« Ça se barre par devant » a déploré Gérald Veniard (Banque Populaire), ce matin, lors de la vacation. De fait, depuis 48 heures, le duo Armel Le Cleac’h – Fabien Delahaye accentue doucement mais sûrement son avance : 6 milles hier à 5 heures. Deux de plus ce matin à la même heure. « On ne voit plus Banque Populaire, même à la jumelle mais grâce aux classements, on arrive à le situer et ça nous va plutôt bien de le savoir dans notre axe derrière » se satisfait celui que l’on surnomme le chacal. Il n’en reste pas moins attentif et concentré. Car si la nuit a été relativement tranquille – et qu’elle a permis de se reposer -, de nouveaux nuages font leur apparition dans le ciel. Il le sait, c’est en début de matinée que les grains sont les plus violents.
Mode furtif ?
Comme hier, le but du jeu en ce dimanche sera donc d’exploiter au maximum les accélérations en bordure de nuage et d’éviter de se faire piéger dans une zone de molle à l’arrière. Il faudra aussi surveiller l’évolution du vent et sans doute se recaler au cours de la journée. En effet, l’alizé établit à présent à l’Est est prévu de basculer progressivement au Sud-Est avant un retour, demain, au Nord-Est. « Nous auront alors un alizé bien costaud » a expliqué Eric Mas de Meteo Consult. Une situation qui pourrait permettre à Cercle Vert et à Savéol de recoller au score. Car si, pour l’heure, ces deux là sont relégués à un peu plus de 12 milles du leader, ils ont lofé cette nuit et se trouvent maintenant décalés à environ 8 milles au vent. « Peut-être que l’on va pouvoir jouer lorsque le vent va refuser » a expliqué Bertrand de Broc qui, ce matin, avouait cependant être plus focalisé sur son poursuivant direct que sur les deux bateaux de tête. « On est en mode « prévention » plus qu’en mode « attaque ». Devant, ils ne seront pas faciles à rattraper alors on préfère assurer nos arrières et marquer Romain (Attanasio) et Sam (Davies) qui sont assez proches de nous » a t-il indiqué. Pour lui, comme pour les autres, le mode furtif semble plus que jamais d’actualité. Il ne leur reste d’ailleurs plus qu’aujourd’hui (avant 9 heures) ou demain pour le déclencher…
Le piège à grains
L’Atlantique est en train de changer. Le ciel bleu orné de petits nuages s’est assombri depuis hier matin. On aperçoit au loin les lignes de grains qui permettront à certains de grappiller quelques dixièmes de mille, mais qui condamneront aussi ceux qui seront trop gourmands et qui ne sauront lofer au bon moment pour s’extirper du nuage. Ces ambitieux se verront alors prisonniers de la traine et devront, trempés, en attendre la sortie.
L’après-midi d’hier a été consacrée à rejoindre les deux poursuivants directs du quatuor de tête, les écarts s’étant resserrés, une descente vers le Sud-est nous était autorisée. Les deux bateaux « Crédit Mutuel de Bretagne» et « Generali» semblaient quelques peu résignés quant au classement final et misaient désormais sur une erreur des meneurs ou un excès de gourmandise de leur part sous les grains.
Depuis 4h00 du matin, les nuages réapparaissent, la nuit jusque-là constellée d’étoiles s’assombrit peu à peu, la lune n’est toujours pas levée. Le vent a molli (12 à 14 nœuds d’Est) et il va sûrement falloir négocier son oscillation dans les heures à venir. Le moral semble au beau fixe sur la tête de la flotte. Il va falloir désormais faire des choix : à quel moment empanner ? Quand passer en mode furtif ? Tenter une attaque ou préserver sa place ?
Les premières réponses seront connues dès le classement de 11h.
Ils ont dit…
Brit air – Armel Le Cléac’h (1er au classement de 5h) :
« Nous avons le temps de regarder les classements quand on change de quart. Les prochaines heures vont être intenses car des grains sont prévus et il va falloir en profiter, donc on se repose bien maintenant pour être efficace. La nuit est sombre, sans lune avec un vent sympa de 15-20 nœuds qui permet de faire une bonne moyenne sous spi. On trace notre route. Nos quarts sont de deux heures à la barre, on surveille le vent pour les prochaines heures car des grains sont prévus et nos réglages doivent rester au top, il va falloir constamment les affiner. Le classement nous conforte dans notre position et notre stratégie. On a croisé un cargo hier, sinon rien ni personne depuis plusieurs jours. La nuit ou lorsque le ciel se couvre comme en ce moment, ce sont les meilleurs moments pour se reposer parce qu’il ne fait plus trop chaud et on peut vraiment dormir. Pour l’arrivée, différents scenarios s’ouvrent à nous car on a des recalages à faire. Nous notons nos observations tous les jours dans un cahier de bord et on compare ensuite nos notes quand on se retrouve dans une situation similaire, pour voir si nous avions pris les bonnes décisions ou non, si on peut les améliorer et grappiller quelques milles supplémentaires. Il va y avoir des moments délicats à négocier, ça va s’activer dans le ciel, nous allons être très vigilants… On a deux nuits et deux jours complets devant nous. Il nous reste des périodes difficiles, il ne faut pas se mettre dans le rouge tout de suite. On mange bien, on boit bien et surtout on se repose autant que l’on peut. Il nous reste deux jours pour utiliser le mode furtif. Je vais aller me coucher et nous prendrons la décision à mon réveil. Il nous reste encore quelques heures pour décider mais ce sera de toute façon pour aujourd’hui ou demain ! »
Cercle Vert – Bertrand de Broc (3e au classement de 5h) :
« Le vent souffle plus rapidement et nous sommes encore un peu tranquilles. Nous avons fait le choix de contrôler notre concurrent direct, Savéol, qui est pour l’instant assez proche de nous. Nous nous mettons entre la ligne d’arrivée et lui. Nous sommes sur la prévention plutôt que la préservation, nous préférons assurer notre troisième place. Le vent est passé Est Nord-est, les vagues sont sur l’arrière, le bateau accélère par moment à 12-13 nœuds, il va tout droit en surf. Ça fait du bien de naviguer vite et tout droit, c’est très agréable de barrer dans ces conditions. Nous allons longer les îles de la Martinique. On est encore loin de la terre, on ne voit pas beaucoup de cargos ni d’animaux (oiseaux, dauphins…), mais ça devrait commencer à s’améliorer dans la journée… Les leaders font route directe, nous allons avoir les positions bientôt, nous on lofe un peu. Il y a deux jours, nous disions que nous avions toutes nos chances de revenir sur les deux premiers, il n’y avait que 6 milles entre nous ! Mais malgré les conditions favorables et les 6 petits milles d’écart, on se rend compte que c’est très difficile de revenir, on n’y arrive pas. Donc nous assurons notre troisième place face à Savéol qui donne tout ce qu’il a ! »
Banque Populaire – Gérald Véniard (2e au classement de 5h) :
« Armel (Le Cléac’h – Brit Air) nous met mille après mille, à chaque classement il est plus loin. Les autres ont lofé, on ne voit plus leurs feux. Ce n’est pas fini pour autant ! On est supposé jiber aujourd’hui donc on va les croiser à nouveau. En début de nuit, il y avait du vent, le bateau était au planning en survitesse et avançait tout seul et tout droit, c’était vraiment très agréable ! Le vent est bien soutenu, le bateau marche à 10 nœuds. Avec Jeanne on commence à trouver le temps long, on a hâte d’arriver, mais on a encore du boulot !
Le vent a molli, la nuit est noire et sans Lune, il y a beaucoup d’étoiles mais elles ne sont pas lumineuses. Il y a des petits nuages noirs qui arrivent et on se demande toujours s’il va y avoir un grain ou non, c’est un peu la loterie. Parfois un petit nuage nous donne un bon coup de vent ou au contraire un gros nuage bien noir ne nous en donne aucun.
La météo a prévu un vent mollissant aujourd’hui, nous avons donc de quoi travailler pour exploiter le moindre souffle d’air… »