Pas grand chose de spectaculaire cette nuit sur la route du Vendée Globe : les alizés modérés de secteur Est sont bien là, on navigue toujours bâbord amures vers le Sud et cela risque bien d’être le cas encore pendant au moins deux à trois jours. Il n’y a plus guère à tortiller : l’anticyclone de Sainte Hélène barre la route et dit en substance : “messieurs, je vous prie de faire le tour de la paroisse”. Dont acte.
Va donc pour un long bord plein Sud, à moins de 300 milles de la corne du Brésil. Pas vraiment le choix. La bonne nouvelle est qu’avec cette allure de près océanique, voiles plates très légèrement ouvertes, le bateau est bien calé sur sa trajectoire. Les solitaires peuvent donc récupérer, voire bouquiner, s’occuper d’eux, checker le bateau et prendre des forces avant d’attaquer les Trentième Tempestants, puis les Quarantièmes Rugissants, mais ce n’est pas pour tout de suite (1700 milles dans leur sud).
Ecarts enfin pertinents
Ce bord obligatoire a une vertu au moins pour les suiveurs: il rend enfin presque pertinents les écarts au pointage, en tous cas entre les quatre bateaux de tête. Car voilà, on ne peut plus vraiment parler comme depuis quelques jours d’un groupe de cinq premiers chasseurs puis d’un groupe de trois. L’équation plus nette qui apparait aujourd’hui c’est 1 + 3 + 2 + 1 + 2. Alex Thomson (Hugo Boss) est 6e à 90 milles du leader Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) et il est un poil plus sud que Bernard Stamm. Le skipper de Cheminées Poujoulat, – parce que plus à l’Est donc plus proche de l’orthodromie impossible – est le seul à bénéficier encore d’une clémence toute virtuelle des chiffres : il est crédité de la 4e place à 66 milles. En réalité, Bernard sait parfaitement qu’il ferme la marche des six bateaux leaders en étant un peu plus de 100 milles plus au Nord que Banque Populaire. Pour lui une ouverture de la diagonale de Sainte-Hélène serait miraculeuse… mais sa probabilité est infime, pour ne pas dire inexistante. A l’inverse, et pour les mêmes raisons (plus éloigné de la route directe), le pointage est sévère avec Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) qui vaut au moins une voire deux places de mieux que son rang officiel de 5e.
En mode gagne-petit
Autrement dit il y a ce matin sur le Vendée Globe le solide leader que l’on sait, avec une cinquantaine de milles derrière lui – quasi dans son axe donc sans réelle possibilité d’attaque – trois premiers chasseurs : François Gabart (Macif), Vincent Riou (PRB) et Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec) le seul à pouvoir se vanter d’un très léger décalage dans l’ouest potentiellement intéressant. Viennent donc ensuite Alex Thomson et Bernard Stamm mais avec déjà une petite centaine de milles de retard. Puis, à un jour de mer, on trouve le groupe “1 + 2”, à savoir l’Anglais Mike Golding (Gamesa) qui a pris l’avantage voilà 24 heures sur Jean Le Cam (Synerciel) et Dominique Wavre (Mirabaud). On est en mode “Solitaire du Figaro” avec du gagne petit, certes, mais des écarts déjà intéressants pour les leaders : on ne reprend pas si facilement 50, 100 ou 300 milles à un Chacal lancé sur le sentier de la guerre. D’un calme olympien, sur de son fait et commettant très peu d’erreurs, Armel Le Cléac’h marque incontestablement des points en cette première partie de course.
Di Benedetto la part du rêve
Plus de 500 milles derrière – deux jours de course par les temps qui courent – un autre match se joue entre quatre bateaux relativement proches les uns des autres. On trouve là l’Espagnol Javier Sanso (Acciona), et les Français Arnaud Boissières (Akena Vérandas), Bertrand de Broc (Votre nom autour du monde) et Tanguy de Lamotte (Initiatives Coeur). Ces quatre-là sont déjà dans une autre course et doivent prendre leur mal en patience : ils ont beaucoup souffert du passage dans le Pot au Noir dont ils viennent à peine de s’extirper et n’ont d’autre choix que tenter de faire marcher leurs machines en attendant une éventuelle ouverture.
Un millier de milles moins sud qu’Armel Le Cléach (700 milles en terme de distance au but mais toujours calculé via une impossible route directe), Alessandro Di Benedetto (Team Plastique) ferme la marche… et régale son monde par ses images de vie à bord et son large sourire. Lui a encore le Pot au noir loin devant l’étrave, mais qu’importe, l’aventure est belle. Le très sympathique italien savait qu’il n’avait pas la machine pour rivaliser, mais il vit l’expérience à fond et entretient à merveille la part de rêve du Vendée Globe. D’ailleurs, il est pile dans l’objectif sportif qu’il nous avait confié avant le départ des Sables d’Olonne : “je veux finir premier des bateaux à quille fixe !” Pour l’instant, vu sous cet angle (sans jeu de mots) tu es en tête, Alessandro. Et vu qu’il n’y a que toi dans cette catégorie, on parie notre chemise que ça va durer très longtemps. Forza Italia !
Bruno Ménard
Classement de 5h
1 Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 20 722.7 nm
2 François Gabart Macif à 44.5 nm
3 Vincent Riou PRB à 54.6 nm
4 Bernard Stamm Cheminées Poujoulat à 66.4 nm
5 Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 74.8 nm
6 Alex Thomson Hugo Boss à 89.5 nm
7 Mike Golding Gamesa à 260.9 nm
8 Dominique Wavre Mirabaud à 295.7 nm
9 Jean Le Cam SynerCiel à 301.1 nm
10 Tanguy de Lamotte Initiatives cœur à 423.7 nm