Le briefing météo de l’organisation aux skippers ce mardi 8 novembre, veille du départ laisse présager une météo classique pour cette édition. Une transat d’automne qui restera engagée avec deux passages de front à passer pour les concurrents.
Si les conditions s’annoncent modérées pour le départ, 15-20 nœuds de vent d’ouest/sud-ouest, 1,50 m de houle, un ciel qui devrait laisser la part belle aux éclaircies, le départ tant attendu de la 12e Route du Rhum – Destination Guadeloupe avec 138 bateaux devrait être exceptionnel ! un système dépressionnaire situé sur l’atlantique offrira beaucoup de jeu dès les premiers jours. Entre jeudi et vendredi une dépression tropicale va remonter très vite au nord amenant beaucoup de pluie et des vents assez forts avec une zone de transition en avant qu’il faudra traverser. Les modèles divergent encore entre eux et il faudra attendre les derniers fichiers météos mercredi matin pour avoir une vision précise des enchaînements.
Interrogé à la sortie du briefing, Jean-Luc Nélias nous en dit plus : “La météo s’annonce tonique. Ce sera encore agité. Il y aura des routes pour se protéger mais les routes gagnantes se joueront encore dans du vent fort. Il y a deux enchainements météo qui vont être difficiles à vivre.”
Si les conditions seront beaucoup plus maniables que dimanche dernier, le départ et les heures qui suivent ne seront pas simples : « Il va falloir tirer des bords dès le départ à 138 bateaux, ce ne sera pas évident. Il y a des zones à éviter, notamment le parc éolien (devant la baie de Saint-Brieuc, ndlr). Il y a des bouées tout autour du parc, et lors du convoyage pour venir à Saint-Malo nous sommes passés très près de l’une d’entre elles, nous ne l’avions pas vue. Ce sera un début de course sous tension », souligne Arnaud Boissières (La Mie Câline).
Croisements de bateaux, courants, zones interdites à la navigation, filets de pêche dérivants dans le nord-ouest du plateau des Minquiers, coquilleurs le long de la côte, les pièges seront nombreux. Louis Duc (FIVES – LANTANA ENVIRONNEMENT) explique : « Il va y avoir du taff ! Ce qui m’embête le plus, ce sont les trois premières heures de course. Après un départ, c’est bien d’avoir un peu de temps pour se mettre dans le rythme, faire ses réglages. Là, comme le vent est dans l’axe, tout le monde va tirer des bords : il va falloir être ultra vigilant ».
Météo : des choix stratégiques cruciaux
La sortie de Manche permettra à chacun de se mettre dans son rythme et les premiers choix stratégiques interviendront à Ouessant. En effet, un premier front froid commandé par une perturbation centrée sur l’Islande attend la flotte à partir de jeudi (pour les Ultim 32/23) avec des vents de 30 à 35 nœuds de sud/sud-ouest sur son avant. Il est rejoint par un second front ce qui promet une bascule de vent à l’ouest/nord-ouest de courte durée. « La transition ne sera pas franche et l’incertitude demeure quant à la force du vent sur l’arrière du front », expliquait Cyrille Duchesne ce matin. Autre obstacle à surveiller, une ondulation remonte dans la nuit de jeudi à vendredi des Açores à l’Irlande et peut générer un développement actif et des vents potentiellement supérieurs à 40 nœuds. « Dans ces conditions d’incertitude, il n’est pas certain que le jeu d’une route plein ouest soit forcément payant et beaucoup de skippers s’interrogeront sur la meilleure façon de se préserver en gagnant au Sud dès la sortie de la Manche », concluait le météorologue.
Attraper les alizés
Dès samedi, l’anticyclone des Açores prolongé par une dorsale reprend sa place conventionnelle au large des Açores. Alors que les premiers chercheront à rejoindre l’alizé en allant empanner sur sa bordure orientale, les classes moins rapides devront exploiter les petites bascules à l’ouest pour gagner au sud sur une route moins proche de l’orthodromie et nettement moins rapide. Maxime Sorel (V and B – Monbana – Mayenne) analyse la situation pour les IMOCA : « Dès vendredi, nous allons entrer dans le vif du sujet avec un premier front à négocier tôt le matin, 5 à 6 mètres de houle et des rafales possibles à plus de 40 nœuds ce qui ne sera pas de tout repos. Derrière ce front, nous nous attendons à une zone de transition sans vent qui ne sera pas facile à vivre mais qui nous donnera un peu de répit avant un deuxième front un peu moins actif. Par la suite, nous allons essayer de glisser au sud de l’anticyclone des Açores en choquant nos voiles peu à peu pour se retrouver dans les alizés au portant. »
Réactions
Yves Le Blévec (Actual Ultim 3) – Ultim 32/23 : « On voit bien que le schéma général ne nous place plus dans l’impasse de dimanche. Les conditions seront très bonnes pour lancer le départ et sortir de la Manche. Dès la sortie, la météo imposera des choix de route assez marqués. Il est possible que la situation se dégrade sur le premier front et le routage lui n’a jamais peur. Donc je ne fais aucune prédiction de temps de course et je m’apprête à m’adapter au dernier moment à l’évolution de la situation. J’ai pu bien me reposer notamment hier et j’ai repris ma routine de préparation après une journée de dimanche assez sollicitante. Je suis prêt. »
Armel Tripon (Les P’tits Doudous) – Ocean Fifty : « Ça va être tonique. Le passage du front n’est pas encore très clair et ça peut se creuser. Il y aura deux stratégies après Ouessant. Tirer la barre et partir à l’Ouest dans le dur ou se protéger un peu en se décalant Sud. Je ne sais pas s’il faudra aller traverser le second front. Les modèles ne sont pas calés et il est peut-être possible de rejoindre la bordure de l’anticyclone dès le premier front, ce qui fait plutôt envie évidemment. »
Tanguy Le Turquais (LAZARE) – IMOCA : « J’ai des fourmis dans les jambes. Le report du départ est un exercice mental assez difficile mais on commence à avoir l’habitude des transatlantiques reportées. Je sais comment réagir. La première semaine de course reste tendue, la grosse différence c’est qu’il y a des échappatoires au Sud. Ceux qui ne se sentent pas d’aller affronter les fronts peuvent avoir du vent moins fort. Je ne veux pas mettre la compétition de côté donc je ferai la trajectoire optimale. »
Kojiro Shiraishi (DMG MORI Global One) – IMOCA : « Le bateau est prêt, je remercie mon équipe d’ailleurs car tout le monde a bien travaillé. Je suis content de partir et je veux arriver le plus vite possible car mon sponsor m’attend en Guadeloupe et il doit repartir rapidement ! Je vais essayer de ne pas faire de choses trop extrêmes, je vais y aller le plus « safe » possible pour être sûr d’arriver en Guadeloupe. On a défini un plan de course avec l’équipe, on s’est dit que l’on voulait aller vite en préservant le bateau. »
Jean Galfione (Serenis Consulting) – Class40 : « On repense enfin à la course, à aller vite et la tension de la course revient. Il y aura des fronts à passer, c’est encore un peu instable et il y a plusieurs tendances qui se dégagent. Je vais essayer de faire les choses proprement, ne pas être en mode ‘fou furieux’ et préserver le bateau pour ne pas casser. Je sais que je ne vais pas bien dormir cette nuit mais c’est une bonne chose : ça montre que je suis concerné et déjà très concentré. »
Laurent Etheimer (Happy) – Rhum Multi : « On va faire 5 jours de près, ce n’est pas le point fort du bateau mais tant pis, on verra bien. J’ai déjà ma petite idée sur les options, à affiner bien-sûr mais, en gros, on devrait couper le Golfe pour faire une route au près jusqu’aux Açores : une route assez directe, c’est pas mal. »
Guy Pronier (Terranimo) – Rhum Mono : « Il va falloir décider si on est sage … ou pas ! Pour ma part, la décision se prendra avec mon équipe à terre en fonction de la façon dont je vais vivre ce début de course et dont je me sentirai à la sortie de Manche : soit je me sens en forme et combattant auquel cas j’attaquerai ; soit je lèverai le pied pour faire un peu de sud et faire le tour par en-dessous. »