C’est le lot de bien des frontières de n’être que théoriques : celle entre Indien et Pacifique n’aura, en tous les cas, pas marqué de transition majeure dans l’état de la mer. De Roland Jourdain (Veolia Environnement) à Arnaud Boissières (Akena Vérandas), tous les navigateurs parlaient de mer croisée, de vents puissants et de violentes rafales. Du Cap Leeuwin au sud de la Nouvelle-Zélande, le paysage présentait la même monotonie grisâtre. Les longues houles du Pacifique permettant de dévaler à pleine puissance les pentes des vagues ne sont pas encore à l’ordre du jour. De ces états d’âme, Michel Desjoyeaux (Foncia) semble n’avoir cure : depuis qu’il a pris le pouvoir, le skipper de Foncia ne cesse d’enfoncer, chaque jour un peu plus, un coin dans la confiance de ses adversaires. A coups de milles grappillés de ci de là, il sème un peu plus le doute chez ses poursuivants à mesure que sa communication se réduit à la portion congrue. Sur l’eau comme dans son discours, Michel s’est confortablement installé dans le costume du patron de la course, physiquement comme mentalement… Il reste que la situation autorise encore ses adversaires à espérer : outre le train de dépressions qui va affecter la tête de flotte, un nouveau centre de basses pressions est en train de se creuser dans l’est de la Nouvelle-Zélande et devrait entretenir une certaine confusion dans les esprits du quatuor des leaders. Gageons que la nuit de Noël sera plus propice aux supputations devant l’ordinateur qu’au déballage des cadeaux devant la cheminée. A l’arrière, il va falloir résister aux coups de boutoir d’une dépression particulièrement active qui devrait générer des vents supérieurs à 40 nœuds avec des rafales à plus de 50 nœuds.
Un rythme de course perdu Pour d’autres, ces considérations restent secondaires. Pour ceux qui ont du composer avec la casse, il s’agit avant tout de consolider les réparations de fortune, de garantir la possibilité pour le bateau de finir la course. C’est le cas de Jean-Pierre Dick (Paprec-Virbac 2) qui doit tester la fiabilité de son safran tribord avant de pouvoir revenir éventuellement à l’attaque. Brian Thompson (Bahrain Team Pindar), quant à lui, reconnaissait avoir mis la course entre parenthèse, préoccupé qu’il est par des fissures dans son ballast avant qui obèrent la rigidité de la structure. Pour ces deux-là, la consultation des fichiers météos et la gestion de la toile du temps sont devenus des préoccupations secondaires. Il en est d’autres qui peinent à revenir dans la course, ce sont ceux qui se sont investis dans le sauvetage de Yann Elies : Sam Davies (Roxy) avouait ainsi avoir dormi plusieurs heures d’affilée, découvrant tout d’un coup la tension accumulée depuis plusieurs jours. Quant à Marc Guillemot (Safran), il reconnaissait ne pas avoir pris conscience à quel point la rupture de rythme et l’investissement personnel engagé dans le sauvetage de son compagnon du large pesaient sur sa capacité à se remettre en mode régate. Le jury international s’est donné le temps de statuer jusqu’aux alentours du 31 décembre pour évaluer le crédit de temps qui sera accordé aux deux solitaires. Une opération délicate puisqu’il s’agit de prendre en compte plusieurs paramètres : le temps effectif perdu par le fait de se dérouter mais aussi les conséquences relatives à la sortie d’un système météorologique. Ce matin, Marc comme Sam tentaient de sortir d’une zone de calmes relatifs pour retrouver le souffle du grand sud… On a l’habitude de dire que l’être humain a des facultés d’adaptations phénoménales à des univers hostiles : en coupant avec le rythme de la course, les skippers de Safran et de Roxy doivent, pour la deuxième fois, faire ce travail d’appropriation des conditions qu’impose une course dans les quarantièmes rugissants. Une manière de souligner en creux à quel point ce Vendée Globe est aussi une formidable aventure humaine.
Voix du large…
Jean-Baptiste Epron, équipe technique Generali. (Jean-Baptiste Epron fait partie avec Philippe Laot des deux marins dépêchés en Australie par Generali. Jean-Baptiste était présent lorsque la frégate australienne est arrivée à Fremantle ce matin à 04h10. Lors de la vacation radio, il se trouvait à l’hôpital civil de Perth, où Yann a été admis.) « Yann (Eliès) va beaucoup mieux, il est en meilleure forme que ce matin à la sortie du bateau. Tout est fait pour le réconforter. Il est avec son médecin et ils sont en train de discuter de la suite des évènements en fonction des radios. Ce matin il était encore un peu groggy. Il m’a raconté comment c’était arrivé, ses quatre jours de calvaire et ça fait froid dans le dos. Il était en train de réparer un bout à l’avant pour renvoyer son gennaker. La mer n’était pas très stable et le bateau a violemment planté dans une vague. Sa seule trouille, c’était que sa jambe ne soit plus solidaire de son corps. Une fois à l’intérieur, grâce à une paire de ciseaux, il a pu découper son ciré, puis un des sacs. Là il a récupéré à boire et un peu de pharmacie. Que Marc (Guillemot) ait été là à proximité, a été d’un très grand réconfort. Il a vraiment conscience de tout ce qui a été fait pour lui. Pour le bateau, on est bien avancé. L’heure de départ n’est pas encore fixée mais on devrait partir demain théoriquement. On devrait en avoir pour 5 ou 6 jours en mer, avant d’atteindre Generali. »
Marc Guillemot (Safran) à la vacation de 11h : « J’ai profité de la molle pour essayer de réparer mes soucis de voile en haut du mât. Ça s’est soldé par un échec, la houle m’a fait valdinguer, c’était vraiment dangereux. J’ai surestimé mes capacités à bricoler avec la houle résiduelle, je pensais m’en affranchir. Il faudra que je recommence dans des conditions différentes. La nuit qui a suivi le départ de la frégate australienne, j’ai écrasé. Je pensais avoir bien redémarré, mais maintenant je m’aperçois que je n’avais pas vraiment récupéré du temps passé auprès de Yann. Un arrêt casse vraiment le rythme du corps et du coup il y a plein de fonctions qui ont fini par se mettre en ” mode vacances “. J’ai vraiment l’impression d’avoir de la fatigue à récupérer alors que ce n’était pas le cas il y a quelques jours. Il faut que je reprenne le dessus et que je fasse attention. Toutes ces angoisses accumulées pendant plusieurs jours, ça va profondément au fond du cœur. Il faut évacuer et j’étais un peu prétentieux en pensant que tout ça était derrière moi. J’ai envie de passer à l’attaque, mais il faut laisser du temps au temps. »
Dee Caffari (Aviva) par mail : « Une journée calme et reposante alors qu’on reçoit les news du sauvetage de Yann, que Mike (Golding) a été réapprovisionné en gas-oil et que Dominique (Wavre) et Loïck (Peyron) ont eu un rendez-vous en mer. Les premiers avancent dans le Pacifique à des vitesses formidables et aujourd’hui, j’ai pu faire un check-up complet d’Aviva, ce qui rend la vie plus facile avec cette météo plus clémente. Une discussion avec mon chef de projet nous a rassurés tous les deux sur l’état du bateau et savoir que j’approche de la moitié de la course nous permet d’évaluer l’utilisation du gas-oil et d’ajuster en fonction pour que j’en aie assez jusqu’à la fin. Je viens de passer le deuxième des trois grands caps aujourd’hui. Il n’en reste plus qu’un… »
Les 5 premiers au pointage de 16h00 1- Michel Desjoyeaux (Foncia) à 11 494,7 milles de l’arrivée 2- Roland Jourdain (Veolia Environnement) à 67,6 milles du premier 3- Sébastien Josse (BT) à 204,6 milles du premier 4- Jean Le Cam (VM Matériaux) à 244 milles du premier 5- Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 493,6 milles du premier
Classement des premiers étrangers 8- Sam Davies (Roxy) à 1474,2 milles du premier 10- Brian Thompson (Bahrain Team Pindar) à 1830,9 milles du premier 11- Dee Caffari (Aviva) à 1939,5 milles du premier