Je prends un bon départ et suis premier à sortir de la baie de Sada, talonné de près par 3 ou 4 prototypes. Le vent est prévu de monter fort en s’approchant du Cap Finisterre avec une houle de NE compliquée pour le pilotage des minis. J’empanne assez proche du DST. A cause d’une mauvaise manipulation et d’une vague piégeuse le bout-dehors se replie et le code5 se retrouve dans l’eau, quelques secondes plus tard il est déchiré en deux morceaux … Perdre une voile le premier jour quand il reste trois semaines de mer c’est dur mais je me raisonne : ce n’est pas la plus utilisée sur cette transat, il y a aussi 2 spis et un genaker à mettre sur le bout-dehors pour compenser l’angle mort, ce n’est donc pas rédhibitoire.
Le vent mollit en se rapprochant de la côte portugaise, j’empanne vers 4h du matin le 14 pour retrouver du vent plus fort à l’ouest. Je suis sous genaker, ça fuse bien avec des surfs à 16 nœuds. Je vais jusqu’à 12°W comme conseillé par les routages, j’affale le genaker et j’empanne pour faire route directe vers les Canaries. A ce moment là je me rends compte que mon anémomètre est cassé : je ne peux donc plus connaître la force du vent et le pilote automatique ne peut plus fonctionner en mode « vent réel ». C’est embêtant mais pas dramatique…
Un peu plus tard un choc violent me projette vers l’avant alors que je suis à l’intérieur. Ca ressemble à une collision avec un cétacé… En tout cas je m’en sors indemne et après une petite inspection le bateau semble aussi en bon état. Il fait presque nuit et je rentre pour faire une première sieste, je m’aperçois que le brûleur de mon réchaud est tordu : il est à deux doigts de casser, il va falloir maintenant manger froid sauf peut-être par temps calme où je pourrais l’utiliser avec précaution… Décidément le matériel a bien souffert en 2 jours !!
La sieste est la bienvenue : 20 bonnes minutes de sommeil ça remet les idées en place, surtout quand on a une petite baisse de moral ! Je suis content parce que j’y arrive plutôt bien, même avec ce nouveau petit craquement qui vient d’apparaître… j’ai l’impression que ça vient du pied de mât, le réveil retentit avec sa violence habituelle, je me lève, regarde le pied de mât mais il n’y a rien d’anormal. Quand je rentre dans le bateau je jette un coup d’œil à la tête de quille et je l’aperçois qui fait de grands mouvements d’avant en arrière alors que le bateau surfe une vague. Je regarde plus en détail et, à travers la bâche, me rends compte que la quille n’est plus tenue par le palier arrière, elle ne tient que grâce au palier avant et au palan de bascule. Le craquement vient du palier avant et j’ai peur qu’il lâche…
Un coup d’œil au GPS : je suis à 100 milles de la côte portugaise, il faudrait plus d’une journée au près pour la rejoindre, hors de question vu l’état de la quille. Les Canaries ? C’est du portant mais elles sont encore à 600 milles et il y a du vent fort prévu pour les jours qui viennent, ça ne paraît pas très raisonnable non plus. Le danger ne semble pas immédiat car la quille ne bouge presque plus maintenant que je vais lentement et que je l’ai sanglée avec un bout. Mais la situation peut se dégrader très rapidement : si elle casse le bateau peut se retourner et rester stable à l’envers ! C’est le pire scénario car la balise serait sous l’eau et n’émettrait plus ma position, il faudrait alors que je nage sous l’eau sans s’emmêler dans les bouts du cockpit pour ensuite essayer d’aller m’installer sur la coque retournée avec la balise et la VHF portable, vu l’état de la mer ce serait le cauchemar !
Je décide de demander assistance car ça ne me semble pas raisonnable de continuer tout seul à la voile vers un abri mais je ne veux pas lancer de signal de détresse parce que je veux attendre un bateau accompagnateur pour pouvoir discuter de mon problème et éventuellement être évacué. J’essaye aussi de joindre quelqu’un sur le canal VHF de la course mais personne ne répond donc je passe sur le canal 16 et lance un « PAN PAN » avec ma position pour que quelqu’un soit au courant de la situation. Un cargo russe me capte. J’essaye de lui expliquer mon problème mais ce n’est pas évident et ça se résume après quelques échanges à “keel broken.” 30 minutes plus tard il s’approche à moins de 100m et je comprends qu’il manœuvre pour venir me récupérer. Un cargo de 180m de long et de 10 m de haut c’est vraiment impressionnant quand on est sur un mini qui fait 6,50m et 1 tonne. La houle fait rouler le cargo et j’imagine déjà ses 10 mètres de franc-bord en train de broyer mon bateau avec moi au milieu qui essaye de récupérer une échelle de corde, ça ne me plaît pas du tout !!
Le cargo recontacte le MRCC et c’est finalement le « Jamaica », un bateau de pêche portugais qui est dérouté, il arrive une heure et demie plus tard. Cette fois ça va être difficile de refuser l’évacuation car j’imagine que les bateaux accompagnateurs ont peut-être d’autre chats à fouetter et ne peuvent pas venir m’aider. En attendant je prépare le radeau, la balise et le bidon de survie dans le cockpit, le bateau est balloté par les vagues et j’ai un violent mal de mer, je vomis et dors un peu.
Le Jamaica arrive et je réalise que je vais abandonner le 800, ce super bateau sur lequel j’ai pris tant de plaisir et appris tant de choses cette année ! Ce bateau dans lequel j’ai mis toute mon énergie, les meilleures voiles possibles, des équipements sélectionnés et testés un par un… J’ai un pincement au cœur ! Je prépare un bout à l’étrave pour tenter un remorquage dans la foulée mais au dernier moment je réalise que ça va être très compliqué à cause de la houle qui est toujours forte : l’objectif est avant tout de monter sur ce bateau en étant sain et sauf ! Le fait d’être aux côtés des pêcheurs me permet de vite relativiser : j’ai une chance incroyable de vivre de ma passion et le risque de casse fait partie du jeu, c’est un sport mécanique et il y a toujours un risque.