Troisième depuis ce matin, Paul Meilhat a retrouvé des conditions presque idéales qui devraient lui permettre de franchir le cap Leeuwin demain soir. Attristé par les abandons qui ont frappé la flotte depuis deux jours, le skipper SMA redouble de vigilance au cœur de ce grand sud qui l’enrichit mille après mille.
De coup de vent en coup de vent, de surf en surf, Paul Meilhat n’a pas vécu une semaine paisible. Il y a 48 heures, tandis qu’il piquait vers le sud tout en traversant un système bien actif, fait de 35 à 40 nœuds de vent et des creux de 8 mètres, Paul est parti au vrac. Sans dommage, sinon de gros paquets de mer qui sont venus mouiller un bateau qu’il avait réussi à tenir bien au sec jusqu’alors. Les négociations avec cette tempête venue de Madagascar auront obligé Paul à puiser loin dans ses réserves.
« Dans le vent fort, je n’ai pas arrêté de changer de plan de voilure. Je passais du gennaker au J3 sans cesse, selon les grains. Depuis une semaine, j’utilise toutes mes voiles, à l’exception du spi, avec une dominante pour les petit et grand gennakers. Ces deux jours (dans la tempête) ont été très impressionnants. Il en reste de belles images, c’est juste dommage qu’il y ait eu ce « vrac » qui m’a demandé des heures et des heures de rangement. Ça fait 15 jours que je vis dans un bateau qui fait beaucoup de bruit, qui gîte énormément et qui mouille beaucoup. Ça demande énormément d’organisation et il faut faire super attention à tout. Garder des vêtements au sec demande de la méthode, tout comme dormir et s’alimenter. Il faut même tenir la bouilloire sur le feu parce que tout bouge. Tout prend plus de temps qu’ailleurs, dans le sud ».
Troisième ? Oui, mais…
Paul se prépare à aborder une deuxième nuit plus sereine, dans des vents de 15 à 20 nœuds relativement constants et, surtout, sur une mer plus compatissante. Un répit bienvenu pour souffler un peu et achever de remettre en état un bateau qui, depuis le Cabo Frio, au Brésil, n’a pas manqué d’être sollicité. « Je suis content de retrouver des conditions calmes car ça m’a permis de bricoler. Si j’avais repris du vent tout de suite, je n’aurais pas pu réparer mes écoutes de grand-voile (et une poulie, ndlr) et cela aurait rendu plus compliquée ma progression. Mais ce calme est moins agréable quand tu regardes le classement : je suis plus heureux quand j’avance à 19 nœuds ».
Ce qui est vrai, c’est que le trou s’est encore creusé avec Armel Le Cléac’h et Alex Thomson, les deux leaders : 1 258 milles de retard. Après l’abandon de Sébastien Josse (Edmond-de-Rothschild) ce matin, Paul Meilhat est certes passé 3e au classement, mais il a du mal à apprécier totalement sa nouvelle place dans le tiercé de tête. « Même si c’est bien sur le papier, c’est douloureux sur le fond, avec ces abandons. Seb (Josse) m’a fait flipper car je voyais sa trajectoire et sa vitesse, mais on n’avait pas de nouvelles. Puis il y a les soucis de Thomas (Ruyant, Projet Imagine) puis l’histoire qui est arrivée à Kito (de Pavant, Made in Midi) et c’est super dur. On connaît l’histoire de Kito avec le Vendée Globe (c’est son 3e abandon en autant de tentatives, ndlr) et ce qu’il vit est difficile : c’est très dur pour un marin d’abandonner son bateau au milieu de l’océan. Je l’ai vécu… »
Un œil sur tout et l’autre… sur le reste
La déferlante d’avaries est venue marteler la nécessité de rester vigilant alors que la flotte vient de passer le cap du premier mois de course, et que les premiers mènent grand train depuis plus de quinze jours.« Des soucis, prolonge Paul, j’en ai eu hier, et celui de Kito est venu rappeler qu’il peut y avoir des rencontres avec des OFNI. On dort moins bien, avec ces nouvelles. Sportivement, j’ai du mal à me projeter sur la tête de la course, parce que le leader est bien loin, je me projette plus facilement dans la course avec Jérémie (Beyou, Maître-CoQ). Mais je ne change pas ma manière de naviguer : quand on est soumis à du vent fort, on donne la priorité aux trajectoires qui font un bon compromis entre la préservation du matériel et la performance ».
Comme toute la flotte, Paul Meilhat cherche donc l’équilibre acceptable entre les milles en plus et le risque nécessaire. « Je ne fais pas la trajectoire que me proposent mes logiciels de navigation, ça serait trop facile. Il faut intégrer d’autres paramètres, se donner une vitesse minimum et prendre en compte l’état de la mer. Les bateaux souffrent, nous aussi, on a du mal à tout gérer si les éléments sont trop forts. C’est l’accumulation qui fait que le bateau souffre s’use. Il faut être encore plus vigilant. On ne se fixe pas les mêmes limites de vent que sur une transat qui va durer une semaine. ».
Leeuwin et Pacifique en vue !
Porté ce jour par un flux constant de nord-ouest qui lui permet de frôler les 20 nœuds de moyenne, Paul Meilhat devrait effacer le cap Leeuwin jeudi soir. Il longera alors la pointe sud de l’Australie jusqu’à la Tasmanie (où, à la demande des autorités maritimes australiennes, les points GPS de la zone d’exclusion des glaces ont été positionnés très au nord), pour faire son entrée dans l’océan pacifique. Encore trois semaines de grand sud. « On s’habitue à ce tempo, mais on sera content quand ça s’arrêtera, dit Paul Meilhat. Je ne peux pas dire que le grand sud est une zone où on s’amuse vraiment, ça serait lui manquer de respect, et l’hostilité n’est jamais loin. Mais j’y apprends énormément. Je suis dans ce moment particulier où je fais corps avec mon bateau ».