La chronique de Capian : Bahia, la magnifique

Chronique Girolet
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Du depart, je me souviens de plusieurs choses. De Hervé qui était pressé d’y aller; je comprends mieux aujourd’hui, il avait rendez-vous avec le palmarès. De mon petit qui a choisi ce matin-là pour me dire papa pour la première fois. De m’être retourné vers Funchal qui disparaissait, sans savoir trop quoi en penser.
C’est que cette course-ci a pris à sa manière toute sa dimension. Je crois tout simplement que je n’ai réalisé qu’une fois lancé que c’était une transat, qui m’amènerait de l’autre coté de ce que l’on appelle par dérision "le grand bassin". Plus précisement, c’est quand nous avons pris 40 noeuds et surtout une mer vraiment difficile dans l’accelération aux Canaries que naviguer safe m’est apparu comme une priorité aux implications nouvelles. L’histoire devait se finir à Bahia.
Ce qui ne m’a pas empêché de renvoyer le spi dès que cela est redevenu possible. Avec un objectif clair : je sentais avoir pris le bon wagon, il fallait attaquer pour y rester.
Las, l’animal de tissu, déjà rétif par nature, n’était pas du même avis et s’est promptement lâchement déchiré. C’était parti pour une journée de couture, les autres s’échappant irrémédiablement. Il s’agira désormais de naviguer en épicier, proprement, les occasions de se refaire viendront bien.

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Une des grosses inconnues du parcours était le pot au noir, toujours flanqué de ses acolytes : grain et rafale. Le conseil qu’on m’avait donné était donc de me refaire une santé de sommeil avant d’y rentrer. Et l’exercice devait être de profiter des grains pour avancer, mais sans casser. Subtil en somme.
Le premier grain que j’ai pris s’est présenté en fin d’après midi. Un gros machin bien noir et au dessous bien plat. Avec juste les raies de pluie, dont l’angle avec la verticale aurait dû retenir mon attention. J’étais genaker, genois, Gv haute. “Bon, on va pas tout réduire d’entrée, sinon on n’en sortira jamais”. Je garde genak et Gv haute quitte à abattre en grand si cela chauffe. Le truc avance, je rentre dedans. Le vent monte par crans, les mêmes qu’a choisi la pluie pour s’intensifier. Si bien que quand les gouttes commencent à faire mal, le souffle est à l’unisson. 2 ris, genak, pleine balle en fuite, Cela ne le fait plus du tout. Je roule le genaker, tant bien que mal. Il bat tellement qu’il va se déchirer, c’est sûr. Il faut affaler. Impossible de replier le bout dehors avec la force du vent dans le boudin roulé du genaker. Bon, c’est soit déchiré en l’air, soit à l’eau avec une chance de le sauver. A l’eau donc. Et c’est parti pour la lutte à quatre pattes sur le triangle avant, de toutes ses forces pour ramener le tout à bord, pendant que le pilote se régale d’embardées. Il faut juste qu’il n’empanne pas…
Pour ce baptême de grain, la manière n’y était pas mais l’essentiel est sauf : je n’ai rien cassé et récupéré ma voile. Tout juste deux petits patches d’insigna pour masquer ses outrages. Ironiquement, ce grain aura largement été le plus fort de tous et sur ce plan la suite me paraîtra plutôt tranquille.
Sauf que décidément le pot au noir est un filou. Au troisième matin dans ses filets, petits nuages d’alisés qui vont bien et 10 noeuds de sud-est, je suis tout content, on en est sorti ! C’est parti au près jusque Fernando de Norhona, j’y crois ! Tu parles.. Pétole dès l’après midi et l’infâme nous retombe dessus pour 3 jours de grains de mieux. Il a dû estimer que je n’étais pas bien rincé derrière les oreilles. Finalement c’est un soir que j’en sortirai, salué par un énorme arc en ciel après un dernier grain pétoleux à souhait. La douche avec les voiles qui battent, parfait pour les nerfs.

Bon, ça y est on est au près. Mon bateau adore ça. A l’attaque, on va gagner des places ! Je reprends 20 milles en 24 h sur mon prédecesseur. Top. Le lendemain je commence à remonter au classement. Génial. Trop beau, oui !
Mon premier vérin avait commencé à couiner avant le pot au noir et demandé son solde de tout compte avant d’en sortir. Je l’ai achevé en le démontant. Qu’importe, j’en ai un deuxième, neuf. Tout ira bien.
Nous sommes donc toujours au deuxième jour de près et ce second vérin décide que puisque le coup de la panne a fonctionné pour son collègue, pourquoi ne pas essayer? Il ne veut plus rien savoir. Il reste quasiment 1000 milles de course. Démontage, barre amarrée. Et, surprise, à l’intérieur c’est soupe de billes au menu. Par relais vhf, je fais le tour des compétences sur zone et le verdict est sévère. Je résume: c’est la tuile super rare et vraiment délicate à réparer et au résultat qui restera au mieux moyen. Concrètement il s’agit de re-rentrer une par une des billes dans une sorte de roulement puis, remonter une coquille en deux demi U en y mettant encore des billes. Un concurrent l’a fait à Madère, sur la table de la cuisine à la pince à épiler…et son verin grince et se bloque  tellement qu’il ne s’en sert plus. Il s’agit maintenant de le faire dans un shaker au près par 20 noeuds. J’essaie pendant des heures, améliorant ma technique à chaque essai. Les mains dans la graisse et la tête dans le seau. Neptune aura exigé de moi une offrande qui vienne des tripes pour mon passage de la ligne…J’envoie tout au diable et passe l’équateur dans un sommeil plein d’engrenages. Au réveil le moral va bien mieux. Je décide de prendre les choses du bon côté. On est au près pour plusieurs jours, donc pas d’urgence. Barre amarrée, le bateau va pas trop mal même s’il tape beaucoup. Donc tout va bien. Je me fais un gros repas. Et rattaque le chantier. Je remets chaque bille que j’ai pu sauver, le U, de l’huile d’olive pour lubrifier épais, remonte l’ensemble, le branche. CA MARCHE!

Enfin presque. Le vérin fonctionne sur le petit pilote, pas sur le gyropilote (donc pas de pilote pour le portant sous spi). Et très vite ne fonctionne plus que quelques minutes avant de se bloquer et de demander un nouveau démontage. Et combien de temps acceptera-t-il ce traitement ? Je décide de l’économiser tant que possible et de le réserver pour les manoeuvres chaudes de la fin du parcours qui doit se faire sous spi.

Cela change pas mal ma vision de la course. Mon nouvel objectif est désormais de garder ma place et de rester premier de ma série. Le jeu devient d’allumer le plus possible à la barre – tant qu’à y être – pour reprendre ce qu’ils m’auront pris quand j’étais barre amarée pour me reposer.
La fatigue s’accumule et fatalement viennent les erreurs qu’on ne fait jamais. Parmi elles, sur un envoi de spi, pendant que je reprends l’amure, arc bouté en arrière (et non en équilibre sur mes deux jambes comme d’habitude), le spi claque, l’amure vient d’un coup et je me retrouve sur le cul dans un grand clac ! Je suis tombé sur la tige joignant mes deux barres et en ai cassé une extrémité. Me voilà bien, à 10 noeuds sous spi, à barrer le bahut avec une barre dans chaque main. On fait quoi maintenant ? Un brelage de chaque barre avec le premier cordage sous la main, plongeon dans le bateau, caisse à outil, grey tape. Ouf !

Voilà quelques unes de mes galères, comme nous en avons tous eues. Le pompon revenant à Adrien Hardy qui démâte. Et remâte seul son mat aile en plein pot au noir. Chapeau bas.

Vous l’aurez compris la Mini met à jour les faiblesses du matériel. Il semble qu’elle éprouve et révèle aussi les bonhommes. Daniel Gilard avait titré son livre sur la première mini "Petit dauphin sur la peau du diable". Je n’ai compris ce titre que récemment, quand j’ai eu la sensation que chaque mille jusqu’au dernier devrait se mériter.
Parmi les découvertes sur le plan humain, la plus forte aura été d’être, pour la première fois dans une situation que j’ai ressentie sans aucun échappatoire, avec une seule porte de sortie possible. Devant, dans 3 000 milles.

Mais si je vous ai raconté principalement les galères, c’est surtout parce que – une fois passées – c’est elles qui sont drôles. Le bilan n’est pas aussi noir, loin s’en faut. Il est même à l’inverse. Il porte toutes les couleurs de l’arc en ciel – et pas de noir, donc. Comme autant d’apprentissages, joies et émotions que m’ont procurés cette traversée. C’est d’ailleurs l’intensité de cette tranche de vie qu´il est frappant de lire sur chaque visage à l´arrivée. Moments forts que la première caïpi, les accolades et le traditionnel bain collectif résument vite en "Ca y est, je suis à Bahia. Je suis le plus heureux ! "

Oui, vraiment: "Je suis à Bahia, je suis le plus heureux ! "

Matthieu Girolet