n’était pas la tempête ! (…) Tout est tombé sur le côté, donc j’ai été au plus simple et au plus court. Le gréement frottait contre la coque, j’ai tout largué. Trois quarts d’heure après le démâtage, le mât a coulé. »
Vers où te diriges-tu?
« Actuellement, je fais route vers les îles du Cap Vert, ça me fait 400 milles. Je suis au moteur, mais l’équipe de Brit’Air cherche une solution pour ramener le bateau parce que niveau fioul, ça risque d’être court. Faudra faire le plein ou remorquer le bateau. »
As-tu une idée des causes du démâtage ?
« Non, il y avait 20 nœuds, un peu de clapot mais rien de bien méchant. Le bateau marchait bien. En plus, j’avais réduit la toile dans la matinée en prévision du vent… C’est un coup dur ! »
Et pour ta qualification pour le Vendée Globe ?
« Bah pour l’instant, on va ramener le bateau. Avec l’équipe, on va tout faire pour repartir vite. C’est vraiment dur mais il faut faire avec. Il faut repartir… »
Quelques minutes plus tard le PC course annonce le démâtage de Brit Air à Marc Guillemot, à bord de Safran. La réaction est spontanée : « Ah merde ! C’est dommage… Dommage. Je suis déçu pour Armel, c’était un gros concurrent ! »
Propos recueillis par Alexandra Gardin/Course Au Large
En tête, Loïck Peyron (Gitana Eighty) est serein, même si la vie à bord n’est pas encore tout de rose vêtue ! "Ca fait plaisir d’être devant ! Ce n’est pas trop confort et il y en a pour trois jours au moins… Mais on a fait du bon travail avec Gitana Eighty : ce n’était pas un Pot au Noir facile, je n’ai pas dormi… En fait, j’ai fait du plein Nord par défaut, ne sachant pas trop où il y avait un passage meilleur. Il fait encore très chaud et je passe mon temps à changer de vêtements : l’hygiène à bord est très importante…" A seulement quarante milles de son tableau arrière, trois poursuivants sont tout de même pressants, à l’image de Marc Guillemot (Safran) qui n’a pas l’intention de laisser faire le leader : "C’est pour lui que ça pose problème ! Il est à portée de fusil et je suis décalé dans l’Ouest de 60 milles… Il a intérêt à se tenir à carreau, le Peyron ! D’ici les Canaries, c’est jouable : j’ai la forme et Safran va faire parler la poudre à cette allure…"
En effet, les alizés déjà installés à plus de 20 noeuds vont encore monter d’un cran ces prochaines heures en s’orientant plus au secteur Est : les monocoques vont donc pouvoir débrider les écoutes et accélérer encore à plus de quatorze noeuds. Les deux prochains jours au moins devraient voir les moyennes journalières dépasser allégrement les 300 milles et les Canaries ne sont qu’à un peu plus de 1 000 milles des étraves… Une approche dès samedi soir est donc tout à fait envisageable ! Et Michel desjoyeaux (Foncia) n’est pas en reste : "Il reste encore 2 500 milles à couvrir ! D’accord, je me suis raté sur le Pot au Noir, mais je n’ai que 80 milles de retard et je suis positionné plus à l’Est. En sus, la route s’annonce compliquée après les Canaries et on risque fort d’arriver avec des vents très forts en Bretagne… En ce moment, c’est soleil, vent régulier, on va vite et on vit penché ! Je navigue déjà vent de travers et Foncia passe bien dans la mer." Et pour Kito de Pavant aussi (Groupe Bel), la vie est belle ! "Tout va bien ! Le vent s’est stabilisé à 20-25 noeuds et on remonte vers le Nord à 14-15 noeuds… Il n’y a pas grand chose à faire à bord et je reste à l’intérieur, sous pilote."
La bande des quatre
Après ce groupe de tête où se situe aussi Yann Eliès (Generali) en fort belle situation de dauphin, Mike Golding (Ecover) et Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) sont les grands perdants de ce Pot au Noir ! Cent milles de perdus en quelques heures : la sanction est très sévère… Est-ce les problèmes techniques qu’ont connu ces deux solitaires (ballasts) qui ont plombé leur capacité à tenir le rythme alors qu’ils suivaient la même route que le leader ? En tous cas, ils vont devoir cravacher, surtout qu’un danger revient par derrière ! Samantha Davies (Roxy), Jean-Baptiste Dejeanty (Maisonneuve), Arnaud Boissières (Akena Vérandas) et Yannick Bestaven (Cervin EnR) ne sont plus très loin et surtout sont très groupés, voir même naviguent à vue. Or, être au contact met encore plus la pression et il faut imaginer que cette "bande des quatre" va s’entraîner mutuellement à mettre du charbon pour cette longue remontée vers les Canaries.
Quant à Dee Caffari (Aviva), Rich Wilson (Great Americain III) et Derek Hatfield (Spirit of Canada), ils sont en train de se sortir de la Zone de Convergence Inter Tropicale et vont ainsi pouvoir accélérer comme le reste de la flotte. Au programme pour ces deux à trois jours à venir : un long bord dans des alizés d’Est, soit travers au vent pour traverser la bordure Sud de l’anticyclone des Açores qui se repositionne vers Madère avant le week-end. C’est à ce niveau que la météo est plus incertaine et qu’il pourait y avoir un tassement de la flotte avant un rush final qui s’annonce musclé au passage d’une dépression en début de semaine prochaine…
Ce sont 48 heures particulièrement exigeantes qu’a traversé avec son flegme coutumier Francis Joyon. Rejoindre ce petit creux dépressionnaire en bordure de l’anticyclone de Sainte Hélène n’a pas été une partie de plaisir et Joyon a dû s’employer ferme pour d’abord s’extirper des faibles vents d’Est, puis accrocher dès hier soir un fort flux de Nord Est . " J’ai eu nuit agitée," reconnaît le skipper d’IDEC, " Le bateau est reparti très vite, dans un vent instable, qui m’a obligé à choquer les voiles et à abattre souvent sous les nuages qui apportaient du vent plus fort…" Sans transition, IDEC est en effet passé d’une dizaine de noeuds de vitesse à plus de 23 noeuds, reprenant en une douzaine d’heures la centaine de milles "perdus" sur son avance théorique du début de semaine. Un bon coup de cravache donc, qui laisse Francis quelque peu pantelant ce matin, fatigué mais heureux ; " Le vent est ce matin plus régulier… du coup une journée à 500 milles, c’est sympa!… je reste dans du vent d’une vingtaine de noeuds bien régulier qui n’a pas encore "rebroussé" la mer ; donc le bateau passe bien, c’est très agréable…"
A l’évidence, Joyon et IDEC viennent de franchir avec un maximum de réussite un secteur traditionnellement difficile de l’Atlantique Sud, entre les dépressions qui circulent à l’ouest le long des côtes d’Amérique latine, et l’immense "sangsue" des hautes pressions de Sainte Hélène. "Je vais devoir contourner l’anticyclone de Ste Hélène" confirme Francis, " mais je dois garder cette dépression pendant au moins deux jours et je vais pouvoir descendre et me glisser sous l’anticyclone. A plus long terme, une dépression australe un peu méchante devrait me rejoindre à la longitude du cap de Bonne Espérance."
Francis laisse derrière lui les grosses chaleurs équatoriales, et les lignes de cargos doublées cette nuit, dernières poussières de civilisation. "J’ai remis les « polaires ». Ici, c’est un peu comme l’été en Bretagne, les nuits fraîchissent. Les beaux jours sont déjà derrière moi. Le soleil est dans mon nord, les dépressions tournent à l’envers… C’est l’hémisphère Sud… il faut s’adapter. Je devais être sur une ligne transatlantique car j’avais beaucoup de cargos autour de moi, avec mes alarmes qui sonnaient tout le temps quand je les doublais…"
Heureux de son sort, Francis Joyon est déjà tout entier entré dans ce nouveau chapitre de sa grande aventure. Le Sud est là, le Sud l’attend. Francis, les images de 2003 plein la tête, sait ce qui se profile ; " On ne fait jamais le malin quand on va dans ces coins-là. Les mers du sud ne ressemblent à aucune autre. C’est toujours une aventure…"
De leur côté, les poursuivants peuvent toujours espérer bénéficier d’une situation météo différente que celle rencontrée par les deux leaders. C’est ce qui est en train de se produire en faveur de Veolia Environnement, Hugo Boss, Delta Dore et les autres qui profitent du ‘tassement’ de l’anticyclone de Saint Hélène pour se positionner au vent de leurs prédécesseurs. Quand PRB et Paprec-Virbac 2 ont été obligés de descendre au sud pour contourner la zone de hautes pressions, les autres ont maintenant la possibilité de « couper le fromage », soit réduire le chemin jusqu’à la prochaine porte de parcours.
Qui plus est, ces valeureux retardataires ne lâchent rien et se sont engagés, depuis plus de 48 heures, dans un vrai concours de vitesse. Propulsés par des vents portants réguliers, les équipages parviennent à tenir des cadences de 16 à 17 nœuds. C’est notamment le cas d’Hugo Boss et de Delta Dore qui naviguent à fond depuis deux jours. Or, cette politique du gagne-petit porte doucement ses fruits : 100 milles un jour, 30 ou 40 le lendemain… peu à peu les écarts se comblent. La tendance pourrait s’accentuer d’ici jeudi soir.
Du vent pour les poursuivants ? Car un front froid s’étend actuellement sur leur route. A plus de 500 milles des leaders, Temenos II en faisait déjà l’expérience. Harnachés, vêtus de pied en cap de leur ciré, Dominique Wavre et Michèle Paret, contacté à la visio conférence du jour, évoquaient la grisaille et des vent de 30 nœuds. Un contraste saisissant avec les images reçues de Veolia Environnement, où l’on apercevait Roland Jourdain torse nu à la barre. Mais dès cette nuit, il pourrait en être tout autrement. S’il n’est pas certain que le plan Lombard subisse l’influence du front, Hugo Boss, Delta Dore et Temenos vont probablement vivre une belle partie de navigation dans la brise avec 27 à 30 nœuds de vent de nord (et plus dans les rafales). Comme un avant goût de Grand Sud… ce Grand Sud que ne semblent pas du tout redouter Jérémie Beyou (Delta Dore) ou Jean Luc Nélias (Veolia Environnement) qui ne sont pourtant jamais descendus aussi bas.
A bord d’Educacion sin Fronteras, la toute jeune Servane Escoffier appréhendait davantage l’arrivée dans ces contrées lointaines et ventées. Mais en attendant les quarantièmes, le dernier concurrent de la flotte devra d’abord affronter d’ici peu, en guise de baptême du feu, une forte dépression.
L’avance virtuelle sur la position référence du trimaran d’Ellen Macarthur à ce point du parcours est passée en quelques heures de 821 milles à 730 milles ce matin. Mais le flux de secteur Nord espéré par le marin de Locmariaquer en bordure occidentale de l’anticyclône de sainte Hélène, et qui pousse actuellement à grande vitesse les leaders de la Barcelona World Race (Monocoques Imoca), semble s’établir et ouvrir la route du multicoque vers les régimes perturbés du grand Sud. Avec 16,5 noeuds de vitesse moyenne ces dernières 4 heures, IDEC retrouve des allures plus en rapport avec son potentiel. Cap au Sud Sud Est, Joyon va toute la journée s’évertuer à glisser autour puis sous les zones de haute pression de l’anticyclone centré sur l’archipel de Tristan da Cunha (37° S)…
Ces derniers mois , Michel Desjoyeaux au sommet de son art a ajouté deux belles victoires à son palmarès long comme un jour sans vent. En damant le pion à la nouvelle vague figariste, il a rejoint Philippe Poupon et Jean Le Cam avec trois victoires à son actif dans cette classique sur Figaro. La transat Jacques Vabre ne lui avait jamais trop souri jusqu’à présent. Cette transat en double entre Le Havre et Salvador de Bahia s’est soldée par une nouvelle victoire avec la complicité d’ Emmanuel Le Borgne à bord de Foncia. Celui que ses pairs surnomment le professeur ajoute à son talent ce brin de réussite qui sourit aux audacieux. On ne peut que s’incliner devant tant de succès acquis dans des catégories différentes et toujours face à une opposition relevée. Le marin le plus titré de la planète solitaire qui essaiera de réussir la passe de deux dans le Vendée Globe ( 1) s’est imposé de haute lutte dans cette élection.
La cote de Claire Leroy
La costarmoricaine Claire Leroy championne du monde et d’Europe de match racing avait aussi rallié de nombreux suffrages du jury présidé par Charles Claden , l’emblématique commandant des remorqueurs de haute mer de Brest. La régatière de la société nautique deSt Quay Portrieux a été récemment sacrée « Sailor of the Year » par la fédération internationale. ( ISAF ) C’est la plus haute reconnaissance dans le monde de la voile. Depuis Isabelle Autissier en 1995, elle est la première française à obtenir ce titre. Sa discipline où elle est numéro un mondiale depuis deux ans est moins médiatique que la course au large et au final Desjoyeaux s’est imposé et raflé les joyaux de cette couronne du marin de l’année.
Le skipper de la Forêt Fouesnant n’était pas sur la scène du théatre Edouard VII hier soir pour recevoir sa distinction . Et pour cause, il dispute actuellement la transat retour Salvador de Bahia Port la Forêt qualificative pour le prochain Vendée Globe. Il pourrait se reposer sur ses lauriers mais ne se lasse pas de courir les océans. " J’ai la chance de faire de ma passion un métier depuis plus de 20 ans. Je n’ai aucune lassitude. J’aime encore quelques challenges à relever " explique t’il. Cette nouvelle distinction ne va pas le faire grimper au mât : " Je ne fais pas ce métier pour récolter des trophées mais cela fait partie du jeu. Et ce titre fait plaisir d’autant que la concurrence était relevée. Il y avait des pointures cette année notamment en olympisme et en match racing, Claire Leroy déjà sacrée par l’iSAF et ce n’est pas rien l’aurait bien mérité. Mais cela va bien." confiait- il depuis Foncia en course sur l’Atlantique.
Gilbert Dréan / Le Télégramme
1.Il avait remporté l’édition 2000- 2001 du Vendée Globe devant Ellen MacArthur. Ce qui lui avait déjà valu le titre de marin de l’année 2001
Ils y sont : ils le voyaient venir hier après-midi, avec ce ciel gris et bas comme le moral d’un chanteur évoquant son "plat pays". Cette fois-ci, plus de doute, la tête de flotte est entrée dans le Pot au Noir. Les vitesses évoquent plus la promenade dominicale que la cavalcade folle d’un pur-sang de course, les trajectoires sont à l’image des doutes des skippers qui cherchent une porte de sortie.
A ce petit jeu, les tenants de la route directe comme Yann Elies et Loïck Peyron, s’ils tiennent encore le haut du pavé semblent aller chercher dans l’Ouest ce qu’ils ne trouvent pas devant leur étrave. Et pourraient bien donner raison au skipper de Safran qui a, le premier, infléchi sa route pour aborder cette fameuse Zone de Convergence Inter Tropicale. Seul à résister aux sirènes occidentales, Michel Desjoyeaux, fort de son titre de "marin de l’année", décerné hier soir par le jury de la Fédération Française de Voile continue de croire en son option vers l’Est. « Père prenez garde à droite, père prenez garde à gauche ! », combien de victimes, la bataille du Pot au Noir va-t-elle laisser sur le pré ?
Samantha Davies (Roxy)
" Hello ! Et bien, nous sommes finalement bien dans le Pot au Noir, depuis hier soir… Il n’y a pas eu encore de méchantes rafales, mais le vent est de plus en plus faible et de plus en plus instable ! Le ciel était peint d’un rouge d’or quand le soleil a rosi le matin et j’ai pu voir un banc de nuages grisâtres me couvrir. Et maintenant, le Code 0 fait un bon travail. J’ai débattu pour choisir entre lui et le grand gennaker et je suis bien contente de l’avoir envoyé : un bon angle par rapport au vent et un bon équilibre à la barre ! J’ai la liberté de choisir ma route et aussi, quand je me suis réveillée (après deux heures de sommeil !), le Code 0 m’offrais toujours une excellente vitesse… J’essaye de faire correspondre ma trajectoire avec les images satellites et les fichiers de vent mais désormais Roxy est entre les mains des Dieux du vent et dans ces petits airs, je n’ai pas beaucoup de marge car la brise dicte ma voie… Il est l’heure du petit déjeuner : mangue fraîche et thé Earl Grey…"
Dee Caffari (Aviva)
"C’est un jour meilleur qui commence sur Aviva ! Ce matin, Je me suis couverte de crème solaire avant de monter sur le pont et lentement, les mauvaises pensées se sont évaporées sous le soleil… J’ai franchi l’équateur à 18h19 hier soir et je suis maintenant dans le même hémisphère que le reste de la flotte. Le Pot au Noir semble incertain devant, mais une bonne douche sous une averse s’annonce comme un bon moment de la journée…"
Mike Golding (Ecover)
"Je n’ai pas eu une bonne nuit. Je ne sais pas exactement ce qu’il se passe, mais je suis en permanence en train de me battre pour rester dans le jeu et choisir la bonne combinaison de voiles pour faire avancer mon bateau. Une partie du problème réside aussi dans le crash de mon ordinateur qui fait que je reçois les prévisions météo avec beaucoup de retard. Mais je pense que mon problème actuel est la vitesse, et je bataille avec elle. Il y a beaucoup de facteurs à bord qui la concernent et c’est facile de penser qu’on a tout bon alors que ce n’est pas le cas. Et ça prend du temps de s’en rendre compte. Je ne pense pas que ce soit une question de vent, car je touche la même chose que les autres. Tout a commencé à mal tourner pour moi quand j’ai voulu envoyer ce gennaker. Je n’ai jamais réussi à revenir après ça, aggravé par les nuages que je me suis pris aussitôt après. Je me suis fait ralentir par deux nuages et j’ai probablement perdu du terrain. Je crois qu’il faut que j’évolue sur certains points. J’ai beaucoup utilisé les ballasts en travaillant avec les données que j’ai, mais ça reste assez intuitif. Je m’en sortais pourtant bien là-dessus jusqu’à présent. Il n’y a plus qu’à espérer que je reprenne ces miles dans le Pot-au-noir. L’autre point est que je suis assez perplexe sur la route à suivre. Pour l’instant, on suit d’assez près l’orthodromie et je ne suis pas sûr que les options extrèmes de Foncia et Safran leur offrent une meilleure traversée (du Pot-au-noir). Mais si on raisonne à plus long terme, peut-être finalement que Mich (Desjoyeaux) se retrouvera mieux à la sortie. Et à plus long terme encore, pas loin de la fin, ce sera peut-être Safran qui aura vu juste. Je suis sûr que le routage va rester celui là, mais ça fait faire du chemin. Donc si on se trompe, on va le payer très cher. Et je ne suis pas certain que ce soit le bon en ce moment. J’aimerais déjà bien être de l’autre côté du Pot-au-noir pour y voir plus clair, mais sa traversée peut prendre quelques jours. Le vent commence à tomber doucement mais je suis toujours à 14-15 noeuds. Peut-être qu’en envoyant du plus léger je pourrais me refaire un peu. »
Théorie du chaos, ensembles flous, théorème de la catastrophe, abbération mathématique, effet papillon, syndrôme Bonaldi… la Zone de Convergence Inter Tropicale (ZCIT) dénommée Pot au Noir, ne répond à aucun principe scientifique ! Impossible de modéliser un phénomène aussi aléatoire qui se joue de tous les pronostics et rendrait fou un prix Noble de physique. Car c’est bien la loi de Finagle : "si le pire existe, il ne manquera pas de se réaliser…" qui semble bien s’appliquer à la situation des quinze solitaires partis de Salvador de Bahia il y a exactement cinq jours. Du vent… pas de vent; du soleil… des nuages; de la pluie… des rafales; de la brise portante… du près ! L’enchaînement des phénomènes locaux ne cesse de faire tourner chèvre les navigateurs qui, désormais calé sur une longitude (26° Ouest pour Michel Desjoyeaux, 28° Ouest pour Loïck Peyron, 29° Ouest pour Marc Guillemot), cherchent avant tout à gagner des milles vers le Nord.
Sortie de secours
Car rien n’est évident quant à la hiérarchie établie ce mardi après-midi : le Pot au Noir est terriblement instable, non seulement dans sa structure mais aussi dans son intensité et ses déplacements. Il bouge sans cesse et donc si l’un des monocoques retrouve l’ivresse d’une vitesse supérieure à dix noeuds, cela peut ne durer que quelques quarts d’heure… La seule réelle référence est bien la latitude : celui est qui le plus au Nord, en l’occurence Loïck Peyron (Gitana Eighty), est en pole position pour s’extraire de ce chaos.
"J’ai retrouvé le sourire : il y a du soleil, plus de nuages, il ne pleut plus… mais il n’y a pas de vent ! Il y a un clapot d’enfer, des vagues dans tous les sens, la grand voile claque, j’avance difficilement à trois noeuds… C’est dur à supporter ! Il faut que j’arrive à faire du Nord pour m’en sortir." indiquait Michel Desjoyeaux, (Foncia), seul solitaire à avoir pu être contacté suffisamment longtemps à la vacation radio de 15h à 16h au Salon Nautique de Paris. Très brièvement, Yannick Bestaven (Cervin EnR) racontait que sa situation était, a contrario, pas trop mauvaise dans le Pot au Noir.
Que va-t-il se passer dans les heures qui viennent ? Les monocoques vont jouer au yo-yo au niveau du classement, jusqu’à ce qu’ils trouvent la porte de sortie, les premiers réels rayons de soleil, significatifs d’un Pot au Noir dans le tableau arrière. Soleil et vent de secteur Est, d’abord d’une dizaine de noeuds, rapidement (quelques heures plus tard) d’une vingtaine… Car au-delà du 8° à 8°30 (soit à 150 milles des étave des leaders), les alizés de l’hémisphère Nord sont bien présents. Et orientés plutôt à l’Est-Nord Est, ce qui est de surcroît plus favorable pour s’écarter vite de cette masse nuageuse noire et sinistre…
Regroupement général
La bonne nouvelle du jour, c’est tout de même que le peloton des poursuivants a très sensiblement refait de son retard : en tête du groupe de chasseurs, Samantha Davies (Roxy) n’est plus qu’à cent milles du leader et même Dee Caffari (Aviva), a pu gratter plus de soixante milles en une journée ! Mais surtout le Pot au Noir va beaucoup se modifier dans les prochaines heures : les bulles sans vent vont "imploser" pour laisser place à un flux modéré de secteur Est dès le 7° Nord. Les sept poursuivants vont ainsi passer moins de temps dans la ZCIT et donc revenir aux basques des sept leaders qui auront donc un autre danger à surveiller dans leur rétroviseur…
En sus, si les alizés seront puissants dès demain mercredi, ils vont eux aussi se dégrader pour descendre à moins de quinze noeuds jeudi. Sans compter que l’anticyclone au large des Canaries s’affaisse sur lui-même ! Y aura-t-il un nouveau Pot au Noir à la latitude de Madère ? C’est ce que semble indiquer les fichiers météo à cinq jours… Il pourrait donc y avoir un nouveau retournement de situation et surtout des options à prendre pour "finir le match" ! A longer les côtes portugaises ou à viser l’archipel des Açores ? La transat Ecover-BtoB a encore des surprises dans sa besace…
L’atmosphère des basses latitudes est en bien en train d’envelopper la tête de course. Vincent Riou : « le temps s’est couvert, il fait plus froid et nous avons aperçu les premiers albatros. Bref, ça sent le Sud, on y arrive ». A bord de PRB et de Paprec-Virbac 2 (31 milles plus loin), les polaires, cirés et bonnets sont donc de sortie.
Plus de 100 milles de gagnés pour Hugo Boss Derrière, si Veolia Environnement (qui a choisi de « couper le fromage » en mettant de l’est dans son cap), doit commencer lui aussi à percevoir les signes annonciateurs du Grand Sud, le reste de la flotte poursuit sa descente autour de l’anticyclone de Sainte-Hélène dans un décor bien différent. Comme Roland Jourdain et Jean Luc Nélias, quelques équipages ont bénéficié, entre lundi et mardi, d’un joli coup d’accélérateur. Hugo Boss et Delta Dore ont trouvé du vent soutenu cette nuit, leur permettant de débouler à 16 /17 noeuds de moyenne et de refaire un peu leur retard : entre 75 et 100 milles de gagnés selon les tandems, de quoi réjouir Sidney Gavignet qui en redemande encore : « le vent nouveau est arrivé. Enfin!! On va pouvoir manger du mille, dévorer de la vague et sillonner l’Océan, encore et encore » nous écrit-il ce matin.
Dans la catégorie du meilleur ‘come back’, la palme revient à Hugo Boss. Alex Thomson est d’ailleurs coutumier du fait, lui qui adore pousser ses bateaux au maximum (rappelons qu’il détient le record de distance sur 24 heures en monocoque et en solitaire, avec 468 milles). Il le prouve ici encore. Malgré une grosse frayeur dans la nuit de dimanche à lundi, où l’équipage a évité de justesse la collision avec un cargo, le bateau noir était le plus rapide de toute la flotte.
Educacion sin Fronteras quitte les alizés Mais ce retour de quelques concurrents par derrière semble avoir atteint son point d’orgue : il ne sera pas assez marqué pour menacer les deux leaders qui continuent leur descente sous spi à 15/16 noeuds de moyenne. Et il n’a pour l’instant pas souri aux poursuivants, à savoir Temenos II et Mutua Madrileña, dont l’équipage était encore en t-shirt lors de la visio conférence du jour. Encore moins à Estrella Damm et Educacion sin Fronteras. A 1130 milles de la tête de course, Albert Barguès et Servane Escoffier commençaient tout juste à quitter les alizés pour entamer leur ‘tour’ de Sainte Hélène. Sur leur chemin, ils risquent à terme de rencontrer du vent fort avec le développement d’une dépression sur les côtes sud-américaines.
Ca se cale en tête mais alors que jusqu’à ce week-end, les leaders jouaient plutôt au "petit train" en suivant la même route, ce début de semaine marque un nouvel alignement, mais cette fois latéral, comme un éventail… Avec toujours un différentiel en milles par rapport au but (encore à 3 000 milles !) inférieur à quinze milles, la hiérarchie ne signifie pas grand chose. Seul, Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat) a décroché en concédant une cinquantaine de milles, un petit retard qui doit se justifier par les problèmes informatiques que le solitaire a rencontré ce week-end. Et dans le peloton aussi, les places se stabilisent ainsi que les écarts par rapport au premier, sauf pour les tous derniers qui ont ainsi une journée de retard et qui ne bénéficient plus des mêmes conditions météorologiques.
Des conditions toujours idylliques pour la tête de la flotte qui progresse à plus de seize noeuds de moyenne dans un alizé qui est passé au secteur Sud-Est d’une vingtaine de noeuds. Le Pot au Noir va être dans le collimateur ce lundi, probablement au moment de la vacation radio avec le PC Course de la transat Ecover-BtoB installé au Salon Nautique de Paris entre 15h et 16h. En effet, Météo France laisse entendre qu’une bulle sans air va se positionner sur la route la nuit prochaine, mais ce ralentissement ne devrait durer qu’une douzaine d’heures.
Des alizés favorables
Et si les alizés du Sud sont bénéfiques ce lundi matin, ceux du Nord devraient aussi être favorables, non seulement en force avec une vingtaine de noeuds au Nord du 6° Nord, mais aussi en direction : l’anticyclone de Açores a en effet reculé sous la pression… des dépressions qui balayent violemment les côtes bretonnes depuis dimanche. Décalées plus au Sud-Est vers l’Espagne, les hautes pressions génèrent une brise de secteur Est dès la sortie du Pot au Noir : les solitaires vont donc rester sur un cap proche de la route directe en étant légèrement débridés, ce qui signifie qu’au lieu de planter des pieux dans une mer courte, ils vont allonger la foulée à plus de quatorze noeuds en passant plus facilement dans les vagues. La remontée vers l’archipel des Canaries devrait ainsi être assez rapide, du moins pour les "sept samouraïs"…
Mais pour l’instant, le jeu consiste à définir l’entrée dans le "tunnel" : plus à l’Est comme Michel Desjoyeaux (Foncia), plus à l’Ouest comme Marc Guillemot (Safran), plutôt au centre comme Yann Eliès (Generali) qui a repris les commandes dans la nuit ? En tous cas, l’écart latéral semble rester assez restreint, entre le 28°30 et le 29°30 Ouest et s’il y a un vrai bouleversement climatique local comme l’annonce les fichiers météo, il risque fort de concerner toute la flotte. Les différences se feraient alors plutôt au petit bonheur la chance et en essayant d’éviter les gros cumulonimbus qui "mangent le vent"… Mais comment faire quand le Pot au Noir est prévu en pleine nuit avec une lune qui perd de son intensité ? Y aura-t-il une réelle distribution des cartes ? Il faut en douter au vu de ces trois jours et demi de mer où aucun des sept nouveaux prototypes n’a démontré un potentiel plus important que ses concurrents…
Bernard Stamm (Cheminées Poujoulat)
"Bonjour, pas beaucoup de nouvelles depuis deux jours, j’ai eu quelques petits désagréments techniques. L’ordinateur principal et son back up ne répondaient plus, tout était sur ces deux machines en une. J’étais tellement persuadé ne pas pouvoir avoir d’ennui avec cette machine que l’ordinateur de secours, un portable normalement dédié à l’image, n’était même pas configuré et que tous les CD d’installation étaient soigneusement rangés dans le camion atelier. Résultat : 24 heures pour relancer la nav et l’aquisition de fichiers météo. Autrement, la cloison qui sépare les deux ballasts centraux s’est cassée et les deux ballasts communiquent entre eux. Il faut que je fasse très attention quand je le remplis pour ne pas lui exploser le couvercle avec la pression. J’ai un oeil dessus et quand le plancher se soulève, je tourne en catastrophe la vanne. C’est encore utilisable et surtout ça ne fuit pas dans le bateau. A part ça, tout va bien à bord. J’ai quand même essayé d’être le plus possible sur les réglages et les changements de voiles. A raison d’ailleurs, parce que hier, j’ai croisé la route de quelques grains vraiment copieux. Autrement il fait chaud et beau, la vie est belle, et depuis quelques minutes nous ne sommes plus austral, mais de nouveau boréal. Parce que nous le valons bien !!! Bonne journée."
Samantha Davies (Roxy)
"Hello ! Tout va bien à bord. J’ai eu les premiers deux grains au début de la nuit. Rien méchant mais un petit échauffement pour le Pot au Noir ! Je suis toujours sous Solent, GV 1ris (ça change des fois !) et ORC et Roxy marche bien. Le vent est pas très stable en force alors il faut règler les écoutes tout le temps ! J’essaye de dormir aussi pour me préparer pour le Pot au Noir, et aussi je regarde les infos météo pour essayer de comprendre la situation et trouver la meilleure route (ou celle la moins pire !)… More news later."
Michel Desjoyeaux (Foncia)
"Pas eu le temps d’écrire jusqu à maintenant. Toujours plus occupé à autre chose, genre surveiller les concccurents par exemple. C’est dingue, au bout de 48heures de course, on voyait encore les sept bateaux de tête… Là, ça s’étale un peu, c’est la première nuit que je ne vois personne. Il y avait Brit Air et Generali dans le sillage avant le grain de fin de journée, et après, plus rien, visibilité mauvaise donc ? Vent très variable surtout en force, de 13 à 20 noeuds, direction à peu près calée, mer désorganisée, on se fait un peu balloter. Pas touché à la barre depuis hier matin, casquette tirée, je sors très souvent pour rerégler la GV, pas besoin de mettre le ciré, ça tombe bien : il fait toujours chaud. Il nous reste quelques heures de fin de nuit avec la lune, c’est vachement sympa, mais ça va en diminuant, snif ! Bonne fin de nuit."
Kito de Pavant (Groupe Bel)
"Nous revoilà la tête à l’endroit !!!!! Groupe Bel a franchi pour la deuxième fois de sa courte vie, l’équateur à 00h 06mn 40s et ce par 31°04 W. Il y a de la brise, bien orientée, qui permet de tenir des vitesses de 15 à 20 noeuds sous pilote. J’essaie de dormir un peu en prévision du Pot au Noir dans lequel, il sera encore plus difficile de fermer l’oeil… Tout va bien à bord même si les distrations sont rares… Tchiz."