Tchou, tchou !
La locomotive de Loïck Peyron file sur des rails en direction de Halifax. Et son « tender », mené par Armel Le Cléac’h, reste bien accroché dans ses roues. Sans compter que le wagon de Yann Eliès joue les express… Les trois compères ont mis du charbon et c’est jusqu’à plus de dix-huit nœuds que les monocoques ont été relevés sur la voie de Boston qui semble dégagée jusqu’aux côtes américaines. Mais il y a un « aiguillage » au large du cap Sable, dans le Sud de la Nouvelle-écosse : le vent va mollir, tourner, changer, redistribuer les cartes et modifier les règles. Vaut-il mieux s’approcher au plus près des rives comme semble le vouloir Gitana Eighty ? Est-il préférable de se décaler au Sud pour friser l’itinéraire le plus court comme le fait Brit Air ? Ou est-il de bon ton de foncer à toute vapeur sur ce tracé vallonné, histoire de rattraper son retard tel Generali ?
Grains… de folie
En tous cas, cela fait près d’une semaine que les solitaires n’ont pas aligné les milles à de telles vitesses. C’était il y a une semaine, au portant après le Fastnet ! Depuis, The Artemis Transat s’était transformée en lascive alternance de coups de mou et de bascules de vent… Mais ce n’est plus le même programme depuis que les trois leaders ont franchi la porte des glaces, dernière « station » avant Boston ! Le vent de secteur Sud est bien rentré, à plus de vingt-cinq nœuds, et il devait progressivement s’orienter au Sud-Ouest dans l’après-midi de ce mercredi, pour se renforcer encore, à plus de trente nœuds avec des grains orageux, de la pluie, des rafales, des coups de tonnerre, des éclairs, des trombes d’eau, une mer dure et pyramidale, des vagues abruptes et percutantes, un ciel chargé, une lune blafarde… Un paysage à la Edgar Poe ! Mais du suspens et des rebondissements, il y en a déjà eu tellement que le scénario pourrait une nouvelle fois être remanié par un coup de Jarnac entre ces « trois mousquetaires ».
Dans ces grains de folie, le vent va monter jusqu’à plus de quarante-cinq nœuds au passage du front, quand la brise va rapidement basculer du Sud-Ouest à l’Ouest vers minuit ce mercredi. Et comme bien souvent, un énorme cumulonimbus noircira une dernière fois le ciel en lançant ses banderilles éclairantes et ses coups de semonce annonçant que la rotation est imminente… Et le vent va s’écrouler en quelques dizaines de minutes ! Après avoir fait le dos rond, préparé minutieusement toutes les manœuvres, amarré tout le matériel à bord, vérifié quinze fois le cheminement des écoutes, checké vingt fois la clarté des drisses, fait tourner trente fois les simulations de route, envoyé le foc de brise ORC et pris trois ris dans la grand voile, la surprise est toujours aussi totale : le changement de décor est tel après ces grondements, ces rugissements, ces hurlements, que le clapot lancinant qui ballotte un monocoque de 60 pieds en devient assourdissant ! Reprendre tout de suite ses esprits et remettre en marche le plus vite possible pour virer de bord et longer les côtes américaines…
Grains… de sable
Mais l’affaire ne sera pas pour autant aussi simple à moins de 400 milles de l’arrivée (soit une grosse journée) pour en finir avec cette transat qui a surpris tout le monde par ses conditions météorologiques inattendues… Loïck Peyron aura-t-il encore de la marge pour contenir la pression de Le Cléac’h et de Eliès qui devraient être très à l’aise dans ces conditions dures de la nuit : leurs plans Finot affectionnent particulièrement la brise contraire ! Même si le Jury lui donne une bonification pour s’être détourné vers PRB afin de prendre Vincent Riou à son bord, Loïck Peyron sera-t-il encore devant pour ce final au décor de Solitaire du Figaro ? Le « chacal » Armel et le « renard » Yann vont-ils se faire la peau du « vieux loup de mer » Loïck ?
Le carrefour de tous les dangers se situe au large du cap Sable, un nom prédestiné pour y glisser un grain, enrayer une mécanique fluide et gripper un engrenage… Les quarante milles d’avance de Gitana Eighty sur Brit Air n’ont que l’épaisseur d’un grain de poussière ! Et même Generali qui fonçait ce mercredi après-midi comme un train fou, n’avait sur la carte qu’un différentiel aussi fin qu’un grain de riz… Gare Loïck ! Le synopsis final n’est pas encore écrit et les faibles airs tournoyants qui sont annoncés pour ces derniers milles auront de quoi moudre tout grain d’espoir…
Grains… de beauté
Autre paysage que celui qui cerne les poursuivants ! A plus de 400 milles du trio leader, c’est presque un nouveau départ qui a été donné ce mercredi après-midi au passage de la porte des glaces… Un vrai miroir aux alouettes : ébloui par la réverbération d’une bulle en formation, le piège s’est refermé sur Marc Guillemot (Safran) qui s’est retrouvé enferré dans de petits airs à plus de 40 milles dans le Nord de cette ligne imaginaire. Obligé de piquer plein Sud-Ouest dans une brise erratique. Samantha Davies (Roxy) a aussi dû composer avec cette petite graine météorologique, une cellule anticyclonique qui a disparue aussi vite qu’elle est arrivée : en quelques heures. Mais des heures qui ont stoppé les élans et regrouper ces cinq solitaires au point que Arnaud Boissières (Akena Vérandas) et Yannick Bestaven (Cervin EnR) ne sont plus à une poignée de milles de la jeune Britannique ! Et Dee Caffari (Aviva) qui a judicieusement plongé vers le Sud mardi, se remet dans le match… Seul Steve White (Spirit of Weymouth) peine au Nord pour glisser vers la porte.
La course entre ces cinq solitaires, même si Marc Guillemot est tout de même en pole position avec de la marge, s’annonce de toute beauté. Car eux aussi vont devoir affronter dès la nuit prochaine ce coup de vent de Sud-Ouest qui sera peut-être un peu moins violent que pour les leaders, mais beaucoup plus long à traverser. Ce groupe devrait concéder une journée à l’arrivée à Boston, arrivée prévue pour le premier, vendredi entre midi et minuit (heure française), mais comme définitivement rien ne se déroule comme d’habitude sur cette treizième édition de The Artemis Transat !