La bonne école de la “vallée des fous”””

Vendée Globe 2004
Vendée Globe 2004

“Ce n’est pas un hasard si nous sommes dans le groupe de tête, commentait Vincent Riou, alors leader du Vendée Globe, après avoir passé l’équateur. Nous sommes tous issus de la même école, celle du Figaro. Nous sommes plutôt du genre à penser que travailler à plusieurs rend plus intelligent””. La domination des marins du coin n’étonne personne chez eux, sur la côte sud-finistérienne. Il n’est pourtant pas question de sentiment de supériorité, mais plutôt d’une préparation méticuleuse aux courses à la voile en solitaire.

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Une ville champignon ?

Petit retour en arrière. En 1962, le conseil municipal de La Forêt-Fouesnant décide de construire un port de plaisance. A l’époque, on ne voit guère de voiliers au fond de la ria, si ce ne sont ceux qui hivernent au chantier de Kerleven, tenu par un certain Henri Desjoyeaux.
Le port est inauguré en 1972, mais le gigantesque projet immobilier qui l’accompagne irrite plusieurs autochtones. Il faut dire que les architectes proposent de créer en bas des coteaux une ville de béton qui pourrait accueillir 12.500 personnes. Un peu comme le Cap d’Agde sur la côte méditerranéenne. En 1974, les travaux sont interrompus. L’essor de Port-La-Forêt serait-il déjà compromis ?
C’était sans compter sur le dynamisme des « voileux » du cru, encouragés par la Société Nautique de Concarneau (SNC). “”On faisait les régates d’hiver de la SNC, se rappellent avec le même plaisir Loïc Ponceau et Christian Le Pape, les animateurs actuels du centre d’entraînement. C’était tous les 15 jours : il y avait de bons amateurs, beaucoup de brassage et c’était très convivial””. Voilà pour l’ambiance.
A bord des croiseurs, on trouvait des Roland Jourdain, Jean Le Cam, Michel et Hubert Desjoyeaux, Jean-Luc Nélias, Patrick Morvan : “”Il y avait du niveau, mais personne ne s’en rendait vraiment compte””.
Dans la bande, Patrick Morvan s’est déjà fait un nom, avec plusieurs participations à la Solitaire du Figaro. “”C’était notre star, s’émerveillent encore les entraîneurs de Port-Laf’. Quand tu pouvais embarquer avec lui, c’était une reconnaissance””. Quand il bat le record de traversée de l’Atlantique, en 1984 sur “”Jet Service II””, il y a, à bord, Jean Le Cam, Marc Guillemot et Serge Madec.

Naissance d’un chantier

Les jeunes loups de mer ont faim. Alors quand, en 1985, le Figaro propose une nouvelle aventure avec des catamarans de 40 pieds (13,20 m), les Formule 40, les régatiers de Port-La-Forêt se lancent dans l’aventure. Non seulement ils sont d’habiles régatiers, mais ils savent construire des bateaux en carbone depuis qu’ils ont travaillé au chantier Multiplast.
“”Avec la bande de fous, on a construit “”Crédit Agricole 2″” pour Philippe Jeantot, raconte Hubert Desjoyeaux. Il y avait Gaétan Gouerou, Jean Le Cam, Marc Guillemot, Bertrand de Broc, Bilou (alias Roland Jourdain). Mais nous, on voulait construire des bateaux différemment””. Qu’à cela ne tienne, l’activité du chantier d’hivernage du père Desjoyeaux diminue, les jeunes lui loueront une partie du hangar. Hubert Desjoyeaux, Jean Le Cam et Gaétan Gouerou s’associent et font travailler leurs potes au chantier CDK.
En 1987, Port-La Forêt rassemble donc autour du port, des marins de talents et un chantier de haute-technologie. Mais à la fin de l’année, l’ouragan balaie les pontons et ses 700 bateaux. Ne subsistent que les bâtiments préfabriqués. Voilà l’occasion de redonner un souffle au port de plaisance. Deux ans plus tard, le nouveau Port-La-Forêt est inauguré : de solides pontons sur pieux et des locaux en dur pour accueillir services et commerces.
Alors que le circuit des Formule 40 s’essouffle, le Figaro repart de plus belle avec l’arrivée de la monotypie. Désormais, la course sera disputée à armes égales sur des bateaux strictement identiques, construits chez Bénéteau en Vendée. “”On retombait dans la loi du sport, explique Loïc Ponceau. On avait la capacité de faire quelque chose sans que ce soit la loi de l’argent qui domine. Il fallait s’entraîner, donc se mettre ensemble””. C’est ce que comprennent les Jourdain, de Broc, Guillemot, Nélias, Desjoyeaux, Le Cam. Tous des anciens des régates d’hiver de la SNC des années 1970. Tous passés par l’école Formule 40. Une double tradition dont ils ont retenu la confiance et l’engagement des uns et des autres.

Neuf vainqueurs du Figaro

Les entraînements de Port-La-Forêt démarrent en 1991 : séances en mer, à terre pour bûcher la météo ou la préparation physique. Les marins de Port-Laf’ trustent les podiums de la Solitaire et y gagnent une reconnaissance non seulement sportive, mais aussi sociale et financière. Celle des champions.
“”La clé, c’est un mélange de formalisme et de non-formalisme, explique Christian Le Pape, entraîneur de Figaro depuis bientôt 15 ans. On n’a jamais fait un briefing au bistrot, mais c’est un lieu où on va après. Ici, il n’y a pas d’ego démesuré, ce n’est pas artificiel. C’est ça qui fait l’efficacité. Mais attention, ce système est basé sur un état d’esprit. Et la performance est fragile !””
Peu à peu, le centre d’entraînement se met en place. En 1995, la structure devient un centre de haut niveau sportif. Depuis l’an passé, Samantha Davies, une Anglaise de 29 ans, s’y entraîne. “”J’ai compris que si je voulais devenir aussi forte que tous les Français, il fallait que j’y aille, explique-t-elle. Ce sont les meilleurs car ils travaillent en équipe. C’est le même niveau que ce que j’ai connu en Grande-Bretagne pendant ma préparation olympique en Yngling, mais l’attitude est différente””.
Les résultats sportifs parlent d´eux-mêmes : depuis 1991, neuf vainqueurs de la Solitairedu Figaro sont des poulains de Port-La-Forêt. Et il ne faut pas s’étonner quand ces virtuoses de la course en solitaire s’élancent dans le Vendée Globe.
Lors de la dernière édition, gagnée par Michel Desjoyeaux, seule la « petite Anglaise » Ellen MacArthur a pu se glisser entre Mich’ Desj’ et Roland Jourdain, 3e. Cette fois, les marins de Port Laf´ seront-ils sur le podium ? Réponse au début du mois de février. En attendant, au bistrot de La Hune, sur le port, on n’a pas fini de rêver à une nouvelle course à la voile aux règles simples : Port-La-Forêt contre le reste du monde.

Stéphanie Stoll