Moins de vent dans les prochaines 24h

tabarly 09
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Le temps des aventuriers est-il révolu ? Dans leur quête de l’île au trésor, les solitaires de la Transat BPE n’ont plus guère d’incertitudes sur leur position. Le bon vieux sextant est, comme le loch à poisson, rangé depuis longtemps aux oubliettes de l’histoire de la course au large. Le pendule du professeur Tournesol peut toujours indiquer l’ouest, qu’on ne compte pas non plus sur nos navigateurs pour lire dans les entrailles d’un poisson volant, les augures d’une victoire espérée. Plus prosaïquement, les skippers d’aujourd’hui risquent de passer plus de temps penchés sur les écrans d’ordinateurs que le nez au vent, en train de humer les variations de l’air. Quoique… quand un François Gabart (Espoir Région Bretagne) annonce, quelque peu dépité, avoir perdu quelques dizaines de milles, englué dans une bulle sans vent, on se dit que parfois dame nature sait encore réserver quelques coup de pied de l’âne à tous ces mathématiciens de la course au large, capable de couper les barbules des fichiers grib en quatre, pour trouver la meilleure stratégie possible pour relier la ligne d’arrivée. Comme si la météo aimait à jouer avec les nerfs et les certitudes des navigateurs… et mettre à mal les stratégies élaborées tout au long de la gigantesque partie d’échecs qui se trame sur l’Atlantique. Dans une moindre mesure, tous les hommes du sud qui attendaient avec impatience leur heure, ont vu, tout au moins provisoirement, leurs plans contrariés. Une aubaine pour Gérald Veniard (Macif) et Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) qui se retrouvent relancés dans la course au podium. Gildas Morvan (Cercle Vert) continue quant à lui de baliser la route, mais il sent toujours dans son tableau arrière le souffle chaud de l’étrave de Nicolas Troussel qui ne lâche rien. Le skipper de Financo, malgré l’impossibilité de se servir de son pilote en mode vent, résiste à coups de siestes écourtées, d’heures de barre sous le soleil et de coquetiers imparables, quand le bateau fonce dans la nuit noire, que le vent tourne sans que le pilote ne suive et que le navigateur n’en puisse mais.

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Grosse fatigue

Pour d’autres, les heures de veille accumulées commencent à se faire sentir. Chacun essaye comme il peut de ne pas trop tirer sur les réserves sachant que l’arrivée sur Marie-Galante peut être complexe. Certains usent de petits artifices pour recharger leurs batteries : utiliser une part des réserves d’eau douce comme Thierry Chabagny pour se laver à grandes eaux, surveiller du coin de l’œil la route d’un concurrent proche au classement général, adapter son sommeil aux heures les moins chaudes… Mais il arrive parfois que la routine immuable subisse quelques accrocs ; Franck Le Gal (Lenze) en a fait l’amère expérience. Parti se reposer quelques instants, le navigateur solitaire n’a pas branché correctement son alarme de réveil. Au final, un gros dodo de cinq heures qui s’est traduit par une route à rebours de la volonté de son navigateur… Mais qui sait si ce ne sera pas au bout du compte, un mal pour un bien. Dans l’affaire, le skipper de Lenze estimait avoir perdu une bonne dizaine de milles. Mais qu’est-ce que dix milles au regard d’une lucidité et d’une énergie retrouvée ? Car c’est bien le paradoxe de ces Transatlantiques des temps modernes : appareils de navigation sophistiqués, pilotes automatiques élaborés, informatique de pointe cohabitent avec des habitudes ancestrales : manger dans une gamelle, trouver du plaisir dans un rasage à l’eau douce, se cacher du soleil aux heures les plus chaudes, dormir par bribes… Tintin vit encore.

Le mot du jour : hygiène
Pour les concurrents de la Transat BPE, la navigation sous le soleil est aussi l’occasion de s’entretenir, de prendre soin de soi. Pouvoir enfiler un tee-shirt propre, prendre une douche à grande eau est à la fois indispensable pour l’hygiène, mais aussi un excellent antidote contre les petits maux du corps et de l’âme. Au point que certains navigateurs se font un devoir de se raser quasiment tous les jours et de maintenir une hygiène de vie irréprochable. Pour certains la performance est à ce prix…

Ils ont dit :

Gildas Morvan – Cercle Vert – 1er au classement de 15h
« Les dernières 24 heures ont été un peu dures car les conditions étaient très changeantes, mais cette nuit j’ai réussi à récupérer, donc ce matin j’ai la forme. En plus on a du vent et des vagues donc on s’amuse bien. J’ai le pouvoir et ne comptez pas sur moi pour le rendre aux autres concurrents ! Je me demandais cette nuit comment ça se fait qu’on s’amuse autant! Ca ressemble à une Solitaire du Figaro : on est tout le temps dessus, on n’a pas le temps de s’ennuyer. La nuit on essaie de trouver un réglage pilote, car tous les débuts de nuit en ce moment, on nous coupe la lumière ! C’est le black out total, c’est quasiment impossible de barrer ! Dans ces cas-là, le pilote navigue beaucoup mieux, je le laisse faire et je vais me reposer jusqu’à ce que le jour se lève. Avec un partenaire comme Cercle Vert, je suis gâté niveau nourriture ; à bord, j’ai du foie gras et plein d’autres bonnes choses à manger, c’est génial d’avoir un sponsor dans l’alimentaire ! Tous les bateaux sont assez groupés ; ça se joue vraiment sur des petites bascules, un petit coup à droite, un petit coup à gauche… C’est fou, j’ai l‘impression d’être parti il y a trois jours, c’est incroyable d’en être déjà à un nombre à trois chiffres de l’arrivée ! »

Franck Le Gal – Lenze – 8ème au classement de 15h
« Ce fut une mauvaise nuit pour moi, j’ai fait une bêtise, j’ai mis mon réveil en oubliant l’interrupteur, donc j’ai navigué cinq heures sur le mauvais bord… La bonne nouvelle, c’est que je suis reposé, mais la mauvaise, c’est que je suis allé là où je ne voulais pas. L’alizé a molli un peu mais ça reste des conditions supportables. Je pense que j’ai accusé la fatigue, je paye peut être l’addition de tous ces efforts. C’est une bêtise mais ça arrive, ça aurait pu être pire. J’essaie de rester positif. Il y a une bataille sympa à trois, avec Synergie et Gedimat, ce n’est pas mal. Hier on s’est bien amusé avec Armel, on était à la VHF toute la journée. Et là je suis proche d’Isabelle, mais je ne peux pas la joindre car elle n’a pas assez d’énergie je crois. De ce côté-là je ne suis pas inquiet, pourtant je ne suis pas du tout économe depuis le départ ! Je suis aussi assez large en eau, donc je vais sans doute reprendre une douche en fin de journée. Côté nourriture, c’est la caverne d’Ali Baba dans le bateau ! Je n’ai pas envie de jeter, donc j’aurai pas mal de choses à l’arrivée. J’ai de l’excellent jambon Serrano et de la viande des grisons, ça peut faire un bon apéro à Marie-Galante… »

Nicolas Troussel – Financo – 2ème au classement de 15h
« La journée et la nuit prochaine devraient être assez déterminantes pour la suite des événements. Je ne barre pas la nuit, j’y suis toute la journée. La nuit, je suis sous pilote en mode compas avec la télécommande dans les mains. Si les conditions sont très changeantes, je fonctionne avec des siestes d’1/4 d’heure à l’intérieur du bateau, par terre avec une petite mousse, comme ça je suis prêt à sortir en cas de problème. Je sais que je me réveille si le spi claque ou s’il y a un souci sur le bateau, qu’il ralentit ou que le vent tourne. Je récupère bien comme ça. Je mets tout de même les réveils pour être sûr d’être prêt en cas de problème. Il faut vraiment être à l’affut. Je me bagarre pour rester au contact des autres. La course ressemble effectivement à une Solitaire du Figaro mais la différence c’est qu’on a intérêt à dormir beaucoup plus que sur une Solitaire ! Moi je dors en moyenne quatre heures par nuit. Je fais en fonction du bateau. Je n’ai pas fait d’images, je n’ai pas le temps, je préfère me concentrer sur la barre. »

Classement
1- Morvan Gildas à 920milles de l’arrivée
2- Troussel Nicolas à 18,9 milles du leader
3- Chabagny Thierry à  29,7,milles du leader
4- Véniard Gérald à 43,5 milles du leader
5- Tabarly Erwan  46,6 milles du leader
6- Gabart François  76,8 milles du leader
7- Joschke Isabelle  135,7  milles du leader
8-  Le Gal Franck 151,3 milles du leader
9-  Tripon Armel 164 milles du leader
10- Hardy Adrien 217,7 milles du leader