La prudence de rigueur après l´avarie de Jean-Pierre Dick

Macif François Gabart
DR

Logiquement MACIF devrait être le premier à toucher les vents perturbés de secteur ouest qui propulseraient les deux leaders vers l’arrivée… une arrivée qui pourrait être compliquée par près de 40 nœuds de vent et une mer formée. Les trois derniers jours de course risquent donc d’être sous haute tension : la moindre erreur de manœuvre, le plus petit départ au tas peuvent se payer très cher et la marge dont dispose François Gabart ne l’autorise guère à faire des fantaisies. Les derniers routages tablent maintenant sur une arrivée samedi en début de nuit, vers 22 heures.

- Publicité -

Peu avant minuit, Jean-Pierre Dick a basculé dans un autre monde. La rupture brutale de sa quille va maintenant l’obliger à faire la part des choses, entre l’aiguillon de la compétition et ce que le bon sens marin exige. Continuer ballast remplis à ras bord est toujours possible. Il existe maintenant quelques précédents qui font, en quelque sorte, jurisprudence. En 2005, c’est Mike Golding qui avait bouclé les derniers milles de course ainsi. En 2009, Roland Jourdain ralliait les Açores après plus de 800 milles de navigation dans des mers confuses. Toujours en 2009, Marc Guillemot sauvait sa place sur le podium après cinq jours à naviguer sur le fil du rasoir. Il reste plus de 2000 milles au skipper de Virbac-Paprec 3 avant d’arriver aux Sables d’Olonne. Mais les Açores sont à 800 milles de son étrave. Alors pourquoi ne pas tenter de se diriger vers l’archipel et d’évaluer à proximité, si le jeu en vaut la chandelle ? Deux paramètres seront déterminants : l’état de fatigue du bonhomme  et les conditions météorologiques à venir dans le golfe de Gascogne. Pour Jean-Pierre, c’est une autre aventure qui commence, mais sous ses airs parfois lunaires, il ne faut pas oublier que c’est un marin d’une incroyable ténacité, jamais aussi fort que dans l’adversité.

En Atlantique Nord, Alex Thomson devrait donc s’emparer de la troisième place d’ici quelques jours. Il rejoindrait ainsi Ellen Mac Arthur (2e en 2001) et Mike Golding (3e en 2005) au panthéon des navigateurs anglo-saxons venus tenir la dragée haute à l’armada française. On imagine qu’Alex doit être profondément partagé entre l’espoir d’accéder au podium et le regret que ce soit suite à la casse mécanique d’un de ses adversaires dans la dernière ligne droite. Le navigateur britannique a eu l’élégance de ne pas faire de triomphalisme, alors qu’un de ses concurrents est dans la difficulté. Outré par ce qui est arrivé à son adversaire direct, il va jusqu’à déclarer à la presse britannique ce mardi qu’il va falloir modifier la jauge avant que ce ne soit trop tard.   

Alex Thomson : « Je suis sidéré par les nouvelles de la perte de la quille de Jean-Pierre Dick. Il a travaillé tellement bien pour s’assurer de la troisième place. Je n’imaginais jamais qu’une telle avarie allait émailler cette course. Certes, la classe IMOCA a déjà vécu une série d’incidents dus à la faiblesse de la quille, mais je croyais que tout cela était derrière nous. Ce serait intéressant de voir suite aux avaries subies par Virbac et Safran les causes de ces incidents. Quant j’ai rejoint la classe en 2003 j’étais surpris d’apprendre qui fallait changer la quille après 80 000 milles. Depuis, on voit des quilles ne font qu’un seul tour du monde. Histoire de réduire le poids….  D’où je viens, la quille durait aussi longtemps que le bateau. Et c’est cela qu’il faut viser. En 2009, l’IMOCA a mis en place des règlements pour améliorer la sécurité, mais il est évident que cela n’est pas allé assez loin. Cela suffit maintenant. Il faut fabriquer des quilles en acier massif qui durent aussi longtemps que la bateau afin d’éviter un accident grave ».

Le repos des guerriers
En Atlantique Sud, si la bagarre est toujours aussi intense entre Jean Le Cam (SynerCiel) et Mike Golding (Gamesa), du moins les conditions de navigation sont devenues plus paisibles. Le vent n’est pas exactement orienté comme il faudrait, mais la mer s’est calmée et la vie à bord devient nettement plus acceptable. Si la régate ne souffre pas de pause, tout au moins les deux skippers peuvent-ils se déplacer sur le bateau sans être ballottés d’un bord à l’autre. Derrière eux, Dominique Wavre (Mirabaud) contrôle Javier Sanso (ACCIONA 100% EcoPowered) qui est venu se caler dans son sillage, tandis qu’Arnaud Boissières (AKENA Vérandas) ne parvient décidément pas à s’extirper de la petite dépression orageuse qui le scotche le long des côtes du Brésil. Il ne possède plus aujourd’hui qu’un peu plus de 300 milles d’avance sur Bertrand de Broc (Votre Nom autour du Monde) qui continue de filer à belle allure. Au moment de son passage du cap Horn, Bertrand comptait plus de 1300 milles de retard. Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur) voit quant à lui, ses espoirs de recoller au tableau arrière de son prédécesseur s’amoindrir. Victime de la rupture d’une autre de ses drisses de tête, il ne peut plus envoyer de grande voile d’avant. Même punition pour Alessandro Di Benedetto qui ne dispose plus que du petit gennaker comme voile de portant.

Ils ont dit

Jean Le Cam (SynerCiel) : « Là, c’est le changement du tout au tout. Tu passes du Mc Do au restau 4 étoiles. 15 nœuds de vent, mer correcte, il fait beau, on ne va pas s’en plaindre. C’est comme l’année dernière, j’ai commandé une Ferrari à Noël et quand je l’ai eue je me suis dit : « Oh bah c’est une voiture comme tout le monde. » Il faut s’efforcer d’apprécier ces moments-là. » 

Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Les conditions : un peu de mer, un peu de vent. Ça avance encore à peu près. On a appris la mauvaise nouvelle pour Jean-Pierre. Je suis bien triste pour lui, il ne méritait pas ça. On arrive sur la dernière partie de la course. Les bateaux ont un peu souffert depuis les Sables. Ce sont des choses qui arrivent, il n’y a pas forcément d’explications. Nous arrivons dans une zone où il y a beaucoup de trafic et d’objets flottants, il va falloir être vigilant aussi. La fin est proche mais on n’est pas encore arrivé. On va avoir des conditions un peu plus viriles dans les prochains jours. Je pense arriver dimanche dans la journée. »

Tanguy de Lamotte (Initiatives-Cœur) : « J’ai malheureusement eu une petite avarie. J’ai cassé une deuxième drisse, donc je n’en ai plus en tête de mât pour des voiles de portants. J’ai dû repêcher mon code zéro, c’était moins dur que le reacher mais c’était quand même une bonne partie de pêche. Pour la première fois depuis le début, je ne peux plus être à 100%. Je faisais des vérifications visuelles sur la drisse mais ça n’a pas suffi. »

 Classement de 16h
 1         François Gabart Macif à 1639.6 nm
 2         Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 89.5 nm
 3         Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 454.7 nm
 4         Alex Thomson Hugo Boss à 655.0 nm
 5         Jean Le Cam SynerCiel à 2266.5 nm
 6         Mike  Golding Gamesa à 2271.0 nm
 7         Dominique Wavre Mirabaud     à 2492.9 nm
 8         Javier Sanso Acciona à 2570.6 nm
 9         Arnaud  Boissières Akena Verandas à 2645.0 nm
 10       Bertrand de Broc Votre Nom autour du Monde à 3046.7 nm
 11       Tanguy de Lamotte Initiatives cœur à 3382.3 nm
 12       Alessandro Di Benedetto Team Plastique à 4113.0 nm