
Charlie Dalin raconte en détails son avarie et sa réparation. Il a déjà repris un peu du terrain perdu hier et devrait être en mesure de revenir doucement dans les prochains jours sur les deux leaders LinkedOut et Maitre CoQ.
« C’était une journée de dur travail à bord d’Apivia. Quand l’avarie est arrivée, c’était un choc et une déception immense car la première chose que je me suis dit c’est que c’était fini, que je ne pouvais pas continuer comme ça. Ça a été un moment difficile de constater cette avarie.
Mon équipe s’est mobilisée en mode « Apollo 13 ». Ils ont la liste du matériel que j’ai à bord, ils m’ont proposé une solution pour réparer. Il y avait beaucoup de découpe de carbone, il fallait redessiner la pièce de carbone à partir d’un plan, il fallait ensuite faire le collage avec le bout de mousse pour faire un sandwich… Puis il a fallu ajuster la pièce. J’étais suspendu à une drisse à l’extérieur du bateau pour mettre la pièce en place. Après, j’ai fait un nombre incalculable d’aller-retour dans le bateau pour remettre des coups de meuleuse pour ajuster la pièce. Je voyais le jour qui commençait à baisser, j’étais un peu à bout de force. Heureusement, une heure avant la nuit j’ai réussi à encastrer la pièce. J’ai déroulé une voile et j’ai dormi toute la nuit. C’était beaucoup d’émotions, beaucoup d’énergie. Quand j’ai reçu la procédure de l’équipe, j’avais l’impression d’avoir une montagne infranchissable devant moi, c’était énorme. J’ai pris ça étape par étape. Ça fait du bien d’avoir réussi à le faire. Je relativise beaucoup, ça remet les choses en perspectives par rapport aux petits problèmes que j’ai pu avoir avant. Ce n’était vraiment pas grand-chose par rapport à ça !
J’ai refait une inspection ce matin après l’empannage, la pièce a l’air de tenir, le foil ne bougeait pas beaucoup. J’ai pris confiance dans la réparation. La course continue pour Apivia ! Dans mon malheur, j’ai eu de la chance car le vent est tombé exactement quand il fallait. J’ai couché le bateau le plus possible en mettant la quille sous le vent et les voiles à contre pour dégager le foil de l’eau le plus possible. J’ai pris quelques vagues quand même, l’intérieur de mes bottes sont mouillées mais c’est un détail ! Heureusement la météo était avec moi. J’ai pu réparer sans attendre. J’espère que c’est la fin de la série noire entre la grosse dépression, le vent faible, l’avarie, les adversaires qui reviennent… J’espère que c’était le dernier souci et que maintenant ça va dérouler !
Actuellement je suis sur le bon bord, il fait 10° dans le bateau. C’est marrant comme on s’adapte au froid. Quand il s’est mis à faire 15 degrés au début du sud j’avais l’impression de rentrer dans un frigo. Là il fait 10°, je suis en polaire et je suis bien ! On retrouve la mer croisée habituelle de l’Indien. Elle ne m’avait pas manquée celle-là ! C’est compliqué de trouver la bonne voile pour ne pas planter toutes les 10 secondes.
J’ai perdu pas mal de temps, mais je ne m’en sors pas si mal. Je suis à portée de tirs de mes deux compères ! Je suis à égalité avec Thomas (Ruyant) en termes de souci de foil. Ils ne sont pas loin, je les ai en ligne de mire. Je n’ai plus rien à perdre, je vais naviguer à fond pour les raccrocher. Je suis à 22/23 nœuds, ça avance bien vers le Pacifique, dans moins de 500 milles ! J’ai hâte de découvrir cet océan. »
Le récit de Charlie
« Lundi soir en fin de nuit pour moi, environ 2 heures avant le lever du jour, je réalise que j’ai de l’eau qui, de temps en temps, coule dans le cockpit par le tunnel alors que ça n’arrive jamais. Je trouve ça bizarre, j’envoie un message à l’équipe pour leur en faire part. Je continue à cogiter. Je me demande si ce n’est pas le peigne du tunnel… J’en parle à l’équipe. La 2e alerte, une alarme d’envahissement d’eau dans la zone du puits de quille. Je vais voir et il y a effectivement un peu d’eau qui est rentrée mais je ne sais pas trop par où. Je finis par me rendre compte que le puits de foil est plein d’eau et je vois mon foil bouger dans un sens dans lequel il ne le devrait pas. Il a un degré de liberté dans lequel il devrait être contraint… Je me dis tout de suite que j’ai dû perdre la cale basse… Au début je n’ose pas y croire. J’ai pris ma caméra que j’ai mis sur une perche et ralenti le bateau pour filmer à l’extérieur et voir autour du foil. Est-ce que je vois la cale ? Je réalise que la cale basse inférieure a disparu. Ça a été horrible car instantanément j’ai vu mon Vendée Globe se terminer. C’était l’abandon à coup sûr… J’ai éclaté en larmes de désespoir de me rendre compte de ça, je me suis dit que c’était fini et que ça n’allait jamais le faire. Toute l’équipe était très déçue de cette avarie, ça les a marqué aussi. »

« J’ai tout de suite remonté le foil au max, ainsi il a tendance à se plaquer contre la cale du haut et j’ai fait des essais de navigation en accélérant au fur et à mesure pour voir ce qu’il se passait… Malgré tout, je voyais que de temps en temps, il y avait des inversions de force et que le foil redescendait et s’appuyait sur le puits, qu’il était plein d’eau et que ça le mettait trop sous pression. »
« Il y a une période où l’équipe a réfléchi en fonction de ce que j’avais à bord et de toutes les contraintes que l’on connait, d’être tout seul sur un IMOCA à l’autre bout du monde pour réparer ce genre de truc. On a convenu de fabriquer une cale de substitution avec des morceaux de carbone et un morceau de mousse. J’ai découpé mes bouts de carbone à la meuleuse (NDLR : disque diam). Puis j’ai assemblé mes pièces et fait le collage. Pendant qu’il prenait, je dormais un peu car je savais que la suite allait être compliquée… »
« Pour la phase d’installation de la pièce, je savais que j’allais avoir à me suspendre dans mon baudrier à une drisse pour atteindre le niveau de la sortie du foil et réussir ainsi à l’installer en la maintenant en position avec des bouts qui viennent de l’intérieur. »
« Je me suis mis à la cape au dernier moment car je savais que j’irais dans le mauvais sens à ce moment-là. J’y suis allé quand vraiment tout était prêt : mon baudrier, mon harnais, ma combinaison étanche… J’étais accroché à une drisse et à une longe qui me reliait au pont. J’avais une double sécurité. J’ai commencé mes allers-retours. J’allais au niveau du foil par l’extérieur du bateau pour tenter d’insérer ma cale, voir où il y avait trop de carbone et là j’ai fait je ne sais pas combien de dizaines d’allers-retours pour ajuster la pièce, dégraisser à droite et à gauche, pour réussir à la faire rentrer dans le puits. Là, ça a été long, et je voyais le soleil qui commençait à baisser. Il fallait que je continue et que j’y arrive avant la tombée de la nuit. C’était vraiment mon objectif. Ça aurait été dur pour moi d’attendre le jour suivant pour continuer. Vraiment au bout de mes forces et au bout de ma fatigue, j’ai réussi à insérer la pièce. »
« Heureusement, ça a fini par rentrer. J’ai réussi à sécuriser la pièce par l’intérieur comme on avait prévu de le faire. J’ai pu réempanner et reprendre ma route. Au début, je ne pensais qu’à dormir… mais il n’y avait plus beaucoup de vent donc ça a été plus fort que moi et j’ai déroulé une voile plus grande pour aller plus vite. Même si je restais sur des valeurs tranquilles de vitesse. Par la suite, je n’ai fait que dormir. »
« Ce matin, j’ai observé mon foil. On a commencé à faire des essais en allant un petit plus vite, en accélérant… pour voir si le foil bougeait et dans quel sens. La conclusion, c’est que le foil bouge peu au final. A priori, ça a l’air d’aller… Une fois empanné, j’ai refait une inspection en reprenant des photos par l’extérieur du bateau pour voir si la pièce avait bougé mais elle ne paraît pas avoir bougé. C’est plutôt bon signe après quelques accélérations de voir que tout est en ordre de marche et que ça a l’air de tenir. »
« On continue de réfléchir s’il faut encore sécuriser davantage mais, en tous cas, le tribord que j’ai fait cette nuit pour moi était plutôt encourageant et ça m’a donné confiance dans la réparation qu’on a effectué. »
Explications d’Antoine Carraz, (Directeur Technique d’APIVIA) : « Charlie a fabriqué une pièce de 70 cm de large en sandwich carbone / mousse qu’il est venu poser en remplacement de la pièce abîmée. Pour cela, il a dû mettre le bateau à la cape avec la quille sous le vent pour le faire giter le plus possible. Il est ensuite monté sur le foil en prenant les mesures de sécurité nécessaires pour aller remplacer la cale basse. En tout, il y a d’abord eu un temps de réflexion et par la suite 14-16 heures de mise en œuvre. »