Les premiers ont chuté de la 2e à la 9e place en 24 heures, tandis que les seconds ont dégringolé de la 4e à la 17e position en deux jours. « On a raté le coup à ne pas rater, analysait avec lucidité Bertrand de Broc à la vacation. Il va falloir arrêter l’hémorragie avant d’essayer de regrappiller des milles et de reprendre 4 ou 5 bateaux pour arriver à une place honorable. » A l’inverse, à l’extrême sud, Marc Thiercelin et Oliver Krauss (Siemens) ont retrouvé le sourire. En trois jours, ils sont remontés de la 22e à la 13e place, et ont réduit leur retard de 107 à 57 milles. « Le doute est toujours là, mais je suis content car j’avais vu du vent plus fort dans le sud » racontait Marc à midi. Idem pour les Lorientais Yannig Livory et Jean-François Fouche (Entreprendre au Pays de Lorient), les plus rapides sur les dernières 24 heures, et qui ont repris sept places en une journée. Ils pointent désormais en 15e position. Au portant sous spi, une toute petite différence d’angle de vent peut suffire pour faire accélérer le Figaro Bénéteau de façon conséquente. D’où l’importance des positions sur l’eau en fonction des adversaires. Trouver la bonne trajectoire suppose une bonne analyse de la météo à venir, et une grande concentration pour exploiter toutes les opportunités de se décaler vers le sud-ouest sans trop perdre au classement. A ce petit jeu, deux équipages se distinguent aujourd’hui. Yannick Bestaven et Ronan Guérin (Aquarelle.com) ont une nouvelle fois repris les commandes. Les deux compères naviguent actuellement dans une position médiane qui leur permettra de réagir rapidement, quelle que soit l’évolution de la météo. Dans leur sud, les tenants du titre, Armel Le Cleac’h et Nicolas Troussel (Brit Air) sont revenus à la 3e place et maintiennent une pression constante. Premier à Porto Santo, leader de la route nord après Madère, ce duo n’a pas hésité à recroiser devant toute la flotte pour se positionner les plus au sud. Une stratégie osée mais payante qui leur permet d’être aujourd’hui les plus dangereux concurrents des nouveaux leaders.
Ils ont dit
Yannick Bestaven (Aquarelle.com, leader): “Ça va bien! On navigue dans un régime de vents de nord-est ressemblant à des alizés hier et un peu moins aujourd’hui. Le vent a un peu faibli, car on doit se rapprocher de l’anticyclone qui ne se déplace pas très vite. En revanche, une dorsale s’étend à travers notre route et le jeu actuellement est de se rapprocher de la route directe sans se faire piéger dans la molle. Derrière, il y a l’anticyclone des Bermudes qui se forme, il pourrait rejoindre ce système dans les trois jours et former une nouvelle zone aléatoire. Ronan (Guérin) et moi sommes en forme, on travaille studieusement notre météo, on fait un cocktail des informations, on analyse et on essaie de se mettre d’accord sur nos raisonnements. Pour le moment, on s’en sort bien mais pour la suite ce n’est pas gagné encore. Il reste beaucoup de milles à faire et on garde la tête sur les épaules. C’est motivant d’être en tête mais on étudie les classements surtout pour comparer les caps et les vitesses des autres. Je surveille sérieusement ceux qui sont partis dans le sud… Etre en tête n’est pas une pression, ce qu’on veut c’est être en tête à l’arrivée ! »
Kito de Pavant (Groupe Bel) : « C’est bon pour le moral d’être deuxième, mais on est très, très méfiants car il y a une dizaine de bateaux alignés sur une ligne nord-sud qui pour moi sont quasiment à égalité. A priori on a quasiment autant de vent que ceux qui sont très au sud. On est plein vent arrière donc il faut trouver les meilleurs angles. Ce week-end, un petit passage de front peut perturber l’alizé. Entre ceux du sud et du nord, c’est le jeu du chat et la souris, on certains cherchent l’angle au vent donc la pression… nous on cherche les deux ! »
Charles Caudrelier ( Bostik) : « On a un peu de mal à comprendre ce qui nous arrive. On perd par le nord, on perd par le sud, visiblement on n’avance pas… On ne peut pas dire qu’on soit satisfaits de notre position, on s’est même demandés si on n’avait pas un poisson dans la quille ou quelque chose. On a simplement moins de vent, pas de chance… Ce matin, Nicolas a trouvé un animal qu’on ne nomme pas dans le bateau, il l’a découpé et jeté et tout de suite on a repris un nœud. C’est loin d’être fini. On se concentre sur la conduite du bateau et on repart à l’attaque ! Il est hors de question de déprimer sinon la course serait foutue, on s’accroche, et on y va. La route est encore longue, on peut encore gagner et ce n’est pas le moment de déprimer, si on déprime on va moins vite ! On n’est pas encore distancés contrairement à ceux du nord qui ne sont pas très bien, pour moi il y a un peu de stress mais c’est ma nature et c’est plutôt un remontant. La deuxième partie de course n’est pas si simple, on est à 10 jours de l’arrivée et la météo n’est fiable qu’à quatre jours. C’est le dernier bord qui compte, même jusqu’à 15,20, 30 milles de retard le dernier jour, tu peux toujours gagner. Et je ne crois pas que l’alizé restera établi comme ça dix jours durant…les classements vont encore bouger, c’est sûr… »
Jeanne Grégoire (Banque Populaire) : « C’est toujours bien d’être aux avant postes pour attaquer une nouvelle partie et on a reçu un fichier météo qui nous arrangerait encore mieux s’il se vérifie. Ca met du baume au cœur. Sur le fichier grib que tout le monde reçoit, la petite bulle qui nous attendait à St Barth’ ne serait plus là et du coup il y aurait moins besoin d’aller dans le sud pour contourne, mais bon ça a le temps de changer, faut pas s’affoler tant qu’on n’est pas à 3 ou 4 jours de l’arrivée. On n’avait pas envie de jeter trop de milles sur le tapis, tactiquement on n’a pas fait d’énormes choix, la chance nous a servi aussi. Mais j’arrive à me faire assez de nœuds à la tête à ce petit jeu là et tout le monde s’amuse un peu à part les grands nordistes, non ? On est tous à quelques milles les uns des autres, quand tu vois comment on est passés serrés à Madère, ce sera peut-être pareil à St Barth et je ne vois pas ce qu’il y a de plus palpitant sur une course que se retrouver tous en quelques minutes ! »
Bertrand de Broc (Les Mousquetaires) : « Voilà deux jours qu’on a digéré… L’idée c’est de croiser, de se remettre sur la route en dessous, avec du retard. On a raté le coup à ne pas rater, il va falloir se bagarrer pour ne pas prendre trop de retard. On croise les doigts et on y va, il n’y a pas à tortiller, c’est au sud que ça passe au moins pendant 4 ou 5 jours. On a fait une grosse erreur qui nous coûte, je pense, la course. On va croiser, remettre les compteurs à zéro dans une latitude plus sud et puis on repartira de là. Hier je racontais à Benoît (Petit) qu’au Vendée Globe 92 au large du Brésil, j’ai pris 350 milles de retard dans une bulle et là je m’étais dit il te reste 25 jours pour rattraper et j’en ai mis 24. On sait qu’on va arriver à 130, 135 milles de retard sur le premier et qu’il va falloir arrêter l’hémorragie, avant d’essayer de regrappiller les milles et de reprendre 4 ou 5 bateaux pour arriver à une place honorable. Il reste dix jours… malgré tout on a de la chance d’être là, on va mettre du charbon, bien faire marcher le bateau et voilà. On s’est trompés, voilà, mais il faut être sereins. »
Dominic Vittet (ATAO Audio System) : « Ça commence à être du vrai alizé de tourdumondiste. On est dans le bon paquet on va dire, même si ce serait encore mieux si nous étions restés un peu plus sud encore. Tout le monde va assez vite dans le sud. Cette course est un poker menteur, depuis le début les fichiers nous disent de plonger au sud, ce qui n’a pas réussi au début et qui crève les yeux maintenant comme une évidence. Quelqu’un qui serait parti très au sud voilà quatre jours serait largement en tête, personne n’a osé le faire. Il fallait accepter de continuer à perdre des milles pour espérer le jackpot. Le jeu des claques ? (pour préserver le seul grand spi qui reste à bord, NDR) pour l’instant Lionel mène 11 à 10, le match est très serré ! Le vent oscille en permanence, fonctionne en alternances de rafales et oscille en direction aussi d’une vingtaine de degrés. »
Marc Thiercelin (Siemens, 13e, Top Chrono AG2R avec 212,9 milles) : « On a un problème, j’ai reçu un pli de notre agent double qui me disait qu’on avait repris vingt mille milles sur la tête de course ! Si c’est le cas, je pense qu’on a déjà largement dépassé la tête de la course et il fallait me dire que j’étais reparti pour un Vendée Globe en double sur un bateau de 10 m ! (rires)
Plus sérieusement, on a eu du vent plus fort et j’ai l’impression que nous sommes rejoints par notre petit copain Brit Air, par Armel (le Cléac’h) qui plonge au sud comme il y’a deux ans. C’est dommage, on aurait aimé rester tous seuls dans le coin ! La donne va changer… comme on m’appelle « l’optionneur » je me suis dit qu’il fallait y aller à fond, J’ai convaincu « passe-partout », mon petit majordome (Oliver Krauss, NDR) d’y aller. Je suis toujours dans le doute et c’est ce que j’adore dans la voile, ce n’est pas une science exacte. Le doute est toujours là, mais je suis content car j’avais vu du vent plus fort dans le sud, il y est et tant mieux. On l’a bien cherché, on a passé notre temps à empanner, à jouer avec les nuages. Après, il reste 1800 milles à courir pour essayer de rattraper les 10 bateaux sui sont devant. Maintenant, il faut faire de la vitesse et repousser les attaquants qui viennent du nord. De toutes façons, aller plus sud on aura du mal, après c’est le Cap Horn ! »