Grosse bagarre entre les six de tête

generali
DR

Un repos bien mérité : voilà ce qui ressortait des commentaires des treize solitaires ce mercredi ! Il faut dire que le rythme a été extrêmement soutenu depuis trois jours et que les skippers ont investi beaucoup d’énergie pour ne pas se faire décrocher. Et de fait, ils sont encore six à batailler à quelques dizaines de milles les uns des autres, avec un léger avantage aux partisans d’une route très légèrement plus Nord. Les leaders se succèdent, mais pour combien de temps. Jusqu’à Boston ?
Que va-t-il se passer dans les deux jours à venir ? La question est dans les têtes des treize solitaires qui ont négocié une première dépression par sa face septentrionale et qui se retrouvent désormais dans un flux portant mollissant. Et plus les monocoques Imoca vont se rapprocher de l’Amérique, plus le vent va devenir instable, variable, irrégulier, voire aléatoire. Les skippers interrogés à la vacation radio de midi n’étaient d’ailleurs pas du tout sur la même longueur d’onde quant à savoir s’il fallait perdurer sur une voie proche de l’orthodromie à l’image des deux leaders, Michel Desjoyeaux (Foncia) et Yann Eliès (Generali), ou s’il fallait se décaler un peu plus au Sud comme Sébastien Josse (BT) et Vincent Riou (PRB) suivi par Armel Le Cléac’h (Brit Air). En position d’attente au centre, Loïck Peyron (Gitana Eighty) était en situation de changer d’orientation au cas où l’un des deux groupes tirait mieux son épingle du jeu.
Même topo pour les poursuivants qui, avec plus de 150 milles de retard, peuvent encore mieux se dérouter s’ils constatent que même ces deux voies s’engagent dans une impasse. Samantha Davies (Roxy) et Arnaud Boissières (Akena Vérandas) n’ont pas encore pris position dans ce choix cornélien, tout comme Dee Caffari (Aviva) et Unai Basurko (Pakea Bizkaia) qui concèdent déjà une journée de retard (250 milles). Seul Steve White (Spirit of Weymouth) reste fidèle à sa stratégie de départ : suivre une route Nord. A contrario, Marc Guillemot (Safran) et Yannick Bestaven (Cervin EnR) qui avaient tous deux plongé au Sud-Ouest au passage de la dépression pour cause, l’un d’incident corporel, l’autre de problèmes de pilote, ouvrent une troisième voie nettement plus Sud.

- Publicité -

Black & White

Car les prévisions météorologiques sont très nettes : rien n’est clair ! Le vaste champ de pression qui se déroule devant les étraves pour les deux jours à venir n’est qu’une morne plaine fort peu vallonnée. Or la pression est concomitante à un relief atmosphérique et s’il n’y a ni collines (anticyclones), ni vallées (dépressions), le vent est comme une rivière : il ne coule pas très vite ! Et en l’occurrence, la possibilité est grande qu’une bulle de hautes pressions ou qu’un col de basses pressions se forme au gré d’une humeur éolienne impromptue : il peut fort bien y avoir un mince filet de brise à un endroit alors qu’il n’y a qu’un lac tranquille à quelques milles plus au Nord ou plus au Sud.
On pourra toujours arguer que 80 milles de décalage Nord-Sud entre Michel Desjoyeaux et Sébastien Josse ce mercredi après-midi pour aller parer un « way-point » (point de passage) à plus de 1 000 milles des étraves, sont bien insignifiants ! Certes, mais les modèles informatiques qui font tourner les routages (prédictions de route optimisée en fonction des prévisions météo et du potentiel du bateau) divergent selon qu’ils viennent des ordinateurs européens ou américains. Les uns ne voient nul changement apparent à se positionner plus ou moins Nord, les autres annoncent un avantage de quelques heures à se placer au Sud. Bref, machines ou marins, personne ne sait vraiment à quelle sauce il va naviguer !
Ce qui est certain, c’est que la Direction de Course a annoncé ce mercredi soir que les 36 heures de « black-out » prendraient effet vendredi soir. Ce qui signifie que, de vendredi à 20h (heure française) jusqu’à dimanche 8h (heure française), aucun solitaire n’aura les positions de ses concurrents. Or la journée de samedi sera justement un moment clé pour trier le bon grain de l’ivraie ! Et ce week-end sera aussi symptomatique de l’approche sur les bancs de Terre-Neuve, vers la « porte des glaces » qui doit empêcher les skippers de se fourvoyer dans les icebergs et autres growlers. Une sorte de trou noir dans une zone blanche !

Coup de pompe et coup de rein

Sur l’eau après trois journées complètes à tirer sur la machine, mais surtout à puiser dans les corps, il était temps qu’une petite pause s’installe pour recharger les batteries internes ! Quelques babioles à réparer ou à checker, histoire de ne pas se faire surprendre quand la brise va tourner au Sud-Ouest, pile dans le nez avec évidemment des dizaines de nœuds au compteur : un programme annoncé pour le week-end justement ! Mais aussi parce que ce rythme de Figariste est acceptable pendant deux jours, mais pas plus. Un monocoque de 60 pieds n’est pas un monotype de neuf mètres et sur la course Solitaire, il y a des étapes au bout de trois jours ! Ce mercredi, il en reste au moins neuf avant d’atteindre Boston.
Heureusement, la météo a été particulièrement clémente la nuit dernière pour grappiller quelques bonnes heures de repos et se sustenter plus solidement qu’une petite barrette de céréales. Les « accus » à bloc, les solitaires peuvent enfin lâcher la barre et se consacrer à la collecte des informations météo, histoire d’établir une stratégie même si elle n’a rien d’évident comme l’indique Loïck Peyron : « Ca va être le casino ! Il y a des petits ronds bleus (synonyme d’absence totale de vent) un peu partout sur les fichiers. Il faudra être dessus et être très réactif pour ne pas se faire piéger par les calmes ! » Après le coup de pompe du petit matin glauque de ce mercredi (ciel gris, visibilité réduite, température automnale, fort taux d’humidité), il va falloir donner un sacré coup de rein pour s’extraire de cette purée de pois, pour ne pas s’enliser dans ce marais atmosphérique.

Ils ont dit

Loïck Peyron (Gitana Eighty) ce mercredi matin
« C’est calme : mer plate, nuit noire, vent irrégulier et beaucoup de boulot sur le pont ! Ce n’est pas facile de trouver les bons réglages du pilote dans des vents aussi variables. C’est vraiment un travail constant. J’ai peu de visibilité et tout est assez gris, ce n’est pas très joli à vrai dire ! Je ne me suis pas encore beaucoup alimenté et j’ai peu dormi. C’est le seul petit problème pour l’instant. Le passage de la dorsale, ça va être le casino. Ca va mollir, mollir puis mollir encore. Il faudra être attentif ! Tout le problème est de savoir où et comment on va passer cette dorsale ! »

Marc Guillemot (Safran) ce mercredi matin
« J’ai encore hyper mal aux côtes et c’est évidemment très douloureux surtout dans les manœuvres. J’ai pris la décision de continuer et je ne vais pas me plaindre, même si je sais que je vais devoir jongler jusqu’à Boston. J’essaye d’économiser les manœuvres et je ne suis pas très performant dans la rapidité d’exécution mais l’essentiel, c’est d’arriver à les faire et de continuer ! »

Michel Desjoyeaux (Foncia) ce mercredi midi
« J’ai bien dormi cette nuit et ce matin. En Figaro, je n’aurais pas dormi autant. On a vraiment intérêt à barrer quand on est au portant, mais au vent de travers, on peut laisser faire le pilote et j’en profite. La flotte est homogène, il y a une bonne bagarre, c’est très bien comme ça ! Concernant la météo, après la dorsale, on devrait avoir un peu plus de vent, et puis encore une autre zone sans vent. C’est compliqué, mais pour l’éviter, il faudrait descendre jusqu’aux Açores et ce n’est pas vraiment l’objectif ! »

Yann Eliès (Generali) ce mercredi midi
« Je trouve que le début de la course est très satisfaisant pour moi : j’apprends un peu tous les jours, notamment dans des situations extrêmes comme hier mardi, alors qu’on était sous spi avec trente nœuds de vent. On se dépasse, moi et le bateau. C’est top, je prends confiance. »

Sébastien Josse (BT)
« Aujourd’hui, ça va mieux qu’hier ! Je me suis reposé ce matin et j’ai fait des erreurs, mais c’est reparti ! J’étais un peu trop enthousiaste : j’ai envoyé le spi, mais il n’aurait pas fallu. Le temps d’affaler, j’ai perdu au moins cinq milles, et surtout j’ai dépensé de l’énergie pour pas grand chose… Mais j’en ai à revendre ! »

Arnaud Boissières (Akena Vérandas)
« J’ai dormi un peu ce mercredi matin, et là je fais du rangement. Les premiers arrivent à s’échapper avec du vent. Pour nous avec Sam, ce n’est pas évident. Le vent va mollir et adonner à l’avant de la flotte, mais on devrait garder un peu de pression. On pourra peut-être revenir un peu sur eux, mais ils ont déjà 140 milles d’avance… »

Classement du mercredi 14 mai à 16h00 (heure française)
1- Michel Desjoyeaux (Foncia) à 2 053,4 milles de l’arrivée
2- Yann Eliès (Generali) à 8 milles du premier
3- Sébastien Josse (BT) à 9 milles
4- Loïck Peyron (Gitana Eighty) à 12 milles
5- Vincent Riou (PRB) à 13 milles
6- Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 38 milles
7- Samantha Davies (Roxy) à 142 milles
8- Arnaud Boissières (Akena Vérandas) à 179 milles
9- Marc Guillemot (Safran) à 184 milles
10- Steve White (Spirit of Weymouth) à 217 milles
11- Yannick Bestaven (Cervin EnR) à 220 milles
12- Dee Caffari (Aviva) à 246 milles
13- Unai Basurko (Pakea Biskaia 2009) à 280 milles

Météo : un large éventail de brises

Les conditions anticycloniques ont tendance à se renforcer par le Sud de la zone avec une dorsale s’installant progressivement le long du 40°W jusqu’à la hauteur du 46°N, ainsi que par le Nord de la zone avec une dorsale s’installant le long du 30°W jusqu’au 45°N. Un flux de Nord-Est à Sud-Est 10 à 15kt d’Est en Ouest de la zone devient progressivement variable faible la nuit prochaine. Puis jeudi, le vent s’établira progressivement au secteur Sud à Sud-Ouest faible par l’Ouest de la zone. Mais après le franchissement de cette dorsale, la situation semble confuse avec très peu de gradient de pression et ce, jusqu’à l’arrivée d’une perturbation venant de Terre-Neuve samedi. Le petit temps est donc au programme, puis des vents contraires modérés qui devraient se renforcer en arrivant sur la porte des glaces, probablement lundi soir.