Tricotage vers les Bancs de Terre-Neuve

Vincent Riou sur PRB
DR

Les onze solitaires encore en course et qui ont passé la mi parcours de The Artemis Transat après six jours et quelques heures de mer, doivent continuellement adapter la voilure de leur monocoque de 60 pieds et changer de cap en fonction des bascules de vent. Enchaîner les virements de bord, croiser la route de leurs concurrents, louvoyer pour atteindre les bancs de Terre-Neuve, tricoter au gré des rotations. Et il ne vaut mieux pas se planter sur le timing d’un virement de bord ! Car cette manœuvre prend près d’une demi-heure entre le matossage des voiles et du matériel lourd (stocké dans des sacs spéciaux), le transfert des tonnes de ballasts d’eau de mer d’un bord sur l’autre, la descente de la dérive au vent, le basculement de la quille, le passage du foc sur l’autre amure, la tension de bastaque, le réglage des voiles, la remontée de la dérive au vent, la vérification du bon arrimage du matériel, et tutti quanti.

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La brise encore Sud à Sud-Ouest ce dimanche, va tourner à l’Ouest la nuit prochaine en mollissant un peu (15-20 nœuds) : il faudra encore enclencher un virement ! Puis c’est de nouveau du Sud à Sud-Ouest jusqu’à trente nœuds qui est annoncé après une petite période de molle qui pourrait bien relancer le débat pour le passage de la porte des glaces. Et encore du louvoyage face à du vent d’Ouest pour mardi et mercredi.
 
Encore des bords.
Certes ce dimanche après-midi, les conditions de navigation restent encore tout à fait maniables, mais au fur et à mesure que les monocoques vont se rapprocher de la porte des glaces, le confort à bord va en prendre un coup ! D’abord à cause du Gulf Stream, ce courant général venant de la Floride et longeant les côtes Nord Est de l’Amérique (voir magazine), qui va commencer à ralentir les concurrents qui s’approchent du 40° Nord, donc en premier les leaders plus au Sud que la route directe (orthodromie). Léger désavantage donc pour Vincent Riou (PRB) en tête depuis l’abandon de Sébastien Josse (BT), suivi sur la même route par Loïck Peyron (Gitana Eighty) qui concède 25 milles et par Armel Le Cléac’h (Brit Air) à 60 milles derrière le leader. Mais position de contrôle pour le premier puisque ses plus proches concurrents ne peuvent pas vraiment initier une option très différente : seul le déclenchement du virement de bord peut légèrement redistribuer la donne. Quant à Yann Eliès (Generali), trop au Nord suite à sa stratégie d’il y a déjà trois jours, il peine à redescendre en profitant de la moindre rotation du vent. Mais d’ors et déjà, il est certain qu’il se calera dans le tableau arrière du troisième. avec environ 50 milles de décalage ! Le black-out a été dur pour le Briochin.

Encore des milles !
Est-ce pour autant que The Artemis Transat est jouée ? Loin de là et l’abandon de deux des leaders en trois jours (pour des causes très différentes) est là pour rappeler que la navigation à la voile est aussi un sport mécanique dépendant de l’état de la machine. Or au fur et à mesure que les milles défilent (plutôt lentement désormais), le matériel encaisse et comme la mer se durcit et que le vent forcit dans les jours à venir, il faut s’attendre à des avaries : petites, elles peuvent être circoncises par les skippers ; moyennes, elles handicapent la marche vers Boston ; grosses, elles peuvent aller jusqu’à l’obligation de se détourner de la ligne d’arrivée.

Et avec cette porte des glaces positionnée par 40° Nord, donc très bas en latitude par rapport aux éditions précédentes (la voie habituelle passe plutôt par le 45° Nord, soit 300 milles plus haut !), la route des solitaires devient beaucoup plus dure puisqu’il faut « tricoter » dans le bon sens pour ne pas perdre de temps et de terrain : à plus de 300 milles de cette porte des glaces, les leaders ne devraient pas l’atteindre avant lundi soir et il restera encore plus de 900 milles à parcourir pour arriver à Boston. Une fin de match encore contre le vent, sur les bancs de Terre-Neuve, sur la route maritime des cargos, sur les zones de pêche à la morue. Le tempo « Solitaire du Figaro » du début de transat, s’est certes transformé en rythme plus océanique, mais le final devrait remettre de l’adrénaline ! Et comme le faisait remarquer Yann Eliès : Vincent Riou et Armel Le Cléac’h ont à cœur de finir The Artemis Transat avant tout, non seulement pour se qualifier pour le Vendée Globe, mais pour aussi s’assurer que leur bateau est enfin fiabilisé. Eviter le doute avant le tour du monde en solitaire !  

Encore un abandon !
Pour Sébastien Josse (BT), The Artemis Transat a tout de même été très riche d’enseignements. D’abord parce le solitaire a rapidement pris le commandement de la flotte, ce qui indique que son bateau, qu’il venait juste de prendre en main quelques semaines auparavant, est particulièrement compétitif. Ensuite parce que le marin lui-même a pu se rassurer sur sa capacité à suivre le rythme de solitaires qui ont déjà accumulé beaucoup de milles sur leurs machines (Michel Desjoyeaux, Vincent Riou, Yann Eliès, Marc Guillemot, Armel Le Cléac’h.). En tête pendant près de trois jours, BT avait impulsé le rythme et entraîné ses concurrents sur une route nettement plus au Sud que l’orthodromie.

L’avarie a eu lieu vers 15h30 UTC samedi : le chariot de mât qui tient la têtière de grand voile s’est arraché. S’il aurait été possible à Sébastien Josse de réparer en montant au mât sur la mer plate de ces derniers jours, cela n’était plus envisageable avec la mer formée qui règne sur zone depuis vendredi soir. Et comme aucune accalmie n’était en vue avant la porte des glaces, le skipper a préféré faire demi tour, ce qui lui permet tout de même d’assurer sa qualification pour le Vendée Globe.

« Je suis très déçu pour tout le team BT car tout le monde a travaillé dur pour préparer le bateau afin d’être sur la ligne de départ de The Artemis Transat. Mais naviguer à vitesse réduite vers Boston ou aller vers un port pour réparer m’enlève toute chance de bien figurer sur cette course. J’ai appris énormément sur mon bateau et c’est très positif car je suis très content du potentiel de BT pour le futur. J’ai la confirmation que le bateau bien que jeune, car juste mis à l’eau cinq semaines avant le départ de Plymouth, va bien. J’avais deux objectifs : d’abord me comparer aux autres monocoques Imoca et sur ce point, je suis rassuré ; et faire un bon résultat. Nous verrons plus tard pour cela. Avec les conditions qui règnent sur l’Atlantique, c’est de toutes façons, un bon test pour BT. »