Le Pot au Noir a été fidèle à sa réputation : alternance entre des chaines orageuses avec du vent fort et des rafales, et des zones dénuées de tout vent. Ce passage a joué avec les nerfs de Stéphane Le Diraison et lui a fait vivre des séquences intenses à bord en lui imposant des changements de voiles incessants sous une chaleur plombante. Après être sorti de cette zone instable, Stéphane a franchi l’Equateur le 18 novembre. Premier passage symbolique de cet Everest des Mers !
Le rythme est monté d’une vitesse au large du Brésil, Stéphane doit désormais avancer avec les éléments pour contourner l’anticyclone de Sainte-Hélène et composer avec les dépressions qui se forment au large du Brésil.
Les concurrents de devant ont profité d’une dépression pour s’échapper et prendre un train d’avance et creuser l’écart. Stéphane se situe dans la seconde partie et remonte au classement de jour en jour. Il confiait à la Direction de course ce samedi lors de la vacation radio : “Le compétiteur que je suis se retrouve bien dans le groupe où je navigue actuellement, on s’amuse bien !”
Rappelons que c’est la première course de Stéphane en IMOCA, même en tant qu’équipier ! Ses concurrents proches ont de nombreuses saisons d’expérience à leur actif (Louis Burton : 4 saisons d’Imoca, Arnaud Boissières : 8 saisons d’Imoca et 2 Vendée Globe, Conrad Colman : Barcelona Word Race 2015). Stéphane prend la mesure de sa monture au fil de la course et découvre les choix de voiles et de trajectoires adaptées à son bateau.
RECIT DE STEPHANE SUR CETTE PREMIERE QUINZAINE
“Autant en emporte le vent.
Décidément les leaders de la course sont très forts : non contents de bénéficier de conditions météorologiques particulièrement favorables depuis Madère, ils verrouillent tout derrière eux. Soigneusement après chaque passage stratégique, ils prennent soin de refermer la porte et de jeter la clé par dessus-bord…
Alors qu’Alex Thomson n’a connu qu’un léger ralentissement lors de son passage du Pot au Noir, deux jours plus tard cette zone était (re)devenue un cauchemar pour nous accueillir. En mémoire du terrible sort que nos ancêtres indignes et cruels ont fait connaître aux populations africaines entassées dans la cale des navires esclavagistes à destination notamment de Salvador de Bahia, je préfère l’appellation ZCIT (Zone de Convergence Inter Tropicale).
De quoi s’agit-il ? Les vents d’Alizés nord-est de l’hémisphère nord convergent avec ceux de SE de l’hémisphère sud. Il en résulte une formidable machine thermique qui contribue à l’équilibre des températures à la surface de notre bonne vieille terre. Vue sous cet angle ça aide à accepter l’idée d’être malmené pendant plusieurs jours.
Cette région, évolutive et mobile, est une pépinière à cumulonimbus, les nuages effrayants de l’orage. Sauf qu’au niveau de l’équateur leur développement vertical atteint 20 km (contre 12 km sous nos latitudes). Je vous laisse donc imaginer la violence des orages… En gros, la traversée de cette zone consiste en un slalom où l’on évite au maximum les nuages. La rencontre avec un cumulonimbus donne la séquence suivante :
« Damned je suis fait ! Vite affaler les voiles »
S’en suit un front de rafale qui peut être très violent
Puis on a le droit à la pluie, version « le déluge »
Enfin, le nuage ayant consommé toute son énergie, il n’y a plus du tout de vent…
J’ai même eu le droit à un final grandiose : pendant plusieurs heures l’amas nuageux était tel que je me croyais en pleine nuit. Les éclairs déchiraient le ciel, accompagnés par un tonnerre très impressionnant, la pluie était d’une intensité jamais vue (ironie du sort quand on sait que des populations subissent la sécheresse à quelques centaines de kilomètres), soudain dans ce décor de fin du monde il y a eu comme une fenêtre à l’horizon, je m’en suis rapproché et en quelques instants changement total de décor. Sans transition aucune je me suis retrouvé au soleil dans l’Alizé de sud-est.
Ouf une bonne chose de faite ! Mais dire qu’il faudra retraverser la zone au retour…
Immédiatement après la zone de convergence intertropicale il y a deux jours de bienvenue durant lesquels on navigue au près (contre le vent) bateau gîté dans une mer hachée. Puis le premier passage symbolique de la course avec le franchissement de l’équateur ! Comme le veut la tradition, j’ai ouvert une bouteille (modestement j’ai choisi une bière) pour fêter dignement l’événement après avoir fait plusieurs offrandes : une pour le bateau, une pour Eole, une pour Neptune. L’occasion aussi d’ouvrir ma boite magique : celle qui contient mes 6 repas de gala !
Impossible de mettre directement le cap sur le sud de l’Afrique car l’anticyclone de Sainte Hélène (vous vous rappelez Napoléon!) barre le chemin. Il faut donc le contourner gentiment. L’ennui c’est que nos petits copains de devant sont passés comme une lettre à la poste et nous allons payer l’outrecuidance d’avoir des navires moins rapides au prix fort : une dépression a décidé de venir à notre rencontre. Délicate attention, sauf que le front qu’elle génère remonte tellement au nord que nous allons nous retrouver au près (= contre le vent = lent).
La prochaine marque de parcours est le Cap de Bonne Espérance, je viens de comprendre pourquoi ce nom lui a été donné…”