Ocean Race Europe. Une fin d’étape piégeuse, l’avis de Charlie Dalin

LEG_04_Nice - Genova - August 31 2025, Imoca ALLAGRANDE MAPEI, The Ocean Race Europe 2025, © Pierre Bouras / Allagrande MAPEI / The Ocean Race

La flotte est désormais divisée en deux avec une avance conséquente pour le quatuor Biotherm, Allagrande Mapei Racing, Holcim-PRB et Paprec Arkéa, et c’est Holcim-PRB qui a pris légèrement les commandes de la course. Le sprint final jusqu’à Gênes, où les bateaux sont attendus mercredi matin, s’annonce intense alors que les conditions météos attendues seront très variables.

- Publicité -

En l’espace de 24 heures, les skippers ont multiplié les bords au large de Propriano, traversé les bouches de Bonifacio, se sont rapprochés de l’archipel de Maddalena avant de dépasser l’île d’Elbe et de longer la côte ouest de l’Italie. Ce matin, le groupe de tête progresse entre La Spezia et Sestri Levante, en Ligurie. Manon Peyre (Allagrande Mapei Racing) évoque une course « hyper intense », Nicolas Lunven (Holcim-PRB) une « journée bien remplie », surtout au passage de Bonifacio. « On est resté longtemps sur le pont sans dormir et on a accumulé une sacrée dette de sommeil », ajoute Manon. « C’était physique et fatigant d’enchaîner les virements de bord et les changements de voile », poursuit Paul Meilhat (Biotherm).

Hier matin, la flotte se « tenait » en une vingtaine de milles au large de Propriano. Ce mardi matin, tout a changé : un groupe de quatre s’est échappé avec Allagrande Mapei Racing, Biotherm, Holcim-PRB et Paprec Arkéa. La scission avec les trois autres (Team Malizia, Canada Ocean Racing Be Water Positive et Team Amaala) s’est faite au sud de la Corse et l’écart s’est creusé dans la nuit.

Longtemps, c’est Team Holcim-PRB qui menait les équipages de tête. Dès le début d’après-midi, entre la Corse et la Sardaigne, la bande de Rosalin Kuiper avait pris les commandes et a accentué son avance dans le long bord menant jusqu’en Italie. « Il y a eu moins de dévent prévu sous la Corse et ça a permis à Holcim-PRB de faire une option osée mais payante », décrypte Paul Meilhat (Biotherm). La suite, c’est « une grande descente au portant dans du vent soutenu le long des côtes italiennes », poursuit Paul. Dans la soirée, le contournement de l’île d’Elbe a obligé à se positionner. Biotherm l’a dépassé dans son est, Holcim-PRB a dû empanner pour le contourner par l’ouest.

Déjà positionné à l’ouest, Allagrande Mapei Racing n’a pas eu besoin de virer de bord pour dépasser l’île. Une stratégie qui a permis aux hommes d’Ambrogio Beccaria de recoller avec la tête de course avant de prendre les commandes au large de Livourne. « Nous sommes revenus en tête après ce bord de portant, explique Pierre Bourras, l’OBR du team italien. On a été assez surpris parce qu’on a eu un problème d’énergie à bord du bateau qui nous a obligé à économiser l’énergie pour résoudre le problème ». Conséquence : Ambrogio était à la barre « sans indication et sans instrument » pendant plus d’une heure. « Quand on a tout rallumé, on a été assez surpris de la trajectoire qu’on avait et de notre dynamique », poursuit Pierre.

Ce matin les quatre bateaux ne sont séparés par moins de 10 milles à sept heures ! Le parcours final s’annonce donc décisif. Car avant de franchir la ligne d’arrivée à Gênes, les skippers devront atteindre une marque du parcours au niveau de l’île Gallinera (au large d’Alassio), revenir vers Livourne puis mettre le cap sur la capitale de la Ligurie. « Depuis qu’on est arrivé dans le golfe de Gênes, il y a des orages, le vent fait un peu n’importe quoi », atteste Nicolas Lunven. « Tactiquement, cela va être tendu avec beaucoup de nuage, peu de vent, abonde Pierre Bourras. L’OBR a une expression qui dit tout : « c’est la foire dans la cuvette ! »

Les quatre premiers sont en effet dans un mouchoir de poche. « Nous sommes toujours bord à bord, sourit Paul Meilhat. On va passer la journée et la nuit à tricoter dans le golfe de Gênes et il va falloir rester au contact ». L’enjeu est crucial : il s’agit de l’avant-dernière étape donc prendre des points est capital afin d’aborder l’ultime round dans les meilleures dispositions. « Avec des conditions piégeuses et pas mal de renversement de situations à venir, c’est loin d’être fini, conclut Nicolas Lunven. À nous de saisir les opportunités ! »

Le vainqueur du denier Vendée Globe, le Français Charlie Dalin, qui a confié à la Classe IMOCA que cette partie de la course pourrait sourire aux deux sisterships dessinés par Antoine Koch et le cabinet Finot-Conq : Paprec Arkéa, mené par le Français Yoann Richomme, et Allagrande MAPEI Racing, skippé par l’Italien Ambrogio Beccaria. C’est dans cette portion que Dalin estime que la hiérarchie pourrait être totalement bouleversée, offrant une chance aux poursuivants de revenir dans le match. Mais cette transition pourrait également donner l’occasion au leader Meilhat et à son équipe de tirer leur épingle du jeu en anticipant mieux que leurs rivaux.

« Tout pourrait se jouer à nouveau dans la dernière chicane », explique Charlie Dalin. « Car les équipages vont devoir traverser le front de la dépression de Gênes et probablement entrer dans une zone de vents faibles. Une fois encore, un bateau polyvalent pourrait en tirer profit, mais tout dépendra de ce qui se passera sur la remontée vers le nord. » Dalin s’est dit impressionné par la manière dont Paul Meilhat et son équipage ont navigué sur cette course qu’ils dominent depuis le départ. Selon lui, The Ocean Race Europe correspond parfaitement aux qualités de Biotherm, dessiné par Guillaume Verdier. « Ce que l’on sait de ce bateau, c’est qu’il est particulièrement polyvalent par rapport à d’autres de la flotte, et The Ocean Race Europe est une épreuve aux conditions très variées, où l’on peut rencontrer de tout, du près comme du portant. Chaque étape a été changeante, et disposer d’un bateau polyvalent constitue clairement un avantage », souligne Dalin.

« L’autre bateau qui possède ces mêmes qualités, c’est Holcim-PRB, mais évidemment, la collision subie au début de la course ne met jamais dans les meilleures dispositions pour performer. On a toutefois l’impression qu’ils commencent à se remettre dans le rythme », ajoute-t-il. Selon Charlie Dalin, Paul Meilhat est lancé dans une véritable dynamique de victoire, comme en témoigne sa place de leader au classement général avec 12 points d’avance sur Holcim-PRB, après avoir remporté toutes les étapes et engrangé deux points supplémentaires à chacun des quatre Bonus Scoring Gates. « Paul est bien parti et, quand vous gagnez une ou deux étapes, vous entrez dans une sorte de spirale de succès et de confiance », explique Dalin. « Vous êtes alors dans le bon état d’esprit pour prendre les bonnes décisions tactiques et stratégiques. »

Dalin souligne également qu’au sein de cette course, où chaque étape se dispute en configuration équipage complet et avec peu d’options de navigation, la variable clé reste la vitesse pure. « La vitesse intrinsèque du bateau est plus importante que, disons, dans une course en solitaire », précise-t-il. « Car en solitaire, il faut aussi un bateau rapide, mais vous devez surtout vous préparer à ce qui arrive, alors qu’en équipage, vous avez toujours la bonne voile en place. »

Si Meilhat et son équipe dominent jusqu’ici la compétition, Dalin prévient que rien n’est encore joué. La dernière étape, entre Gênes et le Monténégro, pourrait se révéler passionnante, quels que soient les écarts au classement général. Il s’attend à une manche particulièrement exigeante, avec des marins fatigués confrontés aux effets thermiques le long de la côte italienne, avant un final ardu dans la baie de Boka. « La situation va être très délicate pour les navigateurs, avec une bonne probabilité de vent de nord-ouest en direction du Monténégro. Les skippers devront alors décider soit de longer la côte italienne, soit de traverser vers l’Albanie, une décision qui pourrait s’avérer déterminante », explique Charlie Dalin.

Ayant participé à la dernière édition de The Ocean Race à bord du vainqueur 11th Hour Racing, Dalin sait à quel point ces courses en équipage complet, avec des escales courtes et intenses, sont exigeantes. « C’est vraiment dur », confie-t-il. « Les équipages accumulent évidemment de la fatigue, il faut donc prévoir une rotation suffisante pour renouveler l’énergie à bord, mais sans perdre le noyau dur ni l’esprit d’équipe. C’est un équilibre difficile à trouver. Ce n’est pas un événement simple à gérer de ce point de vue. »

Pour autant, il estime que Paul Meilhat est désormais en position de force. « Ils sont clairement lancés dans une dynamique gagnante, et le classement le reflète. Quand vous disposez d’une bonne avance au tableau de scores, vous pouvez aborder les choses différemment : vous n’êtes pas obligés de prendre autant de risques que les autres et vous êtes assis dans un siège relativement confortable pour gérer la course », conclut Dalin.