Charles Caudrelier skipper du Maxi Edmond de Rothschild poursuit sa préparation pour la Route du Rhum. Avant le départ de la Finistère Atlantique ce vendredi, il nous parle des améliorations apportées sur le bateau.
Tu es désormais l’unique skipper du bateau, quels choix as-tu effectué pour te préparer pour la Route du Rhum ?
J’ai fait le choix de la continuité et du luxe que j’ai d’avoir Franck Cammas à mes côtés pour préparer la Route d Rhum. On part sur la Finistère Atlantique avec le même équipage que l’on a depuis le début. On a tout fait ensemble, gagné nos courses ensemble. On s’entend super bien et cela fait un bon mélange de compétences. On n’avait aucune raison de changer.
Comment te prépares-tu en mode solitaire, la configuration est identique ?
Quand je navigue en solo, j’enlève la colonne à l’arrière pour installer un siège de veille. Cela me permet d’avoir une meilleure vision devant et d’être proche des écoutes de winchs. C’est la seule chose qui change vraiment parce que ces bateaux ont tous été conçus à la base pour du solitaire. On a un cockpit très étroit et très fonctionnel pour le solo. Je n’ai pas encore fait assez de milles en solo à mon gout. Dès que le bateau a été mis à l’eau, je n’ai fait que 3 jours au large en faux solo avec Yann Riou plus ma qualif et depuis on a été en RP pendant 15jrs.
La Route du Rhum, tu en rêves toutes les nuits ? Comment cela passe le mode solo à bord ?
Oui, c’est vraiment profondément ancré dans ma tête depuis que j’ai rejoint l’équipe il y a 3 ans. La nuit je réfléchis à comment je vais naviguer en solitaire, je pense à pleins de détails. Quand je suis parti en solo la première fois, pendant 1-2h cela m’a fait bizarre. J’avais l’impression que Franck dormait à côté. Je n’étais pas du tout stressé. Je me sens très à l’aise sur le bateau. J’ai navigué sur d’autre multis où on avait beaucoup plus le stress du chavirage. A bord, il faut penser à beaucoup de choses. Je connais tellement bien le bateau que ce sont maintenant des réflexes. Mais la moindre petite bêtise sur ces bateaux peut amener à casser du matériel. Avec la fatigue, le mental baisse, je l’ai vu pendant ma qualif. Si on n’est pas hyper organisé, si on n’a pas des méthodes, on peut oublier un truc qui peut avoir de lourdes conséquences. On peut vite casser une pièce. Là, je n’avais qu’une crainte c’était de casser quelque chose avec les appendices ou de taper un autre bateau. En solo il faut être vigilant là-dessus ; Il y a eu beaucoup de collisions ces dernières années. Je n’ai pas envie que cela m’arrive. Ce que l’on tape beaucoup ce sont malheureusement des poissons. C’est un vrai problème. Cela peut ruiner une course. Mais ce qui me fait le plus peur, c’est de ne pas voir un autre bateau. Il y a des bateaux qui n’ont pas d’AIS et qu’on ne voit pas. Sur la dernière Jacques Vabre, on est passé à un demi-mille tout près d’un bateau d’une famille en croisière. On va tellement vite, et l’autre bateau peut ne pas te voir ou ne pas être capable de t’éviter. C’est l’angoisse en solitaire quand on va dormir.

Vous avez à bord un pilote développé par Pixel en exclusivité pour vous. C’est l’une de vos armes secrètes ?
On a développé des surcouches avec Pixel-sur-mer que l’on essaie de garder un certain temps pour nous parce qu’on a beaucoup travaillé avec Franck à développer des scripts spécifiques. On a fait un truc vraiment bien mais nos camarades équipés par Pixel récupèrent petit à petit cette avance que l’on avait. On a également un partenariat avec Brooks pour développer leur pilote en partenariat avec Pixel. On a toujours normalement un petit coup d’avance que l’on va essayer de garder jusqu’au début du tour du monde.
Côté appendices, quels sont les changements opérés sur le bateau depuis votre chantier d’hiver ?
On a une aile de raie – dérive centrale – qui est légèrement différente. On a apporté quelques développements que l’on a testé puis cassé. Ce sont aussi des secrets que l’on garde. Pour la Route du Rhum on aura une nouvelle aile de raie et de nouveaux foils. Cela fait 3 ans qu’on les conçoit. On les a installés l’année dernière mais on s’est rendu compte qu’ils n’étaient pas assez polyvalents. On a apporté des modifications et j’espère que cela ira dans le bon sens. Mais la première version était déjà incroyable. Le but est d’avoir moins de trainée, de cavitation et de gagner en stabilité. C’est le gros challenge. On sera capable d’aller plus vite en top speed mais sans cavité. La cavitation est un problème pour tout le monde et qui apparaît dès 40-43 nds ou en début de décollage. On a vu les appendices de Banque Populaire à son arrivée de la Jacques Vabre. Ils étaient bien abimés. La cavitation freine le bateau et abime beaucoup les appendices et cela peut se faire en très peu de temps. La perte de performance peut ne pas être négligeable sur une Route du Rhum.
Vous avez modifié vos voiles ?
On a un jeu de voile neuf complet qui sont une évolution. Tous les bateaux – sauf Sodebo – sont passés désormais avec des voiles en Low sharing que propose North Sails. Cela se rapproche du cableless que l’on voit de plus en plus. Le principe est de mettre plus de charge sur la voile et moins sur le câble. C’est plus compliqué à régler et il faut veiller à ne pas mettre trop de charge au risque de l’exploser.
La concurrence se rapproche en performance ?
Oui et il faut que l’on continue d’évoluer même si on n’a pas tout le potentiel de développement devant nous que peuvent avoir les bateaux plus récents. On voit que le niveau est désormais très homogène aujourd’hui. L’avance que pouvait avoir Gitana ces dernières années s’est fortement réduit. Nos concurrents ont adopté la même philosophie que nous avec des tailles d’appendices plus grandes et un travail sur l’aérodynamisme de leur plateforme. Sur la Jacques Vabre, on a été bord à bord au près avec Banque Populaire alors qu’on pensait être mieux. On a traversé le golfe de Gascogne avec François mais on a réussi à décoller plus tôt. Après on a réussi à prendre de l’avance en prenant de bons bords et dans les transitions à trouver plus rapidement les bons réglages avec Franck parce que l’on connait bien le bateau. Ce qui n’est pas encore le cas d’Armel ou de François qui découvre le leurs. Thomas n’avait pas encore ses nouveaux foils. En termes de speed, Banque Populaire et SVR on fait des moyennes similaires aux nôtres. Maintenant on a tous une grande aile de raie, de grands foils, des grands safrans et une aéro soignée. Cela se joue désormais dans les détails. C’est difficile de dire aujourd’hui comment on se situe. Cette course sera intéressante pour cela. Ce qui est sûr c’est qu’on aura pas la même aisance que nous avions avant. Je me pose beaucoup de questions. On a bien continué à faire évoluer notre plateforme avec Franck qui date de 2017 avec ses défauts. On sait que notre bateau est plus lourd que les autres. On ferait certainement plus léger aujourd’hui.
La Route du Rhum se jouera sur le niveau d’engagement et d’attaque de chacun ?
Plus le niveau est homogène, plus on va devoir hausser notre niveau d’engagement, attaquer et taper dedans. Je ne suis pas inquiet pour le niveau que mettront Armel, François, Thomas ou Yves. Ils sont capables de taper dedans tout autant que moi.