Romain Pilliard amateur Ultime sur Use it again

Romain Pilliard prendra le départ de la Route du Rhum le 4 novembre prochain dans la catégorie reine de la course : la classe Ultime. Avec l’ancien trimaran B&Q-Castorama d’Ellen MacArthur, un plan Irens/Cabaret remis à l’eau en juin 2018. Portrait et parcours d’un amateur qui prône au travers de ce projet « Remade – Use it Again » une philosophie autour de l’économie circulaire – un maxi défi.

- Publicité -

Romain Pilliard a navigué autant qu’il a pu depuis qu’il a remis à l’eau son trimaran Remade – Use it Again début septembre 2018, soit deux mois avant le départ de la Route du Rhum. « J’ai un peu de retard par rapport aux copains. » (Rires) C’est le moins que l’on puisse dire ! Romain sera le seul amateur dans la classe Ultime, la classe reine de la Route du Rhum, où il prendra le départ aux côtés d’Armel Le Cléac’h, François Gabart, Sébastien Josse, Francis Joyon et Thomas Coville. Un sacré challenge pour ce Parisien de 42 ans, installé à La Trinité-sur-Mer depuis longtemps et qui s’est lancé dans ce projet il y a un an. Forcément, sur le plan sportif son bateau ne tiendra pas la cadence imposée par les autres Ultime. Il espère cependant faire aussi bien, voire mieux que Philippe Monnet, lequel a participé au Rhum il y a 8 ans sur le même bateau et avait mis 15 jours à la vitesse moyenne de 13,58 nds.

Son expérience dans la voile
Romain est connu dans le milieu nautique pour organiser le Tour de Belle-Île depuis 2008. La voile, il l’a débutée adolescent en baie de Morlaix, à Carantec, pendant ses vacances d’été. Il s’y est mis ensuite sérieusement – mais tardivement – au cours de ses études en école de commerce, à l’Essec. Il enchaînait les courses étudiantes et les cours aux Glénans, puis partait le week-end à La Trinité pour trouver des embarquements sur les entraînements d’hiver.

Il a pratiqué de nombreux supports, du J/24 au Figaro avant de passer du Classique aux Multi, puis a eu la chance d’être pris comme équipier d’avant pour régater en Méditerranée sur un Corel 45, le TP52 de l’époque. Il était avec un très bon équipage avec lequel il a gagné la One Ton Cup, avec notamment Bernard Labro, Christian Scherrer, Thierry Peponnet et Pierre Mas. Cela l’a conduit à faire les sélections du défi Yaka pour la Coupe de l’America – mais sans être pris.

En 1999, Romain a 25 ans et finit ses études. Il trouve un budget pour faire deux saisons en Figaro. La 1re année, il est avec un autre bizuth, un certain Armel Le Cléac’h qui finira 2e au général quand lui terminera avant-dernier. Il n’a pas le même talent, ni reçu le même entraînement. Il y a bizuth et bizuth. Lui, c’est un vrai bizuth dans la classe. La 2e année, il a fait mieux mais sans pour autant percer comme d’autres à ses côtés. Cette année-là, il a failli basculer dans la voile comme professionnel. Il a hésité à enchaîner sur la Mini Transat mais, même s’il progressait, il ne se voyait pas continuer là-dedans – pas comme un autre bizuth, un certain Romain Attanasio qui, lui, se destinait complètement à cela.

C’est également à cette période qu’il rencontre Aurélie, qui va devenir sa femme et avec qui il va partager tous ses projets. Avec elle, il part en Nouvelle-Zélande dans l’organisation de la Coupe de l’America en 2002-2003. Il y occupe plusieurs rôles et découvre les coulisses d’un évènement d’envergure, ce qui lui servira par la suite. Une superbe expérience, grâce à laquelle il est aux premières loges lors de la victoire des suisses d’Alinghi, et qui lui permet de découvrir un pays où il reviendra souvent.

De retour en France, il crée avec sa femme EOL, une agence de marketing sportif spécialisée dans la voile et basée à La Trinité-sur-Mer, proposant des missions de conseils et des relations presse pour les skippers. Romain n’en oublie pas pour autant les embruns et continue à naviguer en Multi, en Imoca et en Orma, et même en Classique sur Moonbeam ou en Maxi sur Mari Cha IV, au gré des occasions et des opportunités. « J’ai toujours aimé multiplier les supports. C’est l’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas accroché avec le Figaro. »

Le TOUR DE BELLE-ÎLE
En 2008, il crée le Tour de Belle-Île. Une idée qui lui est venue après avoir couru le Tour de l’île de Wight en Multi sur Roxana avec Yvan Bourgnon, et le Bol d’Or. « Je trouvais qu’en France, c’était toujours les mêmes courses et qu’on tournait un peu en rond. J’aimais bien l’idée de réunir sur l’eau les bateaux de professionnels de la course au large avec ceux de monsieur tout le monde autour d’un événement sportif convivial, aussi bien sur mer que sur terre. » Le Tour de Belle-Île est né. La 1re édition est un succès avec 124 bateaux, puis 288 bateaux l’année suivante. Depuis, la course tourne avec 500 bateaux en moyenne chaque année et est devenue un rendez-vous prisé des skippers. On y croise Thomas Coville, Loïck Peyron ou Alain Gautier, qui viennent prendre du bon temps et partager avec le public.

Si l’organisation du Tour de Belle-Île nécessite de travailler dessus toute l’année, Romain continue de naviguer pour le plaisir avec son Open 7.50, ou en faisant du M2 en Suisse. En 2010, il travaille pour un propriétaire comme chef de projet sur la construction d’un bateau : un one-off sur plan Nacira, qui lui donne une bonne expérience pour les chantiers sur lesquels il collabore ponctuellement avec plusieurs intervenants, comme Michel Desjoyeaux.

En 2015-2016, changement d’horizon pour Romain, sa femme et ses deux enfants qui décident de partir s’installer en Chine, à Shanghai, pour développer des projets dans un pays que Romain connaît déjà pour avoir en 2004 failli y lancer un évènement de voile pour un client. « On avait envie d’aller voir ailleurs, aller vers des gens positifs, montrer autre chose aux enfants. Cela a toujours été un tout entre le professionnel et le personnel. » Mais le projet en Chine n’aboutit pas. En 2016, Romain enchaîne avec sa famille sur un tour du Pacifique pendant quatre mois pour faire une étude de marché, avant que naisse l’idée de racheter le trimaran d’Ellen MacArthur.

Le bateau USE IT AGAIN
En mai 2016, Romain rachète, avec l’aide de plusieurs investisseurs et mécènes, le bateau d’Ellen. Un bateau au beau palmarès mais qui n’a plus navigué depuis 6 ans et qu’il faut remettre en état au chantier Nauty’Mor à Hennebont. Une bonne raison de monter un projet autour de l’économie circulaire, qui prend le nom de Use It Again. Sa vocation : alerter le grand public de l’urgence de modifier nos modes de consommation, et inciter les industriels à se réinventer, se transformer. « Le bateau était à vendre depuis longtemps et je connaissais le propriétaire. C’est un super bateau. Je ne l’ai pas acheté au départ pour faire la Route du Rhum mais pour pouvoir naviguer dessus en équipage à l’étranger, là où il pourrait être le meilleur bateau, ailleurs qu’à La Trinité. Cela a du sens de le refaire naviguer. »

Le bateau est remis à l’eau le 31 août 2018 à Hennebont, puis convoyé à Lorient pour recevoir son mât. « C’est un bateau fiable et sain qui a été très bien construit en Australie. Il est beaucoup plus tolérant qu’un Orma surtoilé et est prêt à affronter des conditions difficiles en Atlantique. On a fait des modifications sur les flotteurs avec Benoit Cabaret, coarchitecte du bateau avec Nigel Irens. On a augmenté le volume à l’arrière des flotteurs pour le rendre plus polyvalent, confortable et performant au près, parce qu’il était très typé au portant et avait tendance à naviguer beaucoup sur l’arrière. La deuxième modification concerne le cockpit, que l’on a aéré parce qu’il était très ramassé. L’idée à l’époque était de permettre à Ellen, sur son Tour du monde, d’avoir tout sous la main. Comme le bateau est destiné après la Route du Rhum à faire aussi de l’équipage, on a modifié le pont. On a écarté deux winchs traveller que l’on a mis près du poste de barre. Du coup, on a supprimé les deux barres franches qui étaient dans le cockpit au centre pour créer deux plateformes de barre du type de celles que l’on a sur les MOD70 ou Orma, un peu excentrées du bras arrière. On a fait également une plateforme avec un pare-brise pour se protéger, même si ce n’est pas un bateau qui mouille trop. Sa vitesse de pointe est autour de 35 nds. C’est respectable, mais quand Armel annonce des pointes à 46 nds, je ne joue pas dans la même cour. »

Toujours dans l’esprit d’économie circulaire qu’il promeut, Romain a pu compter sur certaines équipes pour récupérer des pièces d’accastillage et équiper son bateau. « On a pu récupérer pas mal de choses de différentes équipes qui nous ont aidés, comme des poulies de Sodebo, des voiles d’un Ultime ou des winchs rachetés à Bernard Stamm. On est dans un souci d’économie parce que l’on n’a pas le même budget (moins de 500 000 €), mais aussi dans le souci de réemploi. On veut que le bateau soit un bateau-laboratoire. »

La course
Concernant la course, Romain arrive à bien se projeter : « Mon objectif, c’est de faire une navigation propre sur le Rhum. Mes premières navigations se sont bien passées. J’ai pris du plaisir, les réflexes sont revenus. J’ai senti que le bateau n’était pas extrême, même à 31 nds la nuit. Il est hyper sain et sécurisant. Les premières expériences de navigation sont très bonnes ; j’ai l’ambition de faire un bon temps. Cela devrait me prendre deux semaines, avec une arrivée après les premiers Imoca. Philippe Monnet avait mis 15 jours. »

Le moment le plus dur sera sans doute le départ. Une phase que tous les concurrents appréhendent. « Ce sera le moment speed, avec du stress jusqu’à la dernière bouée avant de partir au large. Il va falloir être très vigilant. Je m’y prépare mentalement et physiquement. » Quant aux manœuvres, Romain décompose beaucoup. « À bord j’ai le J1, J2, J3, le gennak et le code 0. Il faut bien décomposer et ne rien oublier. L’erreur peut se payer cher en casse. Il faut physiquement être en forme. J’enroule la plupart du temps et décompose toutes les manœuvres, aidé par mon coach qui a fait beaucoup de multi, du MOD70, de l’Orma, et a été boat captain sur Spindrift. »

Romain peut également compter sur deux préparateurs : Philippe Cairo, qui gère l’électronique sur le bateau, et Robin Salmon, qui était dans le shore team de Dongfeng. Le routage sera assuré par Christian Dumard, et c’est Fabien Delahaye qui l’a aidé sur sa qualification. Sa femme Aurélie gère quant à elle le projet, aidée en communication par Lean Léa Launay.

Le tour du Monde en Ultime
Après le Rhum, rien n’est décidé concernant le programme sportif. « On me fait de l’appel du pied pour le Tour du monde en Ultime. Mais je suis assez pragmatique. Je fais la Route du Rhum, ensuite je verrai. Mais si c’est pour être tout seul et arriver un mois après les autres, je n’y vois pas beaucoup d’intérêt sportif, sans compter la sécurité dans les mers du sud. Il y a peut-être un autre bateau vintage à l’étranger, le catamaran Bioton de Roman Paszke, qui pourrait être le seul à bouger. S’il participe on verra. C’est vrai que c’est tentant. En revanche, pour la course Lorient – les Bermudes – Lorient, c’est difficilement vendable pour moi à des partenaires dans la mesure où on ne s’arrête pas aux Bermudes. L’histoire avec la Route du Rhum est superbe parce que c’est vraiment dans l’ADN de la course. Pour le reste, imaginer un programme sportif, cela ne peut être jouable que s’il y a une deuxième division. »