IDEC navigue ce matin à plus de 21 noeuds au large de la corne du Brésil, à 3800 milles de l’arrivée à Brest. L’alizé dit de Sud Est permet désormais à Francis Joyon de pointer résolument les étraves de son grand IDEC tribord amure cap plein Nord vers l’Equateur. Par le travers de Fortaleza et dans la chaleur Brésilienne, le marin de Locqmariaquer a retrouvé la grande foulée qui était sa marque de fabrique jusqu’au cap Horn. Avec surtout dorénavant une vitesse de rapprochement, un gain efficace sur la route qui relancent à la hausse son bilan de performances.
L’Equateur est en vue, symbolique porte du retour vers Brest et la maison. Castorama, le trimaran d’Ellen MacArthur s’y était présenté en 2004 au terme de 60 jours et 13 heures de course record. Le maxi catamaran Cheyenne du regretté Steve Fossett l’avait rejoint en un peu plus de 50 journées. En s’y présentant demain jeudi dans la soirée, l’extraordinaire Monsieur Joyon signerait une "carte" de… 48 jours et quelques heures! Il pulvériserait ainsi de plus ou moins 12 jours le temps de référence en solitaire et même de peu ou prou deux jours celui de Cheyenne en équipage! Le magazine anglo-saxon SeaHorse traduit ce mois ci son fair-play et son admiration en posant avec humour la vraie question : "Does Francis Joyon really put his trews on one leg at a time like the rest of us?" Francis enfile t’il ses pantalons une jambe à la fois comme chacun de nous?
Joyon file vers 12 jours d’avance à l’Equateur!
L’Equateur dès ce jeudi pour Francis Joyon
Le tribut à payer à la performance reste élevé, bien que de différente nature par rapport aux jours qui ont précédé le redémarrage d’IDEC. Au près "vent debout" comme décrit le marin de Locmariaquer, face aux vagues et dans les chocs répétés, a succédé une navigation plus acrobatique. "Le bateau monte sur un flotteur dès 12 noeuds" explique Francis Joyon. La vigilance est ainsi de rigueur à la barre comme sous pilote afin de ne pas se faire surprendre dans les grains encore bien présents. Le souci de safran bâbord (sous le vent) prend dans ce contexte toute son importance. Désolidarisé du safran principal, il se met en travers et freine la belle glisse du plan Irens-Cabaret.
"Placer haut la barre"
Ciel bleu, avec de longues traînées de nuages alizéens, mer belle et un vent modéré de secteur Est à Sud Est apportent à Francis Joyon un très mérité bien-être nautique, suite à cinq longues journées à subir calmes et vents de face dans sa remontée de l’Atlantique Sud. Mais ces conditions "de rêve pour un marin", n’endorment ni la vigilance ni l’extraordinaire faim de performances du skipper d’IDEC. Bien qu’ayant perdu son "aiguillon" Coville après l’abandon de la tentative du trimaran Sodeb’O, le skipper d’IDEC reste totalement motivé et concentré pour réaliser la plus haute performance possible dans son Tour du Monde. "Je pense aux tentatives futures qui ne manqueront pas de s’élancer, et je veux placer la barre le plus haut possible…" souligne Joyon. L’homme et le bateau sont ainsi plus que jamais "à la bagarre", car glisser toutes toiles dehors au vent de travers suppose une attention de tous les instants. "Sous les nuages, le vent prend facilement 4 à 5 noeuds de puissance en plus. Il me faut alors réagir très vite pour maintenir le bateau à plat…"
Préservation du bateau d’abord
Avec plus de 21 000 milles dans son sillage, le géant IDEC est plus que jamais l’objet des attentions presque attendries de son skipper. "Je sens ici et là des traces d’usure tout à fait normales" raconte Francis. "Je continue de solliciter le bateau mais je surveille toute trace de fatigue du matériel." Le petit safran bâbord du trimaran donne depuis hier un peu de fil à retordre à Francis qui a constaté que ce dernier semblait désolidarisé du safran principal ; "J’ai un petit soucis de parallélisme avec le petit safran bâbord qui ne suit plus le mouvement du safran principal" explique Joyon ; le palonnier ne me semble plus solidaire de l’ensemble du système de barre. C’est un peu gènant car à haute vitesse, il se met en travers et crée une perturbation. Mais il est situé en arrière de flotteur, à un endroit assez inaccessible qui complique une éventuelle intervention…"
Et le marin, s’inquiète-t’on? "J’ai bien récupéré de ces 5 jours de près, même la nuit dernière malgré les grains." Seul le sentiment de solitude semble parfois toucher un marin que ni glaces ni tempêtes n’ont jusqu’à présent ébranlé ; "Je souffre moins de la solitude que lors de ma précédente tentative" avoue-t’il cependant. "Je crois que je m’y étais mieux préparé…la vitesse et les performances du bateau jouent aussi beaucoup" conclue- t’il à la veille d’écrire une nouvelle ligne statistique dans les grands livres des temps référence de son tour du monde. L’Equateur demain jeudi au milieu de son 48ème jour de course placerait IDEC en avance de 12 jours sur Ellen MacArthur …
IDEC devrait passer l’équateur jeudi
Francis Joyon et IDEC incurvent lentement mais sûrement depuis hier après-midi leur route au Nord Nord Ouest. Ce n’est pas encore la route directe vers Brest et "la maison", mais après une semaine passée à louvoyer au gré des grains disséminés en plein dans son axe, Francis ne doit certes pas déplorer de pouvoir ainsi rester tribord amure à jouer avec les oscillations du vent. Ce dernier devrait gagner en force et en stabilité tout en prenant de plus en plus de droite (Est).
Le géant IDEC pourra ainsi s’appuyer plus que lutter contre les éléments et allonger une foulée que l’on sait longue et déliée depuis ses exploits dans les mers hostiles du grand Sud. Avec cette adonnante tant attendue et les régimes alizéens d’Est, l’exercice comptable de l’entreprise Joyon va de nouveau voir ses chiffres prendre de la hauteur. Ce matin déjà, son avance "pharaonique" sur le record d’Ellen MacArthur, en chute libre depuis le Horn ( plus de mille milles nautiques "perdus") est repartie à la hausse. Au terme de 45 jours de course en 2004, Ellen MacArthur venait de franchir le cap Horn. IDEC, lui, pointe vers la corne du Brésil. Francis aura ce soir glissé sous la barre des 4000 milles restant à parcourir. Un passage de l’Equateur est envisageable après demain jeudi. Resteront à négocier le Pot au Noir et les régimes dépressionnaires d’Ouest de l’Atlantique Nord bien connus du navigateur Morbihannais.
Joyon : “je souffre de voir souffrir mon bateau”
La progression vers l’Equateur est cependant à ce prix et Francis Joyon y souscrit d’autant plus volontiers qu’il sent proche la délivrance avec cette très attendue adonnante. En abordant les régimes d’alizés d’Est, Francis va en effet peut-être dès demain soir sentir le vent tourner doucement sur sa droite. Travers au vent, IDEC retrouvera alors un confort de route propice à une plus grande vitesse vers l’Equateur…
"Des grains très violents"
"Je souffre de voir souffrir mon bateau…" Joyon le marin est tout entier résumé dans cette phrase. Sans égard pour sa personne est limité quant il s’agit de multiplier changements de voiles et virements de bord. Le skipper d’IDEC grince des dents et souffre en silence à chaque creux dans lesquels les 9 tonnes de son trimaran viennent brutalement s’enfoncer. "J’ai eu toute la nuit des grains très violents sous de sombres nuages, et l’allure du bateau était très inconfortable, avec de très gros chocs dans les vagues." On le voit, la froideur des chiffres de sa progression au large du Brésil masque la dure réalité de cette phase si cruciale d’un tour du monde où, aux vitesses débridées du grand Sud, le marin supplée par la stratégie et l’intelligence de course. Alors que la chaleur se fait durement ressentir dans l’habitacle peu ventilé du trimaran, Francis se montre aux petits soins pour son grand voilier qui compte déjà plus de 21 000 milles réellement parcourus au compteur.
"J’ai perdu mon aiguillon"
Le retrait sur avarie de Thomas Coville, lui, laisse un grand vide dans l’esprit de Francis Joyon qui, depuis la genèse d’un projet indirectement partagé, a toujours composé avec les choix architecturaux et technologiques du trimaran Sodebo. "En battant mon record des 24 heures, Thomas a prouvé tout le potentiel de son bateau. Il est certain que de ne plus le savoir sur l’eau enlève un peu de pression. Il était mon "incitateur de performance". Mais je demeure complètement en recherche d’efficacité, à me battre pour chaque minute…"
Thomas Coville contraint à l’abandon!
Exactement 5 minutes après avoir battu le record de distance sur 24 heures et alors qu’il naviguait dans la première partie de l’Océan Indien, à la latitude des Iles Kerguelen, Thomas Coville monte sur le pont pour réduire et découvre qu’il a perdu la crash box du flotteur tribord. Même s’il est trop tôt pour déterminer les causes exactes de cette avarie, le skipper de Sodeb’O qui avait vu hier deux icebergs de plusieurs centaines de mètres de long, constatait qu’il y avait des growlers – morceaux de glace flottant entre deux eaux – autour du bateau. Le trimaran se déroute actuellement vers Capetown (Afrique du Sud) distante de 1300 milles.
619,3 milles en 24 heures
On imagine la déception du skipper qui venait de battre – à 1h45 heure française ce samedi 5 janvier – le record des 24 heures en solitaire. Thomas Coville a parcouru 619,3 milles à la moyenne de 25,8 nœuds. Il bat ainsi de trois milles le record détenu par Francis Joyon (616,03). Le record est actuellement en attente d’homologation auprès du WSSRC . A noter que Thomas Coville a battu le record lors de sa 20e journée de navigation, tout comme Francis Joyon, et dans la même zone de l’Océan Indien, avec qui plus est un schéma météo assez similaire, en avant d’une dépression.


















