Rarement un final de Transat AG2R n’aura réservé un suspense aussi haletant. Leaders imperturbables depuis plusieurs jours maintenant, Armel Le Cléac’h et Fabien Delahaye ont en effet choisi de disparaître des écrans de contrôle en sortant leur joker furtif ce matin au classement de 11 heures. Profitant des précieux milles gagnés ces dernières heures et d’un matelas qui s’est épaissi aux abords de l’arc antillais, les pilotes de Brit Air ont attendu d’être hors de portée de leurs poursuivants directs pour tenter d’accentuer leur avance. 24 heures durant, ces deux-là ne sont donc plus "officiellement" en tête puisque invisibles. Les interprétations vont aller bon train et l’attente du retour des deux marins se teinter d’angoisse pour certains et d’excitation pour d’autres.
En attendant, le quatrième du dernier Vendée Globe y va d’un peu d’humour et de beaucoup de prudence : « Je suis entre la France et Saint Barth… sur l’eau ! Sur l’Atlantique… Puisque on est proche de l’arrivée, on s’est dit qu’on n’aurait plus eu d’occasions pour utiliser le mode furtif, donc on a choisi cette option aujourd’hui… On ne relâche pas la pression, elle est toujours là mais c’est très positif. On est sur le bateau à 100% mais on n’est pas dans le rouge".
Dans la dernière ligne droite, il faut s’attendre à ce que les leaders ne soient pas les seuls à se cacher. Ainsi, demain, il ne serait pas étonnant de voir les poursuivants de ces derniers, demander à la direction de course de passer en mode furtif. Si cette disparition plongerait Jeanne Grégoire et Gérald Véniard (Banque Populaire) dans une vraie bulle, difficile d’imaginer ce qu’il adviendra du mano à mano que se livrent Gildas Morvan et Bertrand de Borc (Cercle Vert) et Romain Attanasio et Samantha Davies (Savéol).
En attendant, pour tous, les signes avant-coureurs de la navigation antillaise sont palpables et donnent à la dernière ligne droite des airs de loterie. Soumis à l’intensification des grains, dans des vents d’Est-Nord Est de 9 à 12 noeuds variant autant en force qu’en direction, tous vont devoir garder tout leurs sens en éveil pour éviter de se faire enfermer dans les pièges traînants derrière les phénomènes et surtout pour tirer partie des accélérations engendrées. Les concurrents vont connaître 48 heures d’une météo complexe avec un alizé qui va se renforcer à l’Est-Sud Est.
Menace potentielle pour ceux qui ont mis une option sur le podium, Nicolas Troussel et Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne) restent en embuscade et tenteront sans complexe aucun d’aller bousculer l’ordre établi par le groupe des quatre. Derrière, avec des bateaux plus ou moins proches les uns des autres, la bagarre va aussi faire rage jusqu’au bout, une partie des espoirs résidant dans l’amélioration de la météo et sa stabilisation.
Ils ont dit :
Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : On se dit que Brit Air a bien fait de se mettre en mode furtif et je ne m’attendais pas du tout à ça. On a pensé nous aussi entreprendre cette option hier mais, finalement, on a déjà d’autres choses à gérer. Pour l’instant, on ne voit pas trop l’intérêt. Je crois que ça va être compliqué de doubler Brit Air. Somme faite, ils ont commis qu’une erreur, tout au long de la course, juste après les Canaries… »
Bertrand de Broc (Cercle Vert): « Nous sommes bord à bord avec Savéol. C’est un peu tendu parce qu’il y avait plein de nuages…. Ça fait plaisir d’être devant, on s’est bien bagarré depuis le début de la course et je pense qu’on n’a pas fait beaucoup d’erreurs. Ce n’est pas simple tous les jours parce qu’on est sur le bateau 24 heures sur 24… On essaye de faire au mieux. »
Thomas Rouxel (Crédit Mutuel de Bretagne):«On vient d’avoir le premier grain : on savait qu’on y aurait eu droit. Pour l’instant, on a un sentiment mitigé : on sait que devant nous il y avait du vent, que derrière il y en a pas et que du coup c’est moins rigolo ! Mais je crois qu’on s’en est pas mal sorti. On a 35/40 milles de retard et c’est considérable à 2 jours de l’arrivée. On continue quand même à espérer : la situation reste imprévisible. Aujourd’hui il n’y a pas de réel choix stratégique. En ce moment je rêve de trois choses : de la climatisation, de dormir plus de 3 heures d’affilée et d’un bon burger ! »
Classement de 15 h
Mode furtif : BRIT AIR Armel Le Cleac’h / Fabien Delahaye
1 CERCLE VERT Bertrand de Broc / Gildas Morvan à 360 milles de l’arrivée
2 SAVEOL Romain Attanasio / Samantha Davies à 1,6 milles
3 BANQUE POPULAIRE Jeanne Grégoire / Gérald Véniard à 3,3 milles
4 CREDIT MUTUEL DE BRETAGNE Nicolas Troussel / Thomas Rouxel à 39,3 milles
5 GENERALI Nicolas Lunven / Jean Le Cam à 60 milles