Dix-huitième nuit de mer. Dix-huitième journée de compétition acharnée à jouer de l’empannage et de la boule de cristal météo. Chaleur écrasante. Vent d’est un peu mou (15 nœuds) et surtout toujours aussi instable en force et en direction. Chaleurs. Angoisses de tout perdre pour les leaders. Espoirs de recoller pour les autres. Tempêtes sous les crânes. Ainsi va la vie de la Transat AG2R ce jeudi, à deux jours du dénouement de Saint Barth’. A la vacation radio, personne de vraiment rassuré. Personne pour se risquer à un pronostic hormis le fait qu’Armel Le Cléac’h et Nicolas Troussel (Brit Air) soient les mieux placés. Evidence. Un petit pécule de 9 milles d’avance. Mieux vaut ça que l’inverse. Lapalissades. Nicolas Troussel aimerait bien arriver pour un certain PSG-OM samedi. Ce sera juste. Il aimerait surtout empocher sa deuxième Transat AG2R avec son chacal de copain, Armel Le Cléac’h. Histoire de marquer un grand coup la mythologie de la course au large puisqu’en 8 éditions, jamais un équipage n’a réussi ce coup de maître. Histoire aussi de fêter superbement leurs anniversaires dans une poignée de jours (ils sont tous deux nés un 11 mai). Seulement voilà. Tant que la ligne n’est pas franchie….
Nicolas Troussel en convient lui-même : « la situation météo est instable et ce sera vraiment tendu jusqu’au bout. Il suffit de pas grand-chose, d’une bulle dans laquelle tu restes scotché une heure pendant que les autres filent. Et certains vont attaquer. Tant qu’ils ne seront pas tous alignés derrière nous, il y aura danger »
Et le danger pour Brit Air porte au moins cinq noms différents. Au moins dix marins qui – c’est pas mignon – vont tout faire pour gâcher l’anniversaire d’Armel et Nicolas. A commencer par Kito de Pavant et Pietro D’Ali (Groupe Bel, 2e) qui soutient « vachement » bien la comparaison : ils ont concédé moins de 2 milles au leader aujourd’hui et pointent à 9 milles, à portée de fusil. Et 9 milles par les temps qui courent représentent à peine plus d’une heure et quinze minutes.
Or, « les bascules de vent sont très courtes, elles durent de 30 secondes à 5 minutes avec 30 degrés de changement d’orientation du vent. Ce n’est pas facile à gérer et d’ici l’arrivée des choses vont se passer, on devrait finir avec du sud-est, puis de la pétole…au moins six bateaux sont menaçants », témoigne Kito de Pavant. Petite voix pas rassurée non plus chez Jeanne Grégoire (Banque Populaire, 3e) qui fait pourtant une course magnifique mais craint de voir ses efforts anéantis si proche du but. « J’espère que tout ça ne finira pas à la loterie » soupire Jeanne, « le vent peut mollir.. je ne sais pas du tout. J’ai reçu des fichiers de vent qui nous disent que ça peut finir en pétole… on a choisi notre camp en créant volontairement de l’écart latéral avec Groupe Bel, et il y aura forcément un côté plus payant que l’autre ».
Yannick Bestaven (6e) : « objectif podium ! »
De la pétole qui barrerait la route du trio de tête ? C’est loin d’être exclu. Un coup d’accordéon ? Pourquoi pas. Un final au couteau, à quelques longueurs près autour de l’île ? Soyons réalistes, exigeons l’impossible. Comme dans les bons films, plus le dénouement est proche et plus la pression monte. Le Veolia de Roland Jourdain et Jean Luc Nélias, 4e, est en embuscade à 20,1 milles, tout comme l’ATAO Audio System de Dominic Vittet et Lionel Lemonchois (5e à 20,4 milles)… Tous deux ont grignoté quelques centaines de mètres aujourd’hui.
Des six premiers, c’est pourtant le dernier du paquet de tête, Yannick Bestaven sur Aquarelle.com (6e à 24,3 milles) qui montre le plus d’entrain à la vacation : « pour nous, c’est objectif podium ! On a la balle et on peut tout espérer. Banque Populaire avait 20 milles d’avance sur nous hier et il n’en n’a plus que 10. Le vent va mollir, alors on compte sur un effet d’accordéon pour que les copains de devant s’arrêtent et qu’on recolle. On est à bloc, à fond sur la barre, pour prendre le moindre petit surf, on est à 150% ! On risque de finir en match-racing sur la ligne, ça va être une arrivée sympa ! »
Devant on a tout à perdre… et juste derrière tout à gagner. On laisse le mot de la fin à Jean Maurel : « Les premiers devraient arriver samedi en fin d’après-midi à l’heure de Saint-Barth et le tour de l’île va être décisif, au minimum pour les places d’honneur ». Pour le directeur de course, «avec l’effet d’entonnoir vers le but, il n’y a plus vraiment d’options décisives à prendre mais il reste un peu de jeu, qui sera un jeu de régate au contact. Ce qui va compter aussi c’est qu’au bout de 18 jours, la fatigue voire la désillusions aidant, les marins peuvent manquer un peu de lucidité ».
A qui pourraient alors profiter ces ultimes bords vers la ligne d’arrivée devant Gustavia ? « Je ne sais pas… Brit Air et Groupe Bel tiennent bien la corde, mais des équipages de très grande expérience comme ceux de Veolia ou d’ATAO Audio System savent aussi que tout se joue parfois dans les dernières heures de course ».
Pendant ce temps, pendant qu’on tire des plans sur la comète, Nicolas Troussel s’acharne à la barre de Brit Air. C’est à quelle heure le match, samedi soir ?
Chaude arrivée, samedi à Saint-Barth´…
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