« S’il fallait choisir une position aujourd’hui, je préfèrerais celle d’E.Leclerc-Bouygues Telecom au nord, contrairement à voilà 48 heures où je craignais Brit Air au sud». Charles Caudrelier (Bostik, 10e) est clair quand il donne l’info majeure de la journée. Voilà deux jours, comme tout le monde, il donnait avantage à la route sud. C’est peu ou prou l’inverse aujourd’hui. Au minimum le grand doute. Ni météo ni voile ne sont sciences exactes.
Ce dimanche donc, ils sont quelques uns à envier la position du tandem Corentin Douguet-Thierry Chabagny. Positionnés les plus au nord des leaders, les navigateurs d’E.Leclerc-Bouygues Telecom étaient de retour dans le trio de tête à moins de 10 milles du meneur Banque Populaire ce midi, alors qu’ils étaient 13e à 37 milles voilà deux jours… et à 16h, E.Leclerc-Bouygues Telecom vient de prendre la tête de la course, à 10 nœuds de moyenne !
« Ca fait plaisir d’être de retour dans le match !», lance Corentin Douguet, avant d’expliquer : « on a profité hier d’une petite opportunité pour s’engouffrer et il est possible qu’entre nous et Brit Air (169 milles de décalage nord-sud, ndlr), il n’y ait pas une grande différence de vent. Tout le chemin qu’ils ont fait pour aller là-bas pourrait être du chemin en trop. Nous devions tous contourner l’anticyclone. Cela ne fait aucun doute. Il fallait faire ce grand virage à droite. Notre tactique est d’essayer de faire l’intérieur du virage. ». C’est cette tactique qui paye, aujourd’hui en tous cas.
Les nordistes font une route plus courte et n’ont pas été pénalisés par des zones de vent plus faibles comme le prévoyaient les fichiers météo. Ils ont même bénéficié a priori de lignes de grains plus fortes dans l’alizé oscillant (pointes de vent à 35 nœuds) que les partisans de la route sud. « On croyait ceux du nord morts, ils ne le sont pas du tout !», confirme Kito de Pavant (Groupe Bel), 2e juste devant le Banque Populaire de Jeanne Grégoire et Gérald Veniard. Banque Populaire menait la flotte depuis quatre pointages jusqu’à ce soir, mais « dans un mouchoir de poche », comme dit Kito de Pavant. Et le mouchoir est toujours aussi étroit : 1,5 mille suffit à contenir les trois premiers… Le Brossard de Fred Duthil et Samuel Manuard, lui aussi au nord, est également très bien revenu : 7e à 24 milles d’E.Leclerc-Bouygues Telcom aujourd’hui, contre 10e avec 38 milles de retard au leader voila deux jours.
« L’issue est incertaine »
Contre toute attente, le nord a bénéficié de conditions un peu plus favorables. Erwan Tabarly (Cercle Vert, 9e), raconte : « ça m’a surpris de voir ceux du nord revenir comme ça ! Je n’ai pas toutes les explications, mais ils ont eu visiblement un meilleur angle. Et nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne : il y a des grains, on voit des bateaux décoller, d’autres rester coincés… » A ce petit jeu, il faut enchaîner les empannages pour toujours suivre la bonne oscillation du vent, « se placer par rapport aux grains et au bascules. Tu peux aussi bien perdre 10 milles sur un mauvais bord qu’en gagner autant sur un bon», poursuit Erwan Tabarly, «ça crée du jeu, c’est sympa ! »
Alors que la barre des moins de 1000 milles à l’arrivée va être franchie cette nuit par les bateaux de tête – qu’on voit désormais arriver très groupés autour du 28 ou 29 avril – le suspense est à son comble. Ils viennent de batailler pendant 5000 kilomètres (2700 milles) et au moins 16 bateaux peuvent encore gagner : ils tiennent en 60 milles, les 10 premiers en 30 milles, les 4 premiers en 10 milles et les 3 premiers, donc, en un mille et demi. Moins de 3 km.
Attention, les partisans de la route sud et ceux de l’axe médian de la flotte sont très loin d’avoir dit leur dernier mot, comme en témoigne, Jeanne Grégoire, 3e de la course avec Gérald Veniard sur Banque Populaire : « nous nous méfions de tout le monde ! Avec Gérald on n’est pas d’accord sur les bateaux les plus dangereux, mais moi je pense qu’Armel (Le Cléac’h) et Nicolas (Trousse – Brit Air, 6e à 23 milles) peuvent encore nous faire un coup de maître. » Tout comme peuvent encore sortir de la cuisse d’Eole, l’ATAO Audio System de Dominic Vittet et Lionel Lemonchois (4e à 9,1 milles), l’Aquarelle.com de Yannick Bestaven et Ronan Guérin (5e à 18 milles) ou encore Cercle Vert, Bostik, Delta Dore, Roxy, Siemens… voire Des Pieds et des Mains, Axa Atout cœur pour aides ou encore Lubexcel, tous dans le match…
Alors ? Au sud ? Au Nord ? La route de la victoire à Saint-Barth’ est encore longue –mille milles c’est l’équivalent de plus de trois golfes de Gascogne bout à bout… Mais au train où vont les choses, à des moyennes supérieures à 200 milles par jour (TOP Chrono AG2R de Marc Thiercelin et Oliver Krauss à 217,7 milles aujourd’hui), la fin du suspense pourrait bien être rapide. En fin de semaine, vendredi ou samedi. Cinq ou six jours « pour voir qui sortira de la pochette surprise », s’amuse Jean-Luc Nélias (Veolia, 6e) qui poursuit : « en tous cas c’est serré et l’issue est incertaine ».
C’est bien le moins qu’on puisse dire.