Les skippers connaissent tous le « petit Bernot illustré » (pour plus d’informations sur ce guide essentiel, voir le numéro 56 de notre magazine, où Vincent Riou le présente en détail – ndlr), où Jean-Yves Bernot offre un road-book à ceux qui partent faire le tour de la planète. Et cela peut ainsi surprendre que l’intéressé déclare que « La météorologie en soi ne m’intéresse pas ». Cette bible est le fruit en effet de l’expérience d’un coureur au large passionné et expérimenté. « Je caricature un peu mais ce qui m’intéresse en course au large, c’est de mettre en place une stratégie. La météorologie devient dans ce cas une simple donnée d’entrée pour élaborer cette stratégie. Donc la météorologie qu’utilisent les coureurs de course au large est assez simple, brute. Ce qui intéresse vraiment les marins en partance pour un tour du monde, c’est plus la prise de décision stratégique qu’une description fine de la météorologie. L’idée est de comprendre la situation météorologique, dans ses grandes lignes dans un premier temps, mais surtout de comprendre les problèmes stratégiques qui vont avec. C’est là que l’expérience et la préparation des coureurs deviennent importantes et peuvent faire la différence. Une fois le problème identifié, ils vont tenter de le résoudre. »
Cela implique une connaissance des grands schémas météo ainsi que la bonne utilisation des logiciels de routage. Mais ensuite la prise de décision devient un art subtil où il faut également tenir compte d’autres paramètres. « Dois-je investir sur une option particulière ou est-ce que je reste plus conservateur ? Là il y a un peu de prise de risque parce que l’on sait qu’il y a du jeu dans la fiabilité des données météo. La tactique par rapport aux autres concurrents entre également en jeu, tout comme la manière de mener le bateau, etc… Le dernier point est le suivi. Il faut vérifier que le plan se déroule comme prévu, sinon il faudra modifier la stratégie en fonction de l’évolution inattendue de la météo. Les prévisions météorologiques sont limitées dans le temps, ne sont fiables que par morceaux. »
Pour Jean-Yves, il s’agit alors de pouvoir s’adapter en permanence, sachant « qu’il n’y a que les morts qui ne font pas d’erreurs » La clé de la réussite pour le routeur est donc la possibilité de corriger ses erreurs et d’éviter de les accumuler. « Il faut que la petite erreur n’en entraîne pas une autre. Par contre, lorsque l’on fait un gain, il faut que cela soit un gros. Un bon navigateur, c’est cela. C’est quelqu’un qui fait de petites erreurs et de gros gains. Dans ce contexte, tout mon travail consiste à développer leur jugement stratégique. »
Les 80 jours en ligne de mire ?
Lors des trois premières éditions du tour du monde en solitaire sans escale, il fallait plus de 100 jours aux vainqueurs pour boucler leur voyage. En 2001 Michel Desjoyeaux a réussi à rentrer aux Sables au terme de 93 jours de mer. Quatre ans après, Vincent Riou est arrivé après 87 jours de course et lors de la dernière édition, Michel Desjoyeaux a officiellement bouclé le tour en 84 jours 3 heures et 9 minutes. Si l’on tient compte du fait qu’il est reparti des Sables deux jours après le grand départ, on peut facilement imaginer un Vendée Globe en moins de 80 jours. Prudence toutefois, car Jean-Yves Bernot explique que les progrès technologiques ne garantissent pas un tour plus rapide. « Les bateaux les plus récents ont la capacité théorique de le faire mais c’est avant tout un problème de situations météorologiques et d’enchaînements entre les systèmes. Typiquement, les marins peuvent faire de gros écarts dans l’océan Atlantique. Un système météo bien géré peut permettre de prendre 300 milles aux autres concurrents. » Et la barre de 80 jours ? « Si les concurrents arrivent à descendre l’océan Atlantique rapidement, c’est tout à fait possible. Ce serait vraiment un beau résultat si l’on considère que ce temps correspond à celui que réalisaient les gros multicoques menés en équipages il n’y a pas si longtemps ».