Encore vingt-quatre heures de ce régime… Après le près lancinant, les solitaires de la Transat BPE sont partis pour une cavalcade aux allures de largue qui prend parfois des airs de sarabande infernale. Dantesque, épuisant, sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent dans les propos des skippers soumis au régime de la douche écossaise. Aux instants d’euphorie provoqués par une grande glissade à plus de quinze nœuds peut vite succéder un instant d’abattement consécutif à un dérapage incontrôlé… C’est Armel Tripon (Gedimat) qui doit grimper par deux fois dans son mât pour démêler son spinnaker enroulé dans l’étai ; et ce, pendant que le bateau dévale les vagues au vent arrière par trente-cinq nœuds de vent. C’est Nicolas Troussel (Financo) qui doit bondir en catastrophe dans le cockpit alors qu’il se reposait à l’intérieur quand le bateau part en vrac couché par une rafale à plus de cinquante nœuds. C’est encore Franck Le Gal (Lenze) qui, en guise de cadeau d’anniversaire pour ses trente-six ans, doit en pleine nuit effectuer une marche arrière dans le coup de vent pour extraire un bout enroulé dans sa quille. Sans compter toutes les petites misères que l’on ne raconte pas, histoire de ne pas donner prise à la concurrence… Mais de Gildas Morvan (Cercle Vert) à Erwan Tabarly (Athema), tous reconnaissent avoir vécu des heures pas faciles. Et commencent à compter les heures qui les séparent de l’instant où ils pourront ôter la combinaison sèche et se faire un vrai repas chaud sur un bateau enfin à plat. Sans assiette normale pour le navire, pas de fantaisies culinaires…
Rien n’est jamais acquis
A l’ouest Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) et Adrien Hardy (Agir Recouvrement) continuent de tenir la dragée haute au groupe du sud. Au prix parfois d’une navigation musclée : les quelque quatre-vingts milles de latitude qui séparent le leader des méridionaux du moment, changent radicalement la donne. Au nord, le vent est plus puissant, les vagues plus formées. Selon les observations relevées sur place, si toute la flotte navigue dans des conditions pour le moins toniques, le pire est bien pour Adrien et Thierry. Lequel reconnaissait avoir navigué à l’aveugle depuis plus de vingt-quatre heures, privé de connexions Internet qui lui aurait permis de récupérer les fichiers de vent d’une part et les positions de ses adversaires, d’une autre. Quoi qu’il advienne, la trajectoire de Suzuki Automobiles aura le mérite d’une lisibilité et d’une détermination remarquable.
La flotte devrait continuer à descendre vers des latitudes plus clémentes pendant encore deux jours. Dans la journée de dimanche, viendra l’heure des premiers comptes quand il s’agira de commencer à mettre de l’ouest dans sa route. Les hommes du sud bénéficieront-ils d’un régime d’alizé suffisamment puissant pour compenser l’écart de route ? Ceux du nord parviendront-ils à garder une trajectoire au cordeau sans s’engluer dans les calmes de l’anticyclone des Açores ? C’est aussi le charme des courses transatlantique de proposer des scénarios où rien n’est écrit d’avance. L’incertitude du lendemain est parfois le prix à payer pour la liberté de choix d’hier.
Le mot du jour : anticyclone des Açores
Cette zone de hautes pressions qui stationne aux abords de l’archipel du même nom est celle qui génère dans son sud les régimes d’alizés de nord-est qui devraient permettre aux concurrents de descendre vers les Antilles. A l’inverse des basses pressions, les zones anticycloniques sont eu mobiles et s’étalent sur de longues distances. D’où des gradients de pression peu importants qui génèrent des vents relativement faibles à ses abords. C’est toute la problématique à laquelle sont confrontés les concurrents de la transat qui tentent de contourner cette zone de hautes pressions par le sud-est.
Ils ont dit :
Armel Tripon – Gedimat – 9ème au classement de 15h
« J’ai eu quelques soucis en fin de journée. Au moment d’affaler mon spi, en abattant un poil trop, il s’est enroulé autour de l’étai et s’est transformé en paquet de nœuds. Après avoir affalé la grand-voile, j’ai essayé, à deux reprises, de monter en tête de mât, mais je n’ai pas réussi à atteindre le deuxième étage. Finalement, j’ai renvoyé la grand-voile et c’est parti comme ça ; mais j’étais cuit, les bras tétanisés, trempé jusqu’aux os. En plus, j’ai pris 35 milles dans la vue. Là, j’ai remis le génois puis j’ai voulu recharger les batteries en faisant tourner le moteur. Et là, la courroie d’alternateur a explosé. Heureusement j’ai des courroies de rechange, mais ce n’était pas ma journée… Il faut que je vérifie mon spi, mais il a l’air d’être intact et j’ai récupéré toutes mes drisses. Dans mon malheur, je m’en sors bien. »
Nicolas Troussel – Financo – 4ème au classement de 15h
«Cette nuit, il y a eu de l’air et des bons grains, jusqu’à 55 nœuds. J’étais dans ma bannette et quand je suis sorti c’était un peu le bordel. J’ai cassé mon antenne VHF et elle bloque ma girouette, ce qui est plutôt handicapant. J’espère que quand j’empannerai elle se décrochera toute seule. Cette nuit, je l’ai joué tranquille, mais on arrive bientôt dans le rythme anticyclone des Açores. Je fais mon petit bonhomme de chemin et j’essaie de rester au contact des 3 premiers pour pouvoir jouer dans les alizés.»
Gildas Morvan – Cercle Vert – 7ème au classement de 15h
« Ces dernières 24 heures, c’était un peu l’enfer, le passage du front dans 40 nœuds a été dur. Cette nuit j’ai navigué sous spi, je suis assez content de ma trajectoire, elle est parfaite par rapport à Madère. C’est génial, quand on a une stratégie et qu’on arrive à l’appliquer. La mer est un peu démontée, mon Figaro avance entre 12 et 17 nœuds, ça défile vite et à partir d’aujourd’hui ça va être sympa, on devrait avoir un bel alizé. »