« Avec Erwan Tabarly, nous sommes prêts. On marche plutôt bien aux entraînements. Maintenant, on verra bien si la Transat nous réserve une météo à foils ou pas… » L’homme qui parle a terminé deuxième des deux dernières éditions du Vendée Globe. Il s’appelle Armel Le Cléac’h. Et même s’il a tendance à s’en défendre au motif que les foils sont une technologie encore trop récente, il fait partie des grandissimes favoris… à la fois de la Transat Jacques Vabre et du Vendée Globe. Que veut-il dire par cette phrase un tantinet mystérieuse pour le béotien ? Tout simplement que le fameux match des « anciens » contre les « modernes », dont tout le monde parle en IMOCA, pourrait bien se voir arbitrer avant tout par les conditions météo rencontrées sur le parcours. Et en particulier sur les premiers jours de cette Transat Jacques Vabre.
C’est une chose en effet de dire que les bateaux à dérives droites conçus pour le dernier Vendée Globe sont très fiabilisés et optimisés (à l’image de PRB, SMA, Maître Coq, Groupe Quéguiner etc) et qu’ils bénéficient de nombreuses années de recherche et d’expérience sur ces appendices rectilignes. C’est une deuxième chose de considérer que les tout nouveaux « foilers » n’en sont qu’à leurs débuts et ne bénéficient donc pas de ce si précieux retour d’expérience. En un mot qu’ils tâtonnent encore. Un troisième constat est de noter qu’ils commencent à dévoiler un potentiel vraiment important, mais n’ont pourtant guère eu l’occasion de briguer des podiums cette saison. Les premières courses ont vue une nette domination des monocoques à dérives droites et notamment du PRB de Vincent Riou.
Près pour les anciens, portant pour les nouveaux
Tout ceci est juste. Mais le vrai juge de paix – à pépins techniques supposés égaux ! – sera bel et bien la direction et la force du vent. Les nouveaux bateaux à foils de Sébastien Josse, Morgan Lagravière, Jean-Pierre Dick, Armel Le Cléac’h et Alex Thomson sont très typés grand large. C’est à dire fait pour planer vite et longtemps dès qu’on peut ouvrir leurs voiles. Pour les spécialistes, entre 60 et 140 degrés du vent. En revanche, ils ont plus de mal au près serré, a fortiori dans du vent faible. Sébastien Josse le résume bien : « les foilers sont très rapides au reaching et au débridé, mais au près serré nous avons encore des trous de performance par rapport aux bateaux d’avant-dernière génération. On cherche encore des compromis. Nous sommes un peu moins polyvalents, nos bateaux sont vraiment étudiés pour le parcours du Vendée Globe, c’est à dire une majorité d’allures portantes dans du vent soutenu». Christian Le Pape, patron du Pôle France course au large de Port-la-Forêt (où s’entrainent beaucoup de marins du Vendée Globe) nous avait expliqué la même chose voilà quelques semaines, dans ces mêmes colonnes.
Pour quelques degrés d’angle…
Quid de la Transat Jacques Vabre, alors ? Pour Richard Silvani de Météo France, « à quelques jours du départ, il est encore un peu tôt pour avoir des certitudes. Mais disons qu’on s’oriente vraisemblablement vers un flux d’ouest perturbé au moment du départ, qui donnerait du vent medium de l’ordre de 15 à 20 nœuds. Du près donc pour la première partie de course, qui consiste à sortir de La Manche ». Conclusion : dès les premiers milles cette transat en double sera passionnante à suivre, puisque pouvant être potentiellement favorable aux bateaux conçus pour le Vendée Globe 2012, sur le papier plus fiables et au moins aussi rapides à cette allure que les tous nouveaux foilers. Ce sera le moment de vérifier la théorie… si souvent démentie lorsqu’on parle de course au large ! Car quelques degrés d’angle seulement peuvent entraîner de grosses différences. Entre un près serré (avantage dérives droites), un près océanique (égalité probable) et un reaching (avantage foils), il n’y a parfois que quelques milles, quelques heures de navigation, ou un bord plus ou moins prolongé pour garder l’angle favorable. Pas exclu non plus de voir une course avec deux options bien marquées en fonction des formes d’appendices…
Et ensuite…
Que se passera-t-il ensuite, au moment de mettre le clignotant à gauche en Atlantique pour plonger vers le sud ? Les deux situations les plus courantes à cette époque de l’année sont soit le train de dépressions venant de Terre-Neuve avec passages de fronts successifs, soit le blocage anticyclonique qui entraine une course de vitesse vers l’alizé portugais. Les skippers des bateaux à dérives droites, pour une fois, préfèreraient vivre au près… A l‘inverse, les pilotes des nouvelles machines à foils appellent de leurs vœux du portant et une mer plutôt carrossable. « C’est trop tôt pour dire ce qui va se passer dans une semaine », assène Richard Silvani, qui sera aussi le monsieur météo de la Transat en charge des briefings aux marins. Trop tôt surtout pour se prononcer sur les petits degrés de différence d’angle du vent qui peuvent tout changer au match. Une chose semble plus évidente et tous le savent : si plus au sud, la traversée de l’Atlantique proprement dite se fait dans un alizé soutenu et une mer maniable – comme c’est souvent le cas – les foilers qui se seront préservés de la casse pourront lâcher les chevaux et allonger la foulée. Voilà pourquoi Yann Eliès (dérives droites) lâche dans un sourire que pour lui la météo idéale c’est : « 48 heures de près au départ et 150 milles d’avance à l’équateur ! » Enfin, on ne se risquera pas ici à un pronostic comparé dans le Pot au Noir. Là-bas, ce sera chacun pour soi et Dieu pour tous. Foils ou pas.
Bruno Ménard / Agence Mer et Media