
La descente vers le Cap de Bonne Espérance, première marque de parcours de ce Vendée Globe n’est pas simple pour le groupe dont fait partie Éric Bellion. Alors que les premiers bateaux – Hugo Boss en tête – sont descendus à la vitesse Grand V, poussés par un front froid, les poursuivants sont empêtrés dans les griffes de l’anticyclone de Sainte Hélène. Éric cherche à faire route au Sud Est, vers le Cap des Aiguilles qui marque la frontière entre l’océan Atlantique et l’Indien mais c’est aussi de là que vient le vent.
Il faut donc alterner les zigs et les zags pour progresser au plus près de cette route dans des conditions usantes. « Le bateau est penché à 30° et tape dans tous les sens, c’est un truc de fou » explique le skipper qui cherche à récupérer avant d’attaquer les mers du sud. Car si l’Indien est encore un objectif qu’il ne doit atteindre qu’en fin de semaine, il s’y « prépare psychologiquement ». Dès qu’il aura atteint les vents plus soutenus des mers australes, il pourra mettre son bateau en configuration. Les voiles de près seront rangées pour un moment alors que le gennaker de gros temps et la trinquette seront hissés. Après 18 jours de course, le bateau est toujours en excellent état. Eric progresse en 20ème position, dans le sillage d’Arnaud Boissières.
« Je m’épargne un peu parce que je veux vraiment être en forme pour le Sud. Et comme j’ai pas mal puisé dans mes ressources, là, je suis en train de me reposer un maximum. Je n’ai pas toute la toile et j’essaie de faire des longues siestes pour essayer de me reposer mais comme tout cela est très nouveau pour moi, je n’ai pas encore les automatismes des solitaires. Chaque moment de repos est pris de haute lutte. J’essaie de freiner un peu le bateau mais il n’a qu’une envie, c’est d’y aller ! J’essaie de le mettre en mode « mobylette » pour me détendre un peu et pouvoir me reposer parce que sur ces bateaux-là, tu n’as pas le droit d’être fatigué. Tu n’as pas le droit de rentrer dans la zone rouge et j’y suis un peu rentré ces derniers jours avec les grains qui m’ont mis à rude épreuve. Pour moi, il n’est pas question d’aller dans les mers du sud avec des vents forts en étant pas à 100 %. J’arrive de temps en temps à dormir 30 – 40 minutes.
On est dans des conditions de près, donc ça tape dans tous les sens. Se reposer dans un bateau de 18 mètres, penché à 30° et qui tape dans tous les sens, c’est un peu un truc de fou. J’essaie de prendre tout ce que je peux comme repos. Ça n’est pas facile mais je compte y arriver. Je suis dans ma cahute, au milieu du bateau. C’est l’endroit où je dors, où je fais ma météo, où je fais tout. C’est l’endroit où j’arrive à me reposer. Ce n’est pas un métier simple. C’est une aventure à tous niveaux que je découvre là.
J’ai 16 nœuds de face donc c’est vraiment du près. Ça n’est pas du près serré, serré mais c’est ça n’est pas du près océanique non plus. Je fais cap plein sud après avoir fait cap un peu à l’est. Le vent est pile dans la direction où l’on veut aller. C’est simple. On tire des bords. Il faut se rendre compte qu’un virement de bord, ça ne se fait pas comme ça. Il faut matosser (déplacer) tout ce qu’il y a à l’intérieur. Pour virer un peu avant 14h, je m’y suis pris une heure avant. C’est une dépense d’énergie qui est colossale. Mes virements en solitaire, je les compte sur les doigts d’une main. La fin de mon virement, quand le bateau accepte d’aller dans la bonne direction, c’est une putain de victoire à chaque fois. A chaque fois que je fais une manœuvre, je lève les bras au ciel en me disant, super ! Comme me l’a dit Marcus Hutchinson (Team Manager de SMA, ndr), une manœuvre réussie, c’est une catastrophe évitée de justesse. Faut imaginer qu’un virement raté, ça fait un vrac. Le bateau est penché de l’autre côté, avec la quille du mauvais côté, avec tout le matériel et les ballasts du mauvais côté, c’est l’enfer. J’ai toujours la hantise de rater cette manœuvre-là.
J’ai complètement la tête dans le grand sud. Je m’y prépare psychologiquement. C’est quelque chose d’impressionnant de là où on est parce qu’on voit les fichiers. On voit les dépressions, on voit les fronts et on compte en jours le fait de rentrer dedans. On est à la fois content d’y aller et en même temps, on est impressionnés. Le bateau n’est pas encore en configuration parce que pour l’instant, je tire des bords et j’ai besoin de certaines voiles pour faire du près. J’ai encore mon J1, mon J2, et je m’en sers. Les voiles de portant, de gros temps, sont stockées à l’avant pour aider le bateau à monter au près. Dès que je vais pouvoir, je vais hisser le gennaker de gros temps, hisser la trinquette. Ça va être dans deux jours, une fois qu’on aura pu tirer nos bords et faire un peu de portant.
Je suis dans une optique où chaque jour est un bonus, est un bonheur. Je ne sais vraiment pas jusqu’où je vais aller, J’ai vraiment envie que cette course soit une course où je me donne à fond mais, en même temps, je me respecte à fond. Je vais aller voir le Sud, je vais aller voir ce que ça donne. Je vais aller voir si je suis capable de le faire. J’aurais une réponse en essayant. La clé, toujours, c’est la confiance en soi. Le plus difficile, c’est de développer cette confiance en soi. C’est pour ça qu’on a tant de mal à faire confiance aux autres, c’est que généralement, on n’a pas confiance en soi. L’IMOCA et le Vendée Globe est une bonne école pour développer ça et connaitre ses limites et aller voir des choses que l’on ne soupçonnait pas. Tous les jours je découvre un nouveau truc. C’est une aventure sans concessions. »