Vivre entre 20 et 30 jours, seul en mer, ne pas avoir de communication satellite avec la terre ou avec ses proches, ne pas avoir de routage, réparer les éventuels problèmes techniques par soi-même, organiser sa vie dans 4 m2 et tirer le meilleur parti de son coursier : une équation à de multiples entrées qui rend l’aventure et la course diablement passionnante.
Et la tension monte petit à petit sur les pontons de la marina de Funchal. Les voitures commencent à se succéder sur le quai et les coffres déchargent les litres d’eau et les kilos de nourriture tendance sucreries et produits frais en complément des incontournables lyophilisés. 21, 22, 23, 24, 25 jours de nourriture embarqués, 120 litres d’eau imposés, les tee-shirts manches longues remplacent les polaires, les familles commencent à s’activer autour de leurs poulains, les regards commencent à se perdre dans le lointain. On répare les derniers affres de la première étape et certains courent encore un peu après le temps, pour ne pas louper le rendez-vous et tenter de présenter le couple skipper/bateau en pleine forme. Les différences de budget se font aussi sentir et certains se saignent pour remettre les bateaux en état. Stephan Bonvin (Fondation Theodora) court pour récupérer son bout-dehors et ses outrigers cassés, ses deux spis déchirés, a changé ses bastaques et pense qu’il va falloir aussi qu’il s’occupe de sa nourriture, lui qui est allergique à la protéine de lait. Pour Stephan, ce sera l’équivalent d’un équipier supplémentaire qu’il aura à son bord. Et là, où certains embarqueront environ 30 à 40 kilos de nourriture, le proto de Stephan affichera un surpoids de 70 kilos avec conserves et autres paquets de riz. Pour d’autres, c’est l’aéroport qui est sous haute surveillance. Laurent Bourguès sur Adrénaline attend toujours ses lyophilisés qui auraient dû être là avec ses proches, arrivés quelques jours plus tôt. Seul hic, le bagage, lui, n’est jamais arrivé… Lui qui travaille au contact de plus gros budgets avait réussi à récupérer des lyophilisés pour sa Transat. Pas de chance, il attend toujours le colis… Sinon, ce sera la débrouille et la solidarité entre marins qui jouera. Raoul Cospen (Dalet Digital Media Systems) son voisin de ponton, lui en a déjà proposé. Et puis, comble de tout, vendredi est jour férié à Madère. Une grande partie des magasins sera fermée, ce qui n’arrange pas nos marins qui courent après les derniers achats quand ce n’est pas une voiture pour aller les faire…
En 20 jours?
Et si certains courent ou complètent l’avitaillement, d’autres sont déjà dans la course. Bon nombre sont allés crapahuter dans les hauteurs de l’île pour changer d’air et oublier un tant soit peu ce qui les attend. Ce genre de pression qui dit « enfin, j’y suis » ou « non, pas déjà ». Toujours est-il que les discussions sont moins acharnées autour des cafés ou autres bières. Dans quelques heures, il faudra larguer les amarres pour traverser l’Atlantique. D’ailleurs certains commencent à faire tourner les routages. 20 jours ? 21 jours ? « Cela devrait aller assez vite » lâche Peter Laureyssens (Ecover) « Il y a plus que vent que prévu et cela a changé déjà depuis hier ». « Cela devrait passer par l’ouest » concède Seb Gladu (Clichy sous bois, Clichy sur l’eau). Entendez par l’ouest des Canaries. Car en effet, la première difficulté à passer sera l’archipel espagnol. Et il y a quelques jours, il n’y avait pas de pression au large des Canaries, l’alizé revenant tranquillement, dans un premier temps, le long des côtes africaines. Et là, les derniers fichiers sont assez formels : il y aura de l’air, même pas mal d’air au large de l’archipel volcanique. « Cela va être long quand même » souffle David Sineau (Bretagne Lapins) « Une fois aux Canaries, on va se dire que c’est comme si on repartait pour la deuxième étape avant ». C’est vrai que la course avec ses 250 milles de plus au compteur prend une petite tournure différente avec son terrain de jeu plus grand, ses options à tenter dans les îles ou à l’est pour trouver plus de pression… Et demain, gageons que beaucoup seront les yeux rivés sur les ordinateurs pour traquer les derniers fichiers météo du moment. En attendant, c’est la course, les courses et certains semblent déjà au-delà de tout cela. Ils déambulent mains dans les poches, la tête ailleurs. Ils sortent un téléphone portable et donnent des nouvelles aux proches. Oui, on y est, l’Atlantique est là, juste dans leurs dos…
(source PG/GPO)