Un réveillon pas comme celui des terriens

Jean-Pierre Dick Bonne Année
DR

Sur l’eau en ce 31 décembre, ce n’est pas vraiment « boulettes et serpentins ». En guise de costume à paillettes, c’est bonnet et triple couche de polaires. Pour la musique, c’est un tintamarre approximatif de percussions de vagues sur les peaux en carbone. Et sur la piste du Grand Sud, certains vont danser le rock’n roll à quatre pattes dans le bateau. Alex Thomson (Hugo Boss) qui vient de passer la dernière porte Pacifique en 4e position, est un des marins les plus malmenés ce jour. Bertrand de Broc (VNAM avec EDM Projets) et Tanguy de Lamotte vont essuyer dans les prochaines heures un fort coup de vent (rafales à 50 nœuds) et une très mauvaise mer. La plupart des marins vont de toute façon passer leur réveillon au charbon, dans la grisaille et le vent fort.

- Publicité -

Seule petite consolation: le bon gueuleton du 31 au soir qui réconciliera les solitaires avec la navigation au long cours, au moins le temps de la dégustation. Ris de veau ou confit de canard pour Jean Le Cam, Nasi goreng pour Jean-Pierre Dick, Gigue de Cerf « Grand Veneur » puis Colombo de Sot-l’y-laisse pour Tanguy de Lamotte… Le skipper d’Initiatives –cœur est un veinard. Sur le point de franchir la ligne de changement de date (antiméridien), à proximité du petit îlot de Campbell Island (sud de la Nouvelle-Zélande), il peut fêter deux fois la nouvelle année : aujourd’hui à la mi-journée et demain soir. Pour lui, ce sera double ration ! Autre marin à entrer en 2013 avant l’heure française : Alessandro di Benedetto. Au niveau de la porte Australie Est, à 5150 milles des leaders, le franco-italien a quelques soucis. Son pilote automatique principal est hors service et ses deux pilotes de secours sont eux aussi récalcitrants. Possible qu’il passe le nouvel an à la barre…

 « C’est quand qu’on arrive ? ». Souvenez-vous de vos interminables voyages en voiture. Les derniers kilomètres sont toujours, paradoxalement, les plus longs et les plus pénibles. C’est ce que raconte Jean Le Cam (SynerCiel) pour expliquer la lassitude soudaine qui étreint les navigateurs sur le point de sortir du Grand Sud et leur impatience de doubler le cap Horn. « On en a marre de se prendre dépressions sur dépressions dans des mers pas possibles ». Tourner la page, passer à autre chose, voilà ce à quoi ils aspirent. « Le changement, c’est pour maintenant ! » lançait Jean-Pierre Dick (Virbac-Paprec 3) pour évoquer à la fois son prochain empannage, l’arrivée de la nouvelle année et son passage imminent au cap Horn, vraisemblablement dans la nuit du 2 au 3 janvier, soit un peu plus d’une journée après les hommes de tête.

2013 au Horn

Sur un bord, à plus de 18 nœuds de moyenne, François Gabart (MACIF) et Armel le Cléac’h (Banque Populaire) ont une double raison d’ouvrir leurs éprouvettes de champagne : fêter 2013 et leurs futures retrouvailles avec l’Atlantique Sud. Le 1er janvier, en fin de journée, ils doubleront enfin le dernier grand cap, synonyme de délivrance. Leur approche des côtes chiliennes se fera vent arrière, dans un vent adonnant, avec peut-être un empannage à la clef au passage d’un front. Dans ces circonstances, leur route pourrait les emmener assez proche du fameux rocher. Ils y seront de jour. Pour leur plus grand bonheur. Car sur 200 milles, le terrain est toujours miné par une poignée d’icebergs et de nombreux growlers. Les deux hommes vont certainement temporiser avant d’ouvrir leur petite bouteille …

C. El

 Ils ont dit

Armel Le Cléac’h (Banque Populaire) : « Les routages me font passer le cap Horn dans la nuit du 1 au 2. Pour nous, il devrait faire jour donc ce n’est pas mal pour voir les éventuels morceaux de glace dans la zone. Les icebergs sont une source de stress. Il y a un peu d’inconnu, notamment avec les growlers qu’on ne peut pas détecter. Il y a beaucoup d’aléatoire dans tout ça… »

Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec 3) : « Il y a une certaine lassitude. Un mois dans le Sud, c’est long. Depuis quelques jours, c’est fatigant d’être sans arrêt sous la grisaille. J’espère qu’on va retrouver de bonnes conditions bientôt. J’ai hâte d’arriver au cap Horn et de passer à une autre phase. Le Sud a été frustrant pour moi car je n’ai pas pu exprimer le potentiel de mon bateau comme je voulais. Maintenant je veux prendre du plaisir et j’espère que ça va aller. » 

Javier Sanso (Acciona) : « Avant la tombée de la nuit, le vent a molli et venait de derrière. J’ai donc commencé une manœuvre pour mettre le grand gennaker. Tout allait bien jusqu’à ce que je déroule le bout de l’enrouleur, qui s’est embobiné dans la voile alors qu’elle était en train de se déployer. Le bout a complètement étranglé la voile qui s’est coincée. Et tout ça perché depuis l’outrigger, de nuit, avec 16 ou 18 nœuds de vent… Du coup, j’ai dû – avec mon harnais de sécurité – aller à l’extrémité de l’outrigger à 14-16 nœuds de vitesse, pour que la voile ne s’agite pas trop. Je l’avais attrapée, mais plus je la tenais, plus le bout l’étranglait car elle voulait continuer de se dérouler tandis que lui ne voulait pas la laisser faire. C’était sans fin… Je me suis plus d’une fois écroulé jusqu’au niveau de la ceinture et la force de l’eau était vraiment impressionnante. Au final c’était pire que de monter au mât. Désormais, tout est OK et j’espère que tout se déroulera bien lorsque j’aurai à ressortir la voile. »

Jean Le Cam (SynerCiel ) : « Le nouvel an habituellement je le passe avec mes amis, autour d’un bon repas. Là je n’aurai que le bon repas, mais c’est déjà pas mal. A choisir entre un ris de veau et des petites pommes Duchesse, un Parmentier de canard ou un confit de canard. Je suis clairement gâté de ce côté là ! Et j’ai aussi découvert un nouveau paquet de Haribo ! Des crocodiles cette fois-ci ! »

 Tanguy de Lamotte (Initiatives-cœur) : « La journée a été très, très fraîche. J’ai un petit chauffage à bord mais il ne permet pas de chauffer tout l’habitacle. Donc je me mets sous la couette. C’est le meilleur moyen pour reprendre de la chaleur. Je suis passé en 2013 il y a quelques minutes donc je vous souhaite à tous une bonne année ! Je vais faire deux fois le réveillon puisque demain, je passe l’antiméridien. C’est assez exceptionnel. Une petite originalité dans cette course. »

Classement de 16h
 1         François Gabart Macif à 7471.4 nm
 2         Armel Le Cléac’h Banque Populaire à 20.2 nm
 3         Jean-Pierre Dick Virbac Paprec 3 à 364.3 nm
 4         Alex Thomson Hugo Boss à 961.4 nm
 5         Jean Le Cam SynerCiel à 2041.8 nm
 6         Mike  Golding Gamesa à 2444.2 nm
 7         Dominique Wavre Mirabaud à 2500.8 nm
 8         Javier Sanso Acciona    à 2599.7 nm
 9         Arnaud  Boissières Akena Verandas à 2790.4 nm
10        Bernard Stamm Cheminées Poujoulat à 2808.4 nm

Bernard Stamm a envoyé aujourd’hui les images de sa première tentative de réparation de son hydrogénérateur défectueux. Elles datent des 21 et 22 décembre, avant que le skipper suisse de Cheminées Poujoulat ne décide finalement de se dérouter vers les îles Auckland pour se mettre au mouillage. La vidéo la plus poignante et émouvante de ce Vendée Globe.