Dans les heures qui viennent, Sodeb’O va toucher les alizés de sud-est. Les grains se raréfient même si au moment où il parlait hier, un nuage noir et peu rassurant montait rapidement vers lui. Ce genre de nuage typique du Pot au Noir amène des rafales de vents violents. Ils obligent les marins solitaires à rester sur le qui-vive sous peine de chavirer. Au petit matin, Thomas s’est d’ailleurs fait une belle frayeur. Assoupi après une nuit passée à manœuvrer, il a été réveillé par une pluie violente et n’a eu que le temps de choquer en grand quand il a pris conscience que le bateau était très haut sur une coque.
La partie d’échec météorologique va se compliquer avec le contournement nécessaire de l’anticyclone de Saint Hélène qui lui barre la route au milieu de l’Atlantique sud et qui l’empêche aujourd’hui de profiter de la route la plus courte pour rejoindre les 40èmes rugissants et les grands vents portant d’ouest.
Sodeb’o, un demi-jour de retard à l’équateur
Francis Joyon au milieu des Icebergs
Loin de toute terre hospitalière, au coeur du Pacifique Sud, aux prises avec une dépression la plus creuse rencontrée depuis son départ voici un mois de Brest, (975 hpa!!) et la menace avérée des icebergs, Noël est décidément une période difficile à vivre dans ces latitudes : "ll y a 4 ans (2003), j’avais déjà bien "dégusté" pour Noël, et Ellen aussi à en croire ses notes que je feuillette… Noël tout blanc ; Icebergs et déferlantes blanches. Pas de lumière mais tout est blanc. C’est étonnant de penser que ces icebergs constituent un morceau de l’antarctique, on imagine les ours blancs encore dessus… C’est à la fois impressionnant et très beau!". En bordure Nord Ouest du centre dépressionnaire, le marin solitaire sacrifie tout à la bonne marche de son trimaran géant, sans ménager sa peine en multipliant les prises de ris. L’oeil rivé au baromètre, il doit aussi caler avec précision sa trajectoire sur le fort flux de Sud Ouest qui enfle vers le cap Horn. Deux ris, puis trois ris trinquette. "J’ai dû hier freiner très fort le bateau dans les déferlantes" explique Francis " J’ai encore 32 noeuds et il va forcir jusqu’au bord de la dépression, 40-45 noeuds… Le multi aime le medium… dès que la mer déferle, le bateau se met en crabe et ce n’est pas terrible pour la vitesse… la mer était très grosse cette nuit. J’ai fait un départ au surf sur la crête d’une vague, avec plantage à la clé…"
Prévenir les concurrents de la Barcelona…
Marin jusqu’au bout des ongles, Joyon, la stupéfaction et disons le, l’émerveillement passé, s’est empressé de relever la position des icebergs croisés cette nuit à cette latitude si inattendue. Et ses pensées d’aller naturellement vers d’autres marins appelés à traverser ce champs de mines : "On considère traditionnellement que le danger est absent au delà de 55 N, mais cette année, les glaces dérivent un peu plus haut. J’ai relevé leurs positions pour les communiquer aux concurrents de la Barcelona World Race…" Et d’expliquer… "J’ai eu bien de la misère dans les 56èmes avec les icebergs et sans visibilité. Je suis remonté de quelques degrés et c’est alors que j’en ai vu 4 ici. Le radar m’a alerté après une nuit galère dans du vent fort, 3 ris trinquette… J’étais à 4 milles de l’iceberg… dans les grains et la pluie je ne vois pas grand chose et le radar fait bien son boulot… Je zigzague entre eux, je m’écarte d’ eux et j’observe l’eau à la recherche de growlers… Le dernier était plus loin, 6-7 milles. Il faisait une tache énorme sur l’écran radar… Je pense qu’il mesurait bien 300 à 400 mètres de long…"
Affronter le pire en attendant le meilleur
Alors qu’il continue d’aligner des journées à près de 500 milles, et que son avance virtuelle sur Ellen MacArthur tutoie les 3 000 milles, Francis Joyon dévore avec calme et application son "pain noir de Noël". Le menu s’annonce copieux, avec dans l’ordre de passage des plats, stratégie et positionnement vis à vis de la dépression, vents soufflant en tempêtes et déferlantes, le tout sous la menace des icebergs. "Je commence à être fatigué" lâche simplement Francis. "Je suis dans la tempête. 975 hpa devant moi. On n’en voit pas beaucoup de si creuses en Bretagne. Cela ne fait que commencer. Je vais "tangenter" cette « dépression » au plus près du centre par le nord. Il n’y a pas d’autres solutions; Je dois y passer. .." Et de conclure, désarmant de laconisme : " Il faut que je me repose un peu maintenant et ce sera parfait…."
Francis Joyon a franchi l’antéméridien
Francis Joyon est repassé à l’Occident, passant en une seconde de 180 degrés de latitude Est à 180 degrés de latitude Ouest. Et de l’autre côté de la ligne, il était… la veille à la même heure puisqu’en franchissant l’antéméridien on passe instantanément du temps universel plus 12 heures au temps universel moins 12 heures. C’est jeudi 20 décembre au soir, peu avant 20h en heure française, que le navigateur d’IDEC a joué les Phileas Fogg et donc « rajeuni » d’un jour. Symboliquement aussi, à partir de ce moment on peut définitivement considérer que chaque mille parcouru rapproche Francis Joyon de sa Bretagne, alors qu’il n’avait fait que s’en éloigner jusqu’ici.
Moins de 10000 milles à courir ce vendredi soir
Voilà pour l’anecdote, toujours un tantinet vertigineuse. Côté navigation proprement dite, IDEC n’affiche pas les moyennes très élevées de l’Océan Indien, mais reste tout de même sur des bases supérieures à 450 milles par jour. D’ici ce soir, le grand trimaran rouge devrait également passer la barre, certes symbolique mais toujours agréable pour le moral, des moins de 10 000 milles à parcourir pour rentrer couper la ligne d’arrivée en France. Par 54 degrés de latitude sud, IDEC fait toujours route avec sur un cap au plein Est, soit la route directe pour le Cap Horn. Son avance sur le temps de référence d’Ellen MacArthur, toujours estimée à plus ou moins sept jours de course, s’élève ce soir – en distance cette fois – à 2860 milles nautiques, soit près de 5300 kilomètres en langage terrien.


















