Enfin au portant

chabagny 2009
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Autant dire que nul n’est tenu à la même lecture du plan d’eau. Au nord, Thierry Chabagny (Suzuki Automobiles) poursuit son chemin solitaire quand Gérald Véniard (Macif), calé sur une route intermédiaire se verrait bien à la place du skipper de Nevez. Plus au sud, Gildas Morvan (Cercle Vert) continue de mener la danse, poursuivi comme son ombre par un Armel Tripon (Gedimat) au mieux de sa forme. A croire que l’école de la Mini-Transat apprend à s’endurcir le cuir et se tanner le moral : d’un Erwan Tabarly (Athema) revenu en quatrième position, à Isabelle Joschke (Synergie) ou bien encore Adrien Hardy (Agir Recouvrement), nul ne se plaint des conditions météorologiques qui ont obligé les navigateurs à adopter la position du dahu.
Mais les heures à venir pourraient être décisives : les adeptes de la route nord, Chabagny, Véniard, Hardy ont tous enclenché la surmultiplié. Naviguant tous à près de 10 nœuds de moyenne, on peut supposer qu’ils ont ouvert l’angle suffisamment pour envoyer un spi de brise qui permet enfin de faire décoller l’étrave. Corollaire de l‘opération : les solitaires vont devoir rester rivés à leur barre, à négocier les vagues quand de l’autre main, ils n’auront de cesse de jouer sur l‘écoute de spinnaker pour trouver l’efficacité maximum et surtout éviter que le bateau ne parte au lof. Choquer, border, la vie des solitaires se trouve rythmée par un tempo incessant qui n’autorise plus la moindre approximation. Reste à savoir si ce gain sera suffisant pour combler le retard pris sur la route du sud. Au classement de 16h, la différence de vitesse était de plus de trois nœuds entre ceux qui pouvaient profiter du vent adonnant pour envoyer le spi et les autres.

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Empirisme et informatique

Certains sont loin de ces considérations tactiques et psychologiques. Devoir résoudre certaines basses contingences matérielles influe aussi tant sur le moral que sur la marche du bateau. Ainsi Yannig Livory (CINT 56) cumule depuis quelques jours les petites avaries qui, si elles ne remettent pas en cause l’intégrité du bateau, modifient sensiblement l’environnement du navigateur. Téléphone satellite intermittent ne permettant pas de recevoir les fichiers météo, souci de bombonne de gaz entraînant l’obligation de manger froid, le navigateur lorientais redécouvre les vertus des navigations à l’ancienne où l’observation des systèmes nuageux, de l’orientation des vents et de la courbe du baromètre n’avait pas encore été détrônée par l’informatique de bord. Aux figures théoriques de Monsieur Buys-Ballot ont succédé les fichiers grib : ce que les navigateurs ont perdu en poésie, ils l’ont incontestablement gagné en efficacité. Il suffirait de voir les trajectoires au cordeau de certains leaders, en comparaison d’une route aux zigzags parfois hésitants de Yannig pour comprendre que le temps des baladins est bel et bien révolu. Il en est un autre qui évolue ainsi à l’aveuglette depuis plusieurs jours, c’est Gérald Véniard. Le navigateur rochelais a pourtant tranché pour des solutions pour le moins radicales, usant de toute sa science de la météorologie pour aller chercher la bascule attendue sous un front. Une trajectoire limpide qui lui permet de figurer en seconde position au classement de 15 heures. Comme quoi, intuition et empirisme peuvent parfois suppléer avec efficacité les froides logiques informatiques.

Le mot du jour : reaching
Cet anglicisme désigne en fait les allures de largue, celles où l’on peut choquer les écoutes sans pour autant s’autoriser encore la perspective de naviguer à plat. Entre 70° et 110° du vent en moyenne, le reaching fait la part belle à la puissance du bateau. Souvent rapide, c’est une allure qui demande une attention constante et une grande vigilance, notamment dès que l’on hisse le spinnaker.

Ils ont dit :

Yannig Livory – Cint 56 – 12ème au classement de 15h
« J’ai eu un premier problème, c’est le plombage qui s’est mis dans la bouteille de gaz au niveau du joint donc je n’ai plus de gaz. Et croyez moi, le «lyophal » froid ce n’est vraiment pas bon! Autrement vu que le téléphone ne marche plus, je n’ai ni la météo, ni la position des autres bateaux ; donc je navigue vraiment à l’aveugle. J’ai l’impression d’être en pleine découverte, comme Christophe Colomb ! Je ne sais pas où sont les autres ; je ne sais pas si je suis devant ou derrière. »

Gérald Véniard – Macif – 2ème au classement de 15h
« Moi, je pense que Thierry Chabagny a fait le bon choix, si j’avais pu, j’aurais fait comme lui. Je suis tout de même content de ma position, mais je n’ai pas non plus inventé le fil à couper l’eau chaude! Il y avait un front à aller chercher, j’y suis allé à temps mais il n’y a rien de définitif à tout ça. Vu de l’intérieur, sachez qu’il n’y a pas grand-chose qui fonctionne comme je le voudrais, mais je suis super content d’être là. Je me repose, je fais des petites siestes en m’accrochant bien à la bannette. Demain, on devrait pouvoir envoyer un spi. Mais c’est une allure assez serrée encore pour quelques jours ; donc ça va continuer à mouiller fort, mais comme on n’a pas trop le choix, on va attaquer ! »

Adrien Hardy – Agir Recouvrement – 7ème au classement de 15h
« C’est très physique, chaque déplacement est un gros effort qui demande beaucoup d’énergie. Le bateau tape vraiment beaucoup, heureusement que le Figaro Bénéteau est un bateau costaud. Vivement que le bateau soit à plat, que je puisse me faire de bons petits plats ! »